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EXPERIENCE RELIGIEUSE


Dieu seul est son guide : car dans le temps de sa perte, elle a perdu toute volonté… » Les torrents spirilæls, part. I, c. ix, n. 8, 9, dans Œuvres complètes, (dit. Duloit, Paris, 1790, t. xxii, p. 231 sq.

Si dangereux que fussent ces principes, on ne voit pas qu’ils aient conduit à des désordres graves, mais il est intéressant de noter les illusions grossières auxquelles déjà ils donnaient occasion, cette « plénitude de Lirâce » que M""' Guyon prétendait sentir et la communication ridicule qu’elle en pensait faire aux dociles tlévots qui prenaient place à ses côtés. Cf. Bossuet, Reldlion sur le quiétisme, sect. ii, dans ses Œuvres, édit. Lacliat, t. XX, p. 89 sq. Voir Fénelon, Guyon, Quié TISME.

Il est remarquable que ce mysticisme frelaté trouva ses plus chauds admirateurs et ses plus tenaces partisans parmi les piétistes, Spener, Arnold, Polret. Voir spécialement J. Chavannes, Jean-Philippe Dutoil, 1721-1793, Lausanne, 1865, part. II, ciii, p. 196 sq., et les préfaces de Dutoit aux Œuyres de M^iî Guyon, par exemple, t. xxxiii, i.e///'É's c/iré^i’ennes, t.v, p.iii sq. Récemment encore "W. James saluait Molinos « un Lîénle spirituel » . The variclies of religions expérience, p. 130.

5° Les temps modernes ; Kanl, Schleicrmacher, Ritschl. — Le sentimentaliste et la thèse de la passivité gagnaient, en effet, en crédit dans les cercles protestants, sous l’influence du piétisme et la propagande des frères moraves. Par lassitude des disputes doctrinales et du formalisme olTiciel, un grand nombre d'âmes s’unissaient pour chercher une vie intérieure plus intense et le contact de Dieu. Elles dégagent des p rinelpes de la Réforme une conséquence assez obvie : l’instantanéité de la conversion. Si la justification est toute passive, chacun peut et doit savoir le moment précis où la grâce s’empare de son cœur. Tel est l’enseignement de Spener, bientôt celui des frères Westey et de tout le mouvement du Réveil.

Par contre, le conflit des évidences fondées sur ces mouvements douteux de l’Esprit va accentuer encore le scepticisme dogmatique. La tentation deviendra de plus en plus vive de confiner la foi dans un domaine bien à l’abri des querelles doctrinales, dans le pur sentiment.

Voir Liclitenberger, Histoire des idées religieuses en Allemagne, 2e édit., 3 in-12, Paris, 1888, t. i, c. vii, p. 245 sq., les cercles pieux ; V. Delbos, La pliilosopliie pratique de Kant, Paris, 1905, Inlrod., p. 3 sq. ; J.-A. Mœliler, La sgmbolique, 2e édit. franc., t. ii, S 72, p. 202 sq. ; § 75, p. 307 sq. ; 0e édit. allemande, § 73, p. 542 ; § 76, p. 553 ; A. Léger, La jeunesse de ^Vesteij, Paris, 1910, c iii, § 2, p. 322 sq. ; § 3, p. 389 ; La doctrine de Westey, dans les Annales de philosophie chritienne, 1911 ; et les art. Méthodisme, Piétisme,

    1. RÉVEIL##


RÉVEIL.

1. Kanl.

Un homme contribue singulièrement à cette évolution ; c’est Kant. Ramener toute sa philosophie à la question de l’expérience interne, dissimuler soit les difficultés critériologiques qui l’ont justement frappé, soit les libertés qu’il a prises à l'égard même de ceux dont il dépend, serait d’une critique assez fantaisiste. On entend seulement signaler ici desinfluences manifestes exercées sur lui par le milieu, et par lui sur la dogmatique protestante.

