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EXPERIENCE RELIGIEUSE


pour Augustin, avant qu’il en éprouvât par lui-même la facilité et la douceur, nec conjiccre noveram…, Confess., 1. VI, c. iii, n. 3, t. xxxii, col. 720 ; quia expertus non cram, c. xi, n. 20, col. 729. A chaque effort victorieux pour se dégager des jouissances inférieures, l’âme acquiert donc des lumières nouvelles sur la force réelle de la liberté, sur le prix de la vie supérieure, sur les attributs divins, etc., col. 1837.

A côté de cette explication de psychologie élémentaire, il est d’ailleurs aisé d’admettre que Dieu provoque au bien par des grâces spéciales d’intelligence : elles sont, en effet, plus nécessaires, dès qu’il s’agit non plus d’une conduite vulgaire, mais des nuances du mieux dans tout le détail de la vie. Il les m-énage à l’âme, d’ordinaire, par l’intermédiaire des causes secondes, lecture, méditation, prédication ecclésiastique, exemple, épreuves multiples ; mais il appuie parfois la voix de chacune de manière si vive, que la proportion entre l’illumination intérieure et son excitant sensible ne semble plus conforme aux lois com)nunes ; le fidèle se sent porté à reconnaître une intervention spéciale de Dieu ; quelques rares cas peuvent être, dans l’ensemble de leurs circonstances, si caractérisés, qu’il ne soit guère possible d’en douter.

Ainsi, avec la pratique de l’abnégation, et contre toute prévision, aux yeux de l’homme charnel qui vit en nous, s’augmente la connaissance de réalités et de joies plus hautes et, avec elle, une mise en suspicion plus éclairée des émotions sensibles.

Les mouvements des divers esprits, plus subtils, requièrent à ce stade un diagnostic plus affmé. ^"oir Discernement des esprits, t. iii, col. 1394.

En même temps se développe dans l’âme une paix jusque-là inconnue : ce n’est plus seulement la claire vue d’un devoir à remplir, c’est la conviction sentie d’être dans l’ordre, certitude toute expérimentale, elle aussi, puisque les connaissances précédentes, sur lesquelles elle se fonde, sont aussi indéniables que les connaissances sensibles, mais plus intenses et plus expressives, parce que spirituelles. D’ailleurs, des raisonnements implicites d’une force inéluctable la soutiennent. Sans tomber dans l’exagération luthérienne de croire sa justification comme de foi, l’évidence morale de sa bonne volonté et de ses fruits — à moins d’une épreuve très particulière — ne permet à l’âme aucun doute fondé sur l’amitié que Dieu lui porte : de sua singulari intentione, solliciludinc, cura, opéra, diligenlia, sludioque, quo incessanler et ardenter invigilat qucmadmodum placeat Deo, œque hæc omnia in ipso indubitanler agnoscil, recordans promissionis ejus, Matth., vii, 2… xec duuitat se amari qu.e AMAT. S. Bernard, In Cantic, serm. lix, n. 7 sq., P. L., t. CLxxxiii, col. 1115 sq. Quels que soient ses tourments, d’ordre naturel, ou d’ordre mystique, une touche toute spirituelle, ténue, mais infiniment douce, sorte d’approbation intérieure que ratifient tous les critères extérieurs, lui permet de persévérer avec confiance dans son effort.

c) Voie unilive. — La voie unitive, dans les conditions ordinaires, présente les mêmes réactions affectives, mais à un degré de pureté et d’intensité plus parfait. Il est aisé de les imaginer par analogie. Dans le cas de vocation spéciale à la vie mystique, se placent des phénomènes spécifiquement différents des précédents et dont l’étude détaillée doit trouver place aux art. Contemplation, Mystique, Présence (Sentiment de). Subconscience, Révélations, Visions.

Conclusion.

