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EXPERIENCE RELIGIEUSE

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Spirilus Sancti. Opéra, Anvers, 1632, Speciil. spirit., c. xi, n. 1, p. 578 a. « La grâce de Dieu, dit la sœur Gojoz, me fait comme sentir son attouchement sacré. C’est ce que je ne puis exprimer qu’en disant que mon âme sent, presque sensiblement, une plénitude de Dieu et que ce même attouchement divin est la grâce même… On dirait qu’il fait de sa fréature une même chose avec Lui, par une liaison de miséricorde et d’amour. » M.-E. de Provane, Vie de l’humble sœur J.-B. Gojoz, Besançon, 1901, part. I, c. viii, p. 70. Le même témoin parle de < cette adorable onction, dont le propre est de rendre Dieu présent, » ibid., p. 71 ; de « cette mesure de grâce… dans laquelle et par laquelle je crois sentir la divine substance se joindre à moi. » Ibid., part. III, c. viii, p. 480. Sainte Thérèse elle-même paraît donner comme synonymes ces deux expressions : « Quand ce feu, de l’amour n’est pas allumé dans la volonté et qu’on ne sent pas la présence de Dieu…, » Château intérieur, VI" dem., c. vii, Œuvres, Paris, 1907, t. vi, p. 234 ; elle dit plus expressément : ’A peine nous mettonsnous en oraison… aux effets… qui naissent en notre âme… on comprend qu’il est là… > Vie par elle-même, c. xxvii, t. i, p. 338 sq. Il s’agit bien de ce qui se passe pendant les états mystiques, non dans les intervalles qui les séparent.

Pour la première opinion (avant l’amour). Poulain, Les (/râees d’oraison. G’édit., p. 79 sq. ; pour la seconde (dans et par l’amour), Alvarez de Paz, De inquisitione pacis, 1. V, part. I, app. II, c. ix. Opéra, Mayence, 1619, t. iii, p. 1631, 1632 ; Schram, Institutiones theologiæ mysticw, Paris, 1868, t. I, § 312, p. 455 ; § 318, p. 464 sq. La question ne se posant pas pour ces auteurs dans les termes précis où nous l’exprimons, leur texte laisse encore place à la discussion. C’est le témoignage des mystiques qui doit dirimer le débal. -^

La présence dite intellectuelle ne prête pas à la même difficulté. Elle est nettement distincte de la charité. C’est une certitude absolue de la proximité de la personne aimée, sans représentation sensible ou Imaginative de ses traits.

Du point de vue purement psychologique, ces phénomènes pourraient s’expliquer en rigueur comme les cas de projection spatiale hallucinatoire, si les descriptions précises de quelques mystiques ne semblaient exiger une interprétation différente. Si l’on admet, en effet, la réalité de certaines « paroles intellectuelles » communiquées sans aucun phantasme quantitatif, S"’Thérèse, V ie’par elle-même, c. xxvii ; Château de l’âme, VI « dem., c. iii, ne voit-on pas que la possibilité d’une équivalence profane approchée ne prouve rien contre la possibilité d’une connaissance d’êtres localisés qui serait cependant obtenue autrement que par l’intermédiaire d’images spatiales ? L’analogie des < paroles intellectuelles » suggère l’idée de « présence intellectuelle » et de bons témoins affirment l’avoir éprouvé. J. M[aréchal], A propos du sentiment de présence chez les profanes et chez les mystiques, dans la Revue des questions scientifiques, 1908, t. il, p. 527 sq. ; 1909, t. I, p.’219 sq., 367 sq.

b) L’extase. — Dans toutes les religions enfin, certaines âmes prétendent atteindre parfois à une union spéciale et indicible avec le divin ; c’est l’extase.

A s’en tenir à ce thème commun, tout est identique en tous. Mais pour faire œuvre critique, il importe de distinguer Vextase pharmaceutique, produite par l’absorption de certaines vapeurs anesthésiantes, B.-P. Blood, The anœsthetic revekdion and the (jist of philosophy, Amsterdam (N. Y.), 1894 ; cf. W. James, L’expérience religieuse, 2e édit., p. 330 sq. ; l’extase liystérique, par surexcitation anormale de certains centres nerveux ; l’extase théurgique de Jamblique, et de certains moines chrétiens, obtenue par des pratiques réglées ; l’extase dialectique, procurée par l’ascension intellectuelle du multiple à l’unité pure comme chez Plotin, et dans certaines pages d’Augustin directement inspirées par lui. Comment confondre avec ces phénomènes à cause nettement assignable, à technique définie, Vextase mystique de certains saints catholiques, différente par la préparation presque exclusi vement éthique, par les caractéristiques affectives et intellectuelles qui l’accompagnent, et — critère plus incontestable — par ses effets physiques et moraux sur ceux qui en bénéficient ?

