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EXPÉRIENCE RELIGIEUSE


3° Baianismc, jansénisme, quesnelianisme. — Plusieurs analoçîics de pensée sont à signaler dans le camp janséniste, en raison de l’influence qu’elles ont eue pour développer dans la piété du temps une certaine tendance à la passivité et au sentimentalisme.

Dès l’origine, on a dénoncé leurs attaches protestantes. Si les dépendances directes ne sont pas si évidentes que le pense E. Dcchamps, De hæresi janseniana, Paris. 1728, spécialement 1. I, la ressemblance des thèses est plus manifeste que les jansénistes n’aimaient à en convenir. E. Dcchamps, op. cit.. 1. I, c. ii, p. 3 sq. ; P. Nicole, Réfiilation des principales erreurs (les quiétisles, Paris, 1695, p. 69, 76 sq.

Le principe foncier est le même : corruption radicale de la nature, après la faute originelle. C. Jansénius, Augustinus, 3 in-fol., Paris, 1641, De statu naturse tapsse, 1. I, c. XVI sq., t. ii, p. 102 sq. ; 1. II, c. i sq., p. 119 sq. En conséquence, si l’homme peut encore poser des actes matériellement bons, il les corrompt toujours par l’intention qui les anime. De hæresi pela(jiana, 1. IV, c. vi, t. i, p. 83 sq. Comme il n’y a pas de milieu entre la charité et la culpabilité, De statu naturse lapsæ, 1. III, c. XIX, t. ii, p. 218 sq. ; 1. IV, c. i, p. 228 sq., tout agir ou connaître est mauvais, à moins que la grâce ne l’inspire. Ibid., 1. III, c. vu sq., p. 191 sq.

Mais la grâce, pour l'école nouvelle, se présente sous forme de délectation prédominante, qui détermine l’assentiment de la volonté. De gratta Cliristi, 1. VII, c. VII, VIII, t. III, p. 323 sq. ; De gratta primi hominis, c. XVII, t. II, p. 69 sq. La vie honnête se trouve donc confondue avec la vie parfaite, ou de charité, et la vie de charité se n ; iesure au « sentiment du cœur » , de qui elle reçoit son efficacité. Si, d’une part, la thèse de la corruption porte le jansénisme à déprécier la dévotion sensible, où l’humain se mêle trop, de l’autre, celle de la passivité doit aboutir aux abus qu’elle produisit ailleurs, et jusqu’aux convulsions de Saint-Médard.

L’influence de ces idées sur Pascal oblige à distinguer avec soin ce qui est chez lui psychologie pénétrante ou contamination regrettable. On tiendra compte, sans doute, du pessimisme de l’opinion ambiante sur les suites de la chute primitive, cf. Paquier, Qu’est-ce que le quiétisme ? Paris, 1909, c. ii, p. 33 sq. : Revue du clergé français, 1909, t. li.x, p. 270 sq., mais aussi de ses exagérations toutes jansénistes sur le rôle de la foi et de la grâce, soit dans la connaissance de Dieu, soit dans la pratique du bien, voir Dieu, t. iv, col. 803 sq., et de sa confusion, due aux mêmes causes, entre la piété et le sentiment.

La secte, qui connaissait l’expression, cf. de Barcos et Saint-Cyran, dans Pascal, Pensées, édit. des Grands écrjyams, Paris, 1904, t. ii, p. 201 ; Jansénius, Augustinus, De ratione et auctoritate, c. vii, t. ii, p. 7 sq., eutre tant d’autres corrections destinées à prévenir les critiques, Pascal, t. i, p. xiii sq., rectiflait d’ellemême la définition célèbre :

Édit. de 1 609 : Voilà ce qu’est la foi : Dieu sensible au cœur.

Édit. de 1670 : Voilà ce que c’est que la Un parfaite : Dieu sensible au cœur. Ihid., 1.1, pcLXxviii ; t. II, p. 201.

A coup sûr, la formule n’avait pas encore le sens qu’elle prendra avec Semler et Lessing, mais la dépréciation excessive de la raison théorique et l’insistance sur la vie affective ne pouvaient déjà manquer d’attirer à Pascal toutes les sympathies de l’agnosticisme et du sentimentalisme protestants.

