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EXPERIENCE RELIGIEUSE


11"= cdit., n. 1441 ; cf. J. de la Fontaine, Consliliitio « Unigenilus » propiignata, Rome, 1721, t. iii, p. 1220, sq. ; t. IV, p. 1 sq.) et le dernier venu, champion du modernisme, G. Tj’rrell (dans la Grande revue, Paris, 1907, p. 671 ; cf. de la Fontaine, op. cit., t. iii, p. 1286 sq. ; Lebreton, L’encyclique et la théologie moderniste, p. 73 sq.).

b) Débauches d' « émolionalisme » . — Par ailleurs, si l’on enlève au sentiment le contrôle de la raison et de l’autorité, les illusions et les pires excentricités sont à craindre : convulsionnaires jansénistes, quakers et autres en témoignent assez, et il est d’une apologétique trop facile d’en relever quelques exemples. Cf. J. Buchmann, trad. J. Cohen, Symbolique populaire, Paris, 1845, 1. I, § 22, p. 196 sq.

De nos jours, bien que les assemblées dites de réveil aboutissent généralement à un relèvement au moins temporaire de la moralité, on ne peut s’empêcher de leur reprocher ce qu’un journal anglais nommait « une débauche d'émotionalisme. » Cf. H. Bois, Le réveil au pays de Galles, Toulouse, s. d. (1900), p. 570 sq. Ils s’accompagnent de manifestations nerveuses attristantes, p. 572, et développent les cas de folie dans une proportion impressionnante, p. 575 sq. Il n’y a pas à s’en étonner. Supprimée la hiérarchie normale des facultés, les impulsions inférieures deviennent prédominantes ; la passivité et l’irrésistibilité deviennent les marques divines les plus obvies. Qu’importe qu’elles soient les plus dangeieuses ! « Evan Roberts [le leader du dernier revival gallois] ne veut pas que celui qui se lève pour prier [en public] sache ce qu’il va dire ; s’il le sait, ce n’est plus de la prière, car la prière est l’efïusion des aspirations du cœur. » H. Bois, op. cit., p. 237. W. James découvre de son côté à quels périls exposent ses thèses : « Le croyant, dit-il, se sent en continuité… avec un moi plus grand d’où découlent en lui des expériences de salut. Ceux qui éprouvent ces expériences assez distinctes et assez fréquentes pour vivre à leur lumière demeurent inébranlables aux critiques, de quelque côté qu’elles puissent surgir… fût-ce la voix de la logique de sens commum. Ils ont eu leur vision…n A pluralistic universe, Londres, 1909, p. 307. Cf. L’expérience religieuse, 2^ édit., p. 423. C’est le mot de Luther : qui in hac persuasionc est, non audit ; multo minus aliis crédit. Sic ego omnino nihil aadio contrarium meee doclrinee ; sum enim certus ei persuasus per spirilum Clirisli meam doctrinam de christiana juslitia veram ac certam esse. In Gal., iii, 1 (1535), Werkc, t. XL, p. 323.

c) Dévergondage moral. — Nous ne prendrons pas le soin répugnant de fouiller la vie du réformateur, pour voir si la loi morale même peut faire entendre une voix assez respectée aux déportements de la sensibilité. Il suffira de rappeler ses gémissements impuissants contre le dévergondage de mœurs suscité par sa doctrine et l'écœurement des coryphées du parti. Dœllinger s’est contenté d’en consigner dans ses livres le témoignage accablant, La Réforme, trad. E. Perrot, 3 in-S » , Paris, 1848-1849. On pourra consulter de même les propositions scandaleuses censurées dans Molinos, la pire luxure s’en trouverait justifiée, prop. 41-52, Denzinger, Enchiridion, <' édit., n. 1261 sq.

