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1807
1808
EXPERIENCE RELIGIEUSE


dist. XXVI, q. i, a. 3, Paris, t.ix.p. 402 ; soit la distinction physiologique, reprise par Kant, Lotze, Wundt, des quatre tempéraments, sanguin, mélancolique, colérique, lymphatique ; soit, du point de vue psychologique, selon la faculté qui prédomine, la division de Bain en type intellectuel, émotionnel, ou volitionnel, Hébert, Le diuin, Paris, 1907 ; soit les analyses plus fouillées de M. Ribot, Psychologie des sentiments, Paris, 1806, c. XIII, p. 273 sq.

C’est toutefois simplifier les choses à l’excès et commettre dès le principe une erreur de méthode, que de réduire les catégories à deux, celle des bien portants, et celle des maladifs, W. James, L’expérience religieuse, 2^ édit., p. 139 sq., ou encore celle des âmes tendres et celle des âmes rudes, les unes « raisonneuses, procédant par principes, intellectualistes, idéalistes, optimistes, convaincues du libre arbitre, monistes, dogmatistes, » les autres « empiristes, exigeant des faits, sensualistes, matérialistes, pessimistes, irréligieuses, fatalistes, pluralistes, sceptiques. » W. James, Pragmatism, p. 12. Et ce n’est pas une faute moindre, sous prétexte que, pour bien connaître un objet, il faut l’observer « comme à travers un microscope, c’est-àdire sous ses formes les plus exagérées, » L’expérience religieuse, 2 édit., p. 34, de ne vouloir arrêter son attention que sur les cas aigus, ^bid., p. 34, 35, 39. Autre chose est « étudier à la loupe » , autre chose n’examiner que les types^ anormaux ou tératologiques. Qui se limite à ces derniers risque d’ignorer les caractères vraiment spécifiques des organismes sains. Le danger est d’autant plus grave, si l’on se met sous la conduite de W. James, que les crises sur lesquelles il a concentré ses recherches ne relèvent guère que d’un seul genre, l'émotionnel ou l’affectif. Des milliers de vies religieuses se développent sans donner trace appréciable d’exaltations analogues, et pourtant c’est peut-être parmi ces amorphes, qui sont le nombre, sinon l'élite, que se révéleront les attaches profondes de la religion avec la nature humaine, seules propres à expliquer la stabilité des masses dans la foi.

Pour adopter une classification plus objective, nous distinguerons les expériences religieuses en fondamentales, dérivées et mystiques. Seront dites fondamentales les impressions qui n’en supposent pas de plus simples avant elles et n’impliquent encore aucune interprétation : telles l’appétit du divin comme tendance spontanée vers un plus grand, un plus beau, un meilleur anonyme encore ; telle l’impression de limitation et, au même sens, celle de dépendance. Seront regardées comme dérivées les émotions qui résultent d’une combinaison des précédentes, comme celle de lutte intérieure, ou qui présupposent une interprétation, comme le sentiment d’approbation, d’improbation ou de réconfort dus à l’action divine. Seront enfin tenus pour mj/s/îijue.ç les phénomènes qui dépassent assez le niveau commun, pour être à un titre spécial mystérieux, soit qu’ils n’exigent qu’une intensité supérieure, soit qu’ils comportent vraiment quelque note irréductible. Ainsi, en évitant l’abus de mots qui fait de mystique le sj’nonyme de religieux, nous réserverons pour le moment la grave question de la limite et de la spécificité des états mystiques.

Cette classification, basée sur la complexité psychologique des expériences, doit trouver sa justilication, plus ou moins parfaite, dans le jeu des facteurs ontologiques à qui nous devrons les attribuer, col. 1815.

3° Distinctions nécessaires entre les expériences. — 1. Expériences fondamentales. — Quelque attention que puisse mériter le phénomène de conversion, il apparaît trop factice de vouloir expliquer par là, avec riofmann et Frank, toute l'évolution de la vie religieuse : trop d'âmes, soit médiocrité, soit innocence, ignorent ces crises aiguës.

