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EXPERIENCE RELIGIEUSE


les mêmes efïets de provoquer une ordination de tout notre être vers lui.

Corrélatives de ces expériences, celles qui se grcfîent immédiatement sur elles, amenées par une raison de contraste. Toute sensation de grandeur nous fait sentir notre petitesse, toute puissance notre infirmité, toute vertu nos propres défauts. De là ces impressions de limitation, d’impuissance, en tout ordre où nous avons entrevu le plus grand et le mieux. Elles ne sont pas proprement religieuses, puisque leur terme immédiat est le sujet ; mais on voit comment elles préparent et développent l’acuité de celles qui le sont.

Pour la même raison, il convient de mentionner ici les dégoûts et les souffrances qu’apporte avec soi la pratique de la vie : elles aiguisent l’appétit de l’idéal par l'écœurement du réel.

Toutes ces expériences sont simples, en ce sens qu’elles résultent de l’impression directe de la réalité, qu’invitant à rechercher et à définir le divin, aucune ne présuppose encore qu’on lui ait donné un nom.

2. Expériences dérivées.

a) La lutte intérieure. — Du conflit de ces attraits et de ces répulsions primordiales, naît l'épreuve de la lutte intérieure. Il semble que l'âme soit partagée en tendances contraires qui se disputent l’hégémonie. Aucune n'échappe pleinement à cette crise, ne serait-ce qu'à l’entrée de l’adolescence, lorsqu’elle s'éveille à la vie personnelle et ressent plus vivement l’appel des passions. Les uns se blasent, nient le problème ou le disent insoluble ; d’autres se contentent des solutions héréditaires, d’autres en cherchent quelque nouvelle qui les satisfasse. Esprits religieux, ou areligieux diffèrent par [l’attitude qu’ils prennent au cours de ce drame ou à son terme, non par l’expérience douloureuse qui le constitue.

/)) Illuminations et réconforts. — Pendant qu’il se poursuit, et selon les interprétations définitives ou provisoires dont l’individu fait choix, se placent des incidents multiples. Certaines joies, des moments de bien-être intérieur et de paix sont tenus pour une approbation ; des amertumes, à la suite d'évidentes faiblesses, pour une improbation ; les périodes d’atonie morale, de dégoût, de lassitude, de désespoir, pour un abandon ; les sautes de vigueur et de générosité, pour un réconfort divin. Certaines connexions d'événements obtenues par la prière ou rencontréespar une bonne fortune plus marquée seront attribuées à une providence spéciale : elles appelleront la gratitude et l’allégresse ; des espoirs déçus, des prières longtemps inefiicaces, des malheurs répétés paraîtront les efi’ets de l’immiséricorde ou d’une implacable justice. A considérer les choses avec cette approximation, ce sont les conceptions du divin qui diversifient les religions, non les expériences.

II va falloir préciser.

() La conversion. — Si les phénomènes de conversion, considérés dans leurs formes aiguës, manquent totalement en nombre de vies, ils ont une telle importance en d’autres, spécialement dans quelques sectes chrétiennes, qu’il convient de leur accorder une attention spéciale. Aussi bien chaque retour au devoir, après un manquement grave, reproduit-il en petit les mêmes péripéties.

l’ae première constatation s’impose : la diversité (lu concept de conversion suivant les Églises. C’est chose grave : il ne s’agit pas en effet d’une spéculation annexe au fait psychique, mais du fait même dont chacun prétend parler.

A se reporter à la Formule de concorde, part. I, a. 2, n. 54 ; cf. Muller, Die symbol. Buclicr, ^. 601, la conversion luthérienne peut se réduire à deux temps, un effroi de la conscience, à la pensée de ses fautes et de la loi divine, une appropriation de la justice du Christ, par l’apparition d’une étincelle de foi, scintillula fidei.

terreurs et confiance passivement reçues et justification inconditionnée.

Autre était la notion mélanchthonienne : les synergistes exigeaient que le pécheur se disposât à la grâce par des œuvres positives et lui reconnaissaient une coopération réelle sous l’action du Saint-Esprit. On sait comment la rédaction de Bergen corrigea celle de Torgau, et avec quelle âpreté chaque parti continua à défendre son opinion.

Différente aussi la conception méthodiste, plus proche de la luthérienne par la saisie subite de conscience qui lui est essentielle, très distincte par son caractère de changement moral et de retour aux bonnes œuvres.

Non moins disparate le concept de la Christian science et de la mind-cure. Leurs adeptes sont moins préoccupés de rallier le chemin du devoir, que de retrouver l'équilibre et la santé mentales, en s’administrant des idées reconnues efficaces : fe côté pratique seul les intéresse.

Tout autre enfin la conversion catholique : on se convertit quand on se reconquiert, non par ses seules forces, certes, mais comme si l’on était seul ; lorsque l’on se décide à accepter la vérité qui déplaît et le devoir qui coûte, pai’ce que Dieu le veut, et que la justice du Christ ne devient nôtre que si nous faisons effort pour nous conformer à sa foi et à sa loi. A cette résolution motivée la commotion sensible de quelque phénomène extraordinaire n’est nullement essentielle, et le cas de A.-M. Ratisbonne, sur lequel insiste W. James, ne peut être reçu comme caractéristique.

Encore ces quelques précisions sont-elles loin d'être suffisantes.

Autre chose est se convertir au Vrai, autre chose se convertir au Bien. Une âme qui, dès le principe, est résolue à ne jamais « pécher contre la lumière » ne passera pas par les mêmes phases qu’une autre dépourvue de cette impeccable loyauté : pour elle, le drame peut se dérouler dans l’intelligence seule, pour l’autre dans la seule volonté. Autre chose est surtout se convertir à la « voie étroite » , autre chose se convertir à une voie plus large. Si dure que soit cette dernière épreuve — puisque prêtres et moines qui abandonnent l'Église romaine éprouvent immédiatement le besoin de ne l’affronter qu’appuyés sur le bras d’une épouse — d’où vient que les synodes qui les accueillent, pour prévenir « le scandale » , se voient obligés de surveiller la publication des motifs de leur conversion ? Dans Aymon, Synodes nationaux des Églises réformées de France, La Haye, 1710, 1. 1, p. 464, etc. cité par J. Dutilleul, Convertis et apostats, dans les Éludes, 1910, t. cxxiv, p. 520, note 2.

Autre erreur de méthode, si l’on prend, comme éléments d'étude, non tous les types spécifiques, mais celui qui cadre avec la mentalité personnelle du critique et ses solutions préférées. « Les conversions où l’effort domine, écrit W. James, sont moins intéressantes pour nous que celles où l’on s’abandonne… D’ailleurs, l’opposition entre ces deux types n’est pas irréductible. Même dans une régénération où la volonté s’exerce au plus haut degré, il y a des intervalles d’abandon ou de semi-abandon. » L’expérience religieuse, 2e édit., p. 177. La question n’est point là précisément — le semi-abandon, si l’abandon est essentiel, ne donnera jamais qu’une semi-conversion — c’est de savoir si Ton peut échafauder une théorie de la conversion sur la psychologie de l’abandon, prédominante en effet dans la conception protestante, accessoire ou nulle dans la mentalité catholique, s’il est scientifique de baser une thèse sur l'étude du type émotionnel, en négligeant presque entièrement le type intellectuel et volontaire.

Pourquoi toute conversion protestante relève essen-