Élevé par des parents piétistes, empruntant nombre de ses conceptions religieuses à un catéchisme piétiste, témoin de cette bigarrure des doctrines et des progrès du doule, il s’en va détruire lui-même l’autorité de la raison spéculative et restituer toute la connaissance sur le sentiment du devoir. Les deux thèses étaient assurées du succès : l’agnosticisme criticiste apportait sa justification philosophique au dogme luthérien de l’Impuissance de la raison ; la restauration de la certitude sur l’autorité d’un fait de conscience indiscuté

répondait à la méthode subjective et expérimentale dès longtemps pratiquée par la Réforme. Par ailleurs, Il rompait doublement avec la dogmatique primitive, en déclarant accessoire l’historicité des faits évangéllques et essentielle la préoccupation éthique ; il contribuait par là même à dégager des dernières angoisses et à satisfaire les tendances morales des mieux intentionnés. Critiqué d’abord pour ses audaces, poursuivi par la censure, il apparut bientôt comme un libérateur et marqua de son empreinte tous les maîtres de la période moderne.

Voir 'ersucli einer Kritik aller Offenbarung, Kœnigsberg, 1792 ; Die Religion innerhalb der Grenzen der blossen 'ernunfl, Kœnigsberg, 1793 ; Théorie der rein moralischen Religion mit Rucksicht auf das reine Christentum, Riga, 1706 ; Der Slreil der Fæultàten, Kœnigsberg, 1798. Analyses pénétrantes et bibliographie dans V. Delbos, op. cit., c. vii, p. 600 sq. Sur son succès prés des théologiens protestants, O. Pfleideier, Entwicklung der prolest. TIteologie in Deulscltlandseit Kant und in Grossbritannien seit i<Ç25, Fribouig, 1891 ; R. M. Wenley, Kant and his philosopliical révolution, Edimbourg, 1910 ; et la controverse : J. Kaftan, Kant der Philosoph des Protestantismus, Berlin, 1004 ; M. Glossner, Kant der Philosoph des Protestantismus (contre Kaftan et Paulsen), dans Jalu-buch jùr Philosophie und spekulative Théologie, t..xxii, p. 1-23.

2. Schleicrmacher.

Le plus marquant de tous est Schleiermacher. De multiples influences l’ont préparé, celles des frères moraves à Niesky et à Barby, celle du romantisme par Schlegel et ses amis, celle du sentimentalisme de Jacobi, de Stefîen, peut-être de Herder, celle de Kant, étudié avec ardeur, et visité à Kœnigsberg, celle de Spinoza. En 1799, paraissent les Discours sur la religion. D’emblée, l’orateur établit l’essence de la religion dans le sentiment. Édit. Piinjer, in-S", Braunschweig, 1879, dise, ii, p. 46. Les concepts spéculatifs lui sont extérieurs : c’est de la mythologie, ibid., p. 60 sq. : la pratique dite religieuse ne l’intéresse pas : c’est de la superstition, p. 71 sq. La religion est une expérience, c’est le sentiment immédiat de notre dépendance à l'égard de l’Univers, l’intuition de l’Infini dans le fini. Elle découle nécessairement du tempérament individuel. Toutes les formes du sentiment religieux sont donc déficientes et légitimes au même titre : la tolérance seule est la forme authentique de la piété, p. 66 sq. ; une religion sans Dieu peut être plus religieuse que celle qui s’exprlmeen un tel concept, p. 120 ; cf. p. 125, 133, 145. Ce sentiment n’a pas à régler la conduite : ce n’est pas plus une éthique qu’une dogmatique ; comme l’impression esthétique, c’est une divine musique qui doit accompagner toute action humaine, dont la tonalité et l’intensité traduisent le degré individuel de religiosité, p. 71.

Par le fait se trouvent transposées toutes les notions traditionnelles de miracle, de prophétie, de révélation, de surnaturel. La révélation n’est plus une articulation précise de vérités ; c’est une émotion hors pair, évocatrice de réalités insoupçonnées. Est surnaturel non plus ce qui est don gratuit, hors des exigences du créé, mais ce qui est impression immédiate du divin. Les éditions suivantes s’appliquent à adoucir le panthéisme spinoziste et l’amoralisme inquiétant de la première.

Plus tard, dans sa Dogmatique, Schleiermacher, très libre d’ailleurs dans l’interprétation des dogmes traditionnels, reconstruit la dogmatique sur les données originales de l’expérience et du sentiment.

L’importance de cette tentative a été nettement caractérisée par F. Kattenbusch. Jusque-là, observet-il, les discussions entre orthodoxes et libéraux portaient sur un minimum de dogmes, les premiers maintenant comme obligatoires les vérités consignées dans l'Écriture, les autres visant à les réduire, et « voyant la justification de leur entreprise dans ce fait qu’il n’y