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1799
1800
EXPERIENCE RELIGIEUSE


avait plus de difficulté à admettre la paire d’assertions qu’ilslaissaient debout. » Von Schleiermacher zii Ritschl, 3e édit. (modifiée), Giessen, 1903, p. 4. Avant Schleiermacher, on avait invoqué le témoignage intime — et c'était pour ime bonne part encore une sorte d'évidence rationnelle — comme la preuve apologétique de la foi ; après lui, on considérera cette expérience subjective comme le donné original de la foi et la source de la dogmatique. En fait, ce n'était que la mise en formule claire d’une méthode prédominante dans la Réforme. Luther avait-il fait autre chose, et ses disciples après lui, que de régler sur le sentiment de satisfaction que les propositions de foi leur apportait, bref, sur leur émotion personnelle, l’interprétation de l'Écriture et par elle la dogmatique entière. L’expérience affective, érigée ainsi en juge suprême, contrecarrée par des compromis illogiques à chaque rédactimi des formules de concorde, au moment où l’on se trouvait lassé de ces subterfuges, réclamait d’aller jusqu’au bout de ses droits. Après la période de régression que provoquent d’ordinaire les formules trop claires, nous verrons le symbolo-fidéisme, le pragmatisme, le libéralisme même, se rapprocher de plus en plus des principes émis dans la première édition des Discours.

A des degrés divers, l’influence de Schleiermacher s’est exercée sur toutes les écoles postérieures, libérale, confessionnelle ou orthodoxe, et école dite du « juste milieu » . F. Kattenbusch, Von Schleiermacher zu Rilschl, 3<= édit., p. 14 sq. Il n’appartient pas à notre sujet de suivre leur histoire, mais uniquement de préciser leur position à l'égard de l’expérience interne.

Voir Reden iïber die Religion, 1799, 1806, 1821 ; l'édition citée de Punjer indique les modifications success-ves ; pour la bibliograpliic, voir Schleiermacher, et O. Kirn, dans la Realencyklopcidie, art. Schleiermacher, n 3, p. 593 sq. ; Der christUche Glaiibe nach den Grundsàlzen der evanyelischen Kirche, 1821-1822, bibliographie, ! oc. cit., p. 587. et plus complète dans K. Gcedekc, Grwidriss der Geschichte der deutschen Dichlung, 2e édit., t. VI, p. 214 sq.

Les théologiens (orthodoxes) d’Erlangen semblent s’appliquer les premiers à syste matiser la théorie. Voir H. W. J. Thiersch, Versuch zur H crslellung des hislorischen Slandpunktes fUr die Kritik der neul. Schriften, Erlangen, 1845. Au jugement de J. Chr. Hofmann, Schriflbeiveis, Nlrdlingen, 1852-1855, l’expérience d’où naît la foi est celle d’une renaissance, conçue comme la restauration de l’union à Dieu par le Christ. Rien n’est recevable qui ne soit comme le développement nécessaire de cette impression fondamentale : la connaissance du christianisme doit être pour le chrétien connaissance et expression de soi. Les spéculations de H. Plitt, Evangelische Glaubenslehre, 2 vol., Gotha, 1863-1864, marquent un recul : l'Écriture seule est norme suprême ; l’expérience ne sert, comme témoignage de l’Esprit, qu'à l'éclairer. Avec Frank, au contraire, s’affirme un effort d’analyse et de construction audacieux et vigoureux.

L’expérience chrétienne, observe-t-il, présuppose l’expérience morale. — Nous voici donc ramenés sur un terrain moins exclusivement « romantique » , aux crises d'âme étudiées par Luther et Mélanchthon. Elles se résolvent, au moment où l’impulsion divine fait prédominer le moi nouveau : c’est la renaissance ; elle s’achève dans la conversion. Il ne reste qu'à déduire de cette expérience les éléments qui la conditionnent ou qu’elle implique, immanents (péché, passion, liberté et justice recouvrées), transcendants (Dieu, la Trinité, le médiateur), transitifs (monde, Église, sacrements). En quelques rares passages, Frank affirme qu’il n’entend pas fonder la foi sur ces déductions, mais seulement exposer comment, partant de l’expérience, on peut rejoindre les assertions de la foi. Le problème I

de la certitude religieuse subsisterait donc en entier. De manière générale, on a interprété son essai de manière plus rigoureuse et presque tous se sont accordés à lui reprocher son subjectivisme. Soutenues après lui par G. Daxer et par Ruling, ses thèses sont attaquées par des théologiens du juste milieu comme Dorner, par des libéraux de toutes nuances, issus de Ritschl, par des orthodoxes, comme E. Grenier. Kœhler, Polstorff, K. Woin.