Si l’on veut seulement indiquer comme phénomène premier le déchirement intime d’une volonté partagée entre le bien et le mal, comme ^Y. James, il est clair que cet état de lutte suppose des états de conscience plus simples et des émotions antérieures de caractère opposé.

Faire sortir le fait religieux du seul fait moral, comme d’aucuns l’ont tenté, en s’inspirant de Kant, prête à la même critique. Si la moralité n’est qu’un des aspects du réel, c’est une méthode factice d’appuyer sur lui seul une théorie de la religion.

En appeler, avec Schleiermacher, au sentiment de dépendance du fini à l'égard de l’infini n’est pas moins arbitraire. La dépendance, entendue au sens d’influx physique d’un plus grand, ne traduit qu’une des relations d'être à être : celle qui résulte de l’agir. Pourquoi ce découpage dans la réalité? La qualification de dépendance suppose de plus les appréhensions plus simples de l’existence de ce Tout, ou de cet Univers, ou de cet Infini, et des attributs au moins confus qui le caractérisent.

La théorie n’est pas plus mûre chez A. Sabatier, lorsqu’il indique tour à tour, comme origine du fait religieux, « le sentiment de détresse, la contradiction initiale de la vie intérieure, » Esquisse, 9e édit., 1. I, c. I, § 2, p. 19, et encore « le sentiment de subordination, base expérimentale et indestructible de l’idée de Dieu, » ibid., p. 20 ; lorsqu’il nomme ailleurs « émotion religieuse primitive » , le frisson « de crainte et d’espérance » qui vous saisit devant quelque grand spectacle de la nature, 1. III, c. ii, § 2, p. 304 sq.

Il suffît de reconnaître, pour échapper à l’esprit de système, que la réalité peut être atteinte sous de multiples aspects : de vérité, si l’on considère son être piopre, absolument ; de beauté, si l’on tient compte de son harmonie avec les facultés 'connaissantes et de l’excellence des qualités qu’elles y apprécient ; de bonté, si on envisage ses rapports de convenance avec les besoins du sujet ; de moralité, si on en juge au regard de ce qui convient ou répugne à une nature raisonnable. Évidemment les notions abstraites de beauté, de bonté, de moralité sont postérieures à la sensation ou à la perception brutes qui nous renseignent — à un degré quelconque — sur l'être des choses. Le point qui importe est la quasi-simultanéité des impressions d’existence, de vérité, de beauté, de bonté, qui dérivent d’une qualité originale de l'être objectif et correspondent à une orientation également primitive des facultés.

En tout ordre d’expérience subjective, la première donnée est toujours celle d’un appétit au moins vague, qui résulte directement de l’aptitude à sentir ou à éprouver ; vient ensuite celle de la Eatisfaction ou de la déception, dans la possession de l’objet convoité ; d’où naissent de nouvelles excitations des facultés avivées par le plaisir ou irritées par la souffrance.

Expériences fondamentales, par conséquent, toutes celles qui traduisent l’appel du divin, fût-ce le seul mécontentement de tout ce qui n’est pas lui ; fondamentales, à un titre plus spécial, les premières perceptions de son être sous l’un quelconque de ses aspects, frissons à l’entr’aperçue du Vrai, du Beau, du Bon, du Bien, tressaillements de tout notre être en présence de cette contemplation (physique, notionnelle ou morale), qui nous fait entrevoir plus et mieux que l’ambiance ordinaire et.par de la cette mesure plus riche, une abondance suprême, peut-être infinie. Il serait singulier, en effet, de prétendre qu’un grand spectacle de la nature évoque une émotion religieuse et qu’une symphonie admirable ou un acte de vertu extraordinaire ne l'éveille pas, au moins chez certaines âmes. A s’en tenir à la définition nominale de la religion, dans un cas comme dans l’autre, la sensation éprouvée a les mêmes caractères d’une révélation vague de l’idéal, et