L’étude détaillée de ces expériences aura sa place à l’art. Extase. Il importait seulement de noter ici qu’à ne point distinguer des choses aussi disparates, on s’expose aux plus invraisemblables et aux plus illégitimes conclusions.

Poulain, Des grâces d’oraison, 6e édit., Paris, 1909, spécialement c. xviii, p. 253 sq., et passim ; J. Maréchal, Inc. cit., 1909, t. I, p. 390 sq.

II. EXPLiCATiox THÉOLOGIQUE.

Reste à expliquer

les faits que nous venons de distinguer et de rectifier.

Notion de la religion.

Une notion domine toute

la question : celle de religion, non sous le rapport métaphysique, mais sous son aspect psychologique. L’attitude d’âme proprement religieuse commande, en effet, toutes les réactions affectives dites religieuses. Or la pensée catholique n’est point douteuse.

La vertu de religion n’est pas une adhésion platonique à la vérité coiuiue — une sagesse ; ni une correction toute extérieure, dans les rapports avec le divin — une étiquette ; encore moins un autosuggestion par les idées, propre à charmer les ennuis de la vie — une recette ; ou une attention calculée aux pratiques qui peuvent assurer la protection ou la connivence du souverain justicier — un marchemdage ; fondée sur le droit absolu du créateur à l’hommage de sa créature, elle relève de la vertu de justice. Mais, observent les théologiens, la justice qui lie l’homme à Dieu n’a point pour analogue stricte celle qui unit deux individus indépendants l’un de l’autre, hormis leur commune dette : elle est semblable à celle qui unit les enfants aux parents. Le fait qu’ils leur doivent la vie et tous les secours qui l’ont développée ne diminue point leur devoir de reconnaissance ; il l’accentue. Par contre, comme ils sont la chair de leur chair, ils ne peuvent les tenir comme des étrangers : l’obligation de justice devient proprement un devoir de piété.

Ainsi en est-il de nos rapports avec celui qui nous a donné et nous donne la vie à chaque instant, père comme tous, parce qu’il nous produit à son image, et plus que tous, parce que nul agent humain n’atteint, comme la cause première, l’être intime de notre substance. S. Thomas, Sum. theoL, Ih Ih, q. ci, a. 3 ; .Suarez, De virtute et statu retigionis, tr. I, 1. III, c. iv, n.4 sq., 16 sq. Si donc, en raison de la dette qui lie toutes nos facultés, la volonté et le cœur autant que les autres, on pouvait, au sens large, définir la religion une amitié, on voit qu’à bien considérer notre origine, le mot doit se prendre en toute rigueur, ou plutôt avec cette nuance très spéciale d’affection qui marque l’amitié entre pères et enfants. En évitant l’erreur condamnée de Baius, Deiwinger.Zinc/îirîrfion, n. 1016 (896), et de Quesnel, n. 1408 (1273), qu’il n’y a d’acte religieux ni méritoire hors de la charité, on a tout droit de dire, avec saint Augustin, que la religion ne réalise sa pleine notion que par l’amour : Pietas cidtus Dei est, nec colitur ille nisi amando. Epist., cxl, c. xviii, n. 45, P. L., t. xxxiii, col. 557 ; De TriniL, 1. XII, c. XIV, n. 22, t. XLH, col. 1010. Selon les temps et du fait de l’homme, elle peut prendre un caractère plus ou moins prédominant de crainte, ou de formalisme ; de sa nature, elle est autre, et ce qui est vrai en toute hypothèse l’est spécialement dans l’ordre surnaturel, après l’adoption divine.

De ce chef, sont à prévoir, dans la pratique religieuse, les réactions émotionnelles qui existent entre hunuiins dans la pratique de la piété filiale, non que l’amour y ait place exclusive, mais comme il est le but et l’agent