Frank, Stjsleni des christl. Gewi.'i.^heil, 2 vol., Erlangen, 1879 ; 2e édit., 1881-1884 ; trad. M. J. Evans, Christian certaintti, Edimbourg, 1886 ;.System der christl. Wahrheil, 2 vol., 1878-1880 ; Geschichte imd Kritik der neiieren Theoloqie, 1894 ; 2e édit., 1895 ; Dogniatische Stndicn, Leipzig, 1892, etc.

En France, les théologiens (orthodoxes) de Montauban insistaient sur l’expérience interne, en protestant contre les excès du libéralisme. Tel E. Doumergue, enthousiaste au début de sa carrière, La méthode expérimentale [Paris, 1878], sévère à la fin. Les étapes du fidéismc, Paris, s. d. [1906], avec les pasteurs Babut, de Nimes, et G. Frommel, de Genève. Tel H. Bois, adversaire rigoureux du subjectivisme. De la certitude chrétienne, Essai sur la théologie de Frank, Paris, 1887, du symbolo-fidéisme. De la connaissance religieuse, Paris, 1894, bien que les divergences s’adoucissent dans son dernier livre, l’une des études les plus pénétrantes sur la question, La valeur de l’expérience religieuse, Paris, 1908. Néo-idéaliste, l’auteur s’efforce d'établir l’objectivité de l’expérience religieuse, y reconnaissant une intuition, au sens kantien, dans le temps, non dans l’espace, c. iii, p. 67 sq., et cherchant à l’expliquer par les théories récentes du subconscient, c. V, p. 114 sq., au surplus maintenant grande ouverte au libéralisme qu’il combat la porte qui lui suffit : « La nature même de l’expérience religieuse concrète rend à la fois inutile et impossible et l’infaillibilité de la Bible et l’infaillibilité de l'Église et du pape, ic. vi, p. 158.

Pendant que le libéralisme allemand, avec Schweizer, Daub, Marheinecke, Biedermann, Lipsius et Pfleiderer, travaillait à l'élargissement du dogme, le même mouvement avait en France pour représentants les deux Coquerel, Fontanès, Pli. Jalabert, A. et J. Réville et la faculté de Paris.

Le livre d’Ath. Coquerel père. Le cliristianisme expérimental, Paris, 1847 ; 2^ édit., 1866, répond si peu à son titre, qu’on l’accuse de n’avoir d’expérimental que le nom. M™<= Coignet, L'évolution du protestiintisme français au xixe siècle, Paris, 1908, c. vii, p. 79. L’auteur prend comme point de départ l’expérience interne et les faits de conscience ; il en arrive à cette « règle fondamentale » : « la Bible n’est pas la révélation, mais la révélation est dans la Bible, » p. 334 ; « tout chrétien est pape, sa Bible à la main, » p. 400 ; « le dogme chrétien, de quelque manière que la force intellectuelle l’entende, suffit individuellement au progrès, au salut, au retour vers Dieu, » p. 408 ; par ailleurs il développe longuement cette idée, que « les preuves de l’inspiration ne peuvent être qu’objectives, extérieures et visibles. » La doctrine visiblement n’est pas faite.

A ce stade, Coquerel pouvait écrire encore : « Sans doute, il y a un point où le christianisme finit, et le passer, c’est sortir du christianisme… C’est donc à chaque fidèle à bien examiner s’il est en dehors ou en dedans, » 2e édit., p. 291. Mais l’indépendance absolue des libéraux, et les audaces singulières des plus orthodoxes devaient bientôt poser la question de savoir où se trouvait ce point critique, et même si il en existait un. A. Ritschl et son inspirateur "W. Herrmann contribuent à accentuer le problème, par la solution étrange qu’ils proposent.