Nous aurions atteint le but que

nous nous sommes proposé dans cette esquisse, si le lecteur voyait avec assez de netteté la richesse de l’enseignement traditionnel sur le sujet présent, bien que la synthèse n’en ait pas encore été faite en vue d’un problème qui ne se posait pas dans ces termes

précis. La simplicité de cette explication qui déduit en somme toutes ses thèses du concept même de religion— une amitié, col. 1814 — mérite d’airêter aussi l’attention. Si elle heurte tous ceux dont l’agnosticisme répugne aux notions de Dieu transcendant et personnel, elle ; chance de rallier les suffrages de ceux qui cherchent vraiment un culte « en esprit et en vérité. » Enfin la profondeur de ces spéculations qui vont chercher dans l’analogie forcée de nature entre créateur et créature la première raison ontologique du mouvement qui les porte l’un vers l’autre et donc de la forme de religion qui leur convient, col. 1815, pourra sans peine soutenir la comparaison avec le « romantisme religieux » du sentimentalisme moderne ou la « thérapeutique religieuse » du pragmatisme.

V. L’expérience religieuse comme critère de CONNAISSANCE. — Ayant précisé, dans les pages précédentes, les caractères et l’explication de l’expérience religieuse en tant que fait psychologique, nous pouvons tenter de déterminer les ressources qu’elle peut fournir comme crit re de connaissance, selon qu’on l’invoque comme facteur de connaissance exclusif ou principal, ou comme facteur subordonné. Cette double question résolue, il sera aisé de déterminer la portée (le l’expérimentation en matière religieuse.

I. COMME FACTEUn EXCLUSIF OU PHIKCIPAL. —

Erreurs des présupposés.

1. Agnosticisme.  — Le

fai d’en appeler à l’expérience immédiate, comme à une source unique de connaissance, trahit le discrédit dans lequel on tient la raison spéculative. Telle est l’origine de ces théories chez Luther, col. 1787 sq., et depuis Kant, col. 1797. C’est donc sur l’agnosticisme que doit porter toute réfutation soucieuse d’atteindre l’erreur dans sa racine : le point critique du débat est là.

On trouvera la question traitée à l’art. Agnosticisme, t. I, col. 596 sq. Voir aussi d’Alès, Dictionn. apologétique, art. Agnosticisme, t. i, col. 1 sq.

Les conditions de la connaissance humaine imposent un certain relativisme, mais laissent possible une intelligence des réalités transcendantes exacte, bien qu’inadéquate, juste, bien qu’exprimée non en concepts propres, mais par des notions « analogues » . Voir Analogie, t. i, col. 1146 sq.

2. Primat du sentiment.

La raison découronnée et déclassée, on attribue ses fonctions au sentiment. Cette thèse vaut donc exactement ce que vaut la précédente. La nature spéciale de la religion n’autorise en aucune manière cette interversion des rôles.

On observe que « l’émotion interne [est] le premier nœud vital et organique, le principe d’où il faut partir pour suivre le développement de la vie religieuse entière, » A. Sabatier, Esquisse, 1. III, c. ii, p. 268, que, demeurant dans toutes les religions assez semblable, le sentiment est seul essentiel, la formule qui l’interprète n’étant que « surcroyance » dérivée et secondaire, W. James, L’expérience religieuse, 2e édit., p. 420 sq., que la religion étant affaire intime et individuelle, son critère doit être individuel et intérieur. Programma dei modernisa, p. 99.

Psychologiquement, ces assertions sont inexactes ; logiquement, elles sont injustifiables.

Évidemment, il y a du sentiment dans la religion, s’il doit y avoir de l’amour, et il y a de l’amour, si faire hommage de soi-même, ce n’est pas spéculer sur un objet adorable, mais lui immoler sa volonté. De ce chef, la psychologie conclura, distinguant amour effectif et amour affectif, qu’être religieux ce n’est pas sentir les choses religieuses, mais vouloir les actes de religion : le critère des œuvres, en dépit de Luther, rentre en scène.

Si l’on objecte — et c’est là surtout ce qu’on veut dire de nos jours — que l’amour n’est pas affaire de