Les thèses jansénistes et leurs conséquences renaissent avec l’oratorien Quesnel. Denzinger-Bannvvart, n. 13-51 (1216) sq. Voir surtout J. de la Fontaine, Conslitutio Unigenilus theologicc propwjnata, 4 in-fol., Rome. 1717 sq.

Sans qu’on puisse le moins du monde confondre avec des théories condamnées une spiritualité qui se recommande de très saints prêtres, on trouverait un intérêt psychologique réel à rechercher les liens qui unissent, d’assez loin d’abord, la doctrine du cardinal deBérulle, puis, de plus près, celle des Pères Séguenot et Malebranche avec la thèse philosophique de l’ontologisnie. Celui-ci fournissait, en eflet, aux tendances mystiques de ses partisans ce que les tenants modernes de l’expérience religieuse demandent en partie à la thèse de l’immanence : l’immédiation sentie des rapports entre Dieu et les facultés, et la dissociation du composé humain qui devait permettre à l'âme l’exercice de la contemplation continue et de l’amour pur.

Sur ce dernier point, voir Paquier, op. cit., p. 47, 81 sq. ; H. Watrigant, L'école de la.spiritualité simplifiée et la formule le « laisser - faire Dieu -, in-8°, Lille, 1903, p. 48-61. Cf. E. Griselle, Descartes et Malaual, dans les Études, 1903, t. Xf.vi, p. 408 sq.

Quiétisme et semi-quiélisnic.

La thèse de la

passivité, cette fois nettement accusée, nous amène à signaler avec une tout autre insistance l’erreur quiétiste.

Il est difficile de déterminer quelles influences ont provoqué les spéculations de Molinos, s’il les doit à ses prédécesseurs, Benoît de Canfield, Falconi surtout et Malaval, aux restes mal éteints de l’illuminisme espagnol, M. Menendez Pelayo, Historia de los heterodoxos espanoles, 1. V, c. i, t. ii, v. 521 sq., ou à l’illusion personnelle, fréquente d’ailleurs, de s’imaginer ajouter à l’honneur de Dieu tout ce qu’on dénie aux facultés de la créature, et de l’erreur de confondre les états psychologiques de personnes menées par des voies très spéciales, avec la condition commune des âmes de bonne volonté. Ce qui est possible chez les unes, après une longue épuration des appétits, risque de prêter aux pires abus, chez les autres.

M. Paquier ramène à deux tendances les erreurs quiétistes et semi-quiétistes : exagération de la corruption originelle, simplification de la vie spirituelle par l’abandon à Dieu, op. cit., -p. 31 ; Revue du clergé français, t. lix, p. 269 sq., l’une dérivant de l’autre : si tout est mauvais dans l’homme, toute sa tactique doit se borner à « laisser faire » Dieu en lui. Aussi Molinos prêche-t-il la « voie intérieure » par opposition aux actes extérieurs et à l’ascèse, et « l’annihilation » de l'âme en Dieu. Il en arrive à la conclusion ordinaire des docteurs de la passivité, à excuser les dérèglements des sens par la violence que l'âme subit (lu fait de Dieu ou du fait du diable. Scandales et erreurs provoquent sa condamnation, le 26 août 1687.

Ces excès ne sont point de ses seuls disciples, comme on aimerait à le croire, voir Paquier, op. cit., p. 26, mais soa œuTe propre et le fruit de ses conseils formels : les actes du procès en font toi. On trouvera le texte de ces propositions dans Denzinger-Bannwart, Encliiridion, n. 1221 (1088) sq., leur examen critique et les actes du procès dans N. Tcrzago, Theologia historico-myslica, Venise, 1764, presque reproduit dans Analecta juris pontifwii, Rome, 1863, t. vi.col. 1561 sq. ; documents complémentaires, ibid., t. x, col. 570 sq.

Après les déclarations formelles de M'"^Gu3'on et deFénelon, Paquier, op. c(7., p. 25, on ne peut songer davantage à leur imputer une dépendance directe de Molinos et des auteurs quiétistes ; mais la même thèse fondamentale de la corruption de la nature et les mêmes illusions les amenaient à une égale simplification de la vie spirituelle, en substituant à l’exercice des vertus l’annihilation des puissances et la passivité sous l’action de Dieu. L'âme, dit M-"* Guyon, « se laisse aller à tout ce qui l’entraîne, sans se mettre en peine de rien, sans rien penser, vouloir ou choisir… C’est Dieu qui la fait agir sans qu’elle le sache…