Ces divers systèmes dérivent d’une dépréciation de la liberté humaine (dogme de la chute originelle ou illusion pseudo-mystique du o laisser-faire Dieu » ). Cela conduit logiquement à dissocier radicalement religiosité et moralité, dans le luthérianisme primitif. Cf. Mœhler, Symbolique, 2e édit., t. i, § 25, p. 284 sq. Le calvinisme a consacré la rupture en enseignant l’inamissibilité du salut pour les élus, col. 1791. Si « la plus petite étincelle de foi » suffit à la justification, quelles aberrations de la volonté peuvent empêcher

la sensibilité d’en percevoir la possession ? Cela mène, dans le molinosisme, à donnerla préférence à l'émotion sur la volition, à la passivité sur l’activité consciente. Or certaines émotions mystiques — l’histoire de bien des sectes et de bien des chutes le dit — sont fort conciliables avec les pires commotions sensuelles, parce que le sentimentalisme mystique agit puissamment sur les facultés sensibles et que la délectation des sens qui s’autorise de vues mystiques s'élève à un paroxysme d’excitation d’autant plus dangereux qu’il paraît plus extraordinaire, donc plus divin, ou encore, parce qu’il est logique à la volonté, dépossédée de ses droits et déshabituée de l’effort, de « laisser faire » le mal, quand l’Esprit qui la dirige le « laisse faire » en elle.

2. Conséquences d’ordre spéculatif.

Plus graves encore, parce qu’elles atteignent, dans le dogme, la racine de la vie réfléchie, les conséquences que la doctrine de l’expérience religieuse a produites dans l’ordre spéculatif.

a) Volatilisation dogmatique. — « Prenez-y garde, écrit A. Sabatier, introduire ce critère de l'évidence religieuse et morale dans la théorie scolastique, c’est y déposer une cartouche explosive qui la fait aussitôt voler en éclats. Si l'évidence force l’esprit à se rendre, là où elle se produit, elle le laisse libre et même rebelle, où elle ne se produit pas. Toute l'œuvre doctrinale que l’orthodoxie représente est à reviser et à refaire. » Esquisse, 7e édit., 1. T, c. ii, § 3, p. 49. « Le chrétien a, dans sa piété même, un principe de critique auquel aucun dogme, et celui ae l’autorité de l'Église ou de la Bible moins que tout autre, ne se peuvent jamais soustraire. » Ibid., 1. III, c. i, § 5, p. 285 sq. Toute addition affaiblirait ces témoignages. « De Rome à Luther, puis à Calvin, écrit de son côté W. James, du calvinisme à la religion de Westey, du méthodisme enfin jusqu’au « libéralisme » pur, qu’il soit ou non du type de la mind-cure, dans toutes ces formes diverses et successives du christianisme… nous pouvons marquer les progrès incessants vers l’idée d’un secours spirituel immédiat, dont l’individu désemparé fait l’expérience, et qui ne dépend ni d’un appareil doctrinal, ni de rites propitiatoires. » L’expérience religieuse, 2e édit., p. 179.

Le mécanisme de cette évolution est des plus simples : le conflit des évidences produit une élimination progressive des dogmes. Le premier stade est celui du libéralisme relatif : on y retient les articles fondamentaux. Voicie genre : « Au reste, écrivait le pasteur du Moulin, quelqu’un doutant de l’authorité de l’epistre de saint Jacques nelaisseroit d’estre sauvé, Dieu pardonnant à son infirmité pourveu qu’il creust tous les points nécessaires à salut, lesquels il peut suffisamment apprendre es autres livres, « cité par J. Pannier, Le témoignage du Saint-Esprit, p. 148. Le dernier est celui du libéralisme absolu : on n’y retient plus que l’impression mystique. Voici le type. La foi est-elle conciliable avec l’absence de toute croyance en Jésus ? « S’il se trouvait effectivement quelque part un homme dont la cervelle fut assez déformée pour nier l’existence du Christ, et dont, en même temps, le cœur fût assez chaud pour se donner entièrement à Dieu, je ne crois pas, répond M. E. Ménégoz, que Dieu lui tiendrait rigueur de sa bizarrerie intellectuelle. » Publications diverses sur le fidéisme, Paris, 1900, p. 274. A son tour, la croyance en Dieu est-elle oui ou non nécessairement comprise dans la foi ? « Même sur ce point, l'Évangile de Christ ne nous permet pas de ne pas admettre certaines exceptions, » cité dans E. Doumergue, Les. étapes du fidéisme, p. 16, note. C’est clair, mais somme toute, Schleiermacher parlait plus net : « Une religion sans Dieu peut être meilleure qu’une autre religion avec Dieu. » Reden, W conf., édit. Pûnjer, p. 125.