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EXORCISME


temps, Matth., viii, 29 ; Marc, i, 24, c’est-à-dire les chasser des corps où ils ont la liberté de nuire et les refouler dans l’enfer, d’où, après le dernier jugement, il ne leur sera plus permis de sortir. Ils sollicitent de lui, comme une sorte de compensation miséricordieuse^ d'être autorisés à envahir une troupe de pourceaux, reconnaissant qu’ils ne peuvent le faire sans sa permission ou son ordre. Matth., viii, 31 ; Marc, v, 12Enfin, ils confessent spontanément et hautement qu’il est « le Saint de Dieu » . Marc, i, 24 ; Luc, iv, 34. Rien d'étonnant, après cela, que Jésus lui-même revendique l’origine divine et la signification véritable de ses victoires sur les puissances des ténèbres. Aux pharisiens, qui lui imputent de chasser les démons par Béelzébub, prince des démons, Mattli., ix, 34 ; xii, 24 ; Marc, iii, 22 ; Luc, xi, 15, 19, la réponse était facile : à la rigueur, le démon pouvait se laisser chasser par des hommes qui travaillaient en réalité à l’extension de son empire ; c'était de sa part tactique prudente, diplomatie' habile, que d’accréditer ceux qui en définitive servaient sa cause ; mais Notre-Seigneur, par sa doctrine et par ses œuvres, combattait ouvertement et constamment le règne de Satan ; il n'était donc pas possible que le pouvoir dont il usait invariablement pour confondre et affaiblir les esprits infernaux, pour ruiner leur domination sur le genre humain, lui vint d’eux. Tel est le sens de cette réponse, Matth., xii, 26 : « Si c’est Satan qui chasse Satan, il est divisé contre lui-même ; comment donc subsistera son royaume ? » Non seulement Jésus chasse les démons par le pouvoir divin, mais c’est de ce même pouvoir que sont tributaires, c’est lui que mettent en œuvre tous ceux qui leur commandent avec succès ; et de ce nombre sont certains exorcistes juifs. Matth., xii, 27. Que s’il en est ainsi, l’expulsion fréquente, habituelle, des démons par Jésus est donc une preuve incontestable de sa mission divine et de l’arrivée du royaume de Dieu. Ibid., 28.

De même que dans la personne du Roi-Messie, dans celle de ses fidèles aussi le fait de commander aux esprits de l’abîme prendra la signification d’un critérium divin. Nous en avons pour garant la solennelle promesse qu’il leur a laissée en quittant la terre, Marc, XVI, 17, 18 : « Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront les démons ; ils parleront de nouvelles langues ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades seront guéris. Il Mais, de son vivant déjà, dès qu’il associe ses disciples à son ministère d'évangélisation, il les associe à son pouvoir de thaumaturge. C’est d’abord aux Douze qu’il communique, Matth., x, 1 ; Marc, vi, 7 ; Luc, IX, 1, « vertu et puissance pour chasser les démons ; » c’est ensuite aux soixante-douze disciples. Et, lorsque ceux-ci, après un premier essai heureux, reviennent auprès de lui et lui manifestent assez naïvement leur joie, disant, Luc, x, 17 : « Seigneur, les démons mêmes nous sont soumis en votre nom, » lui, tout en confirmant et en exaltant ce privilège, les avertit de n’y voir qu’un moyen de salut et les prémunit contre l’orgueil, ibid., 18-20 : « Je contemplais Satan tombant du ciel comme la foudre. Voilà que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions, et toute la puissance de l’ennemi, et elle ne pourra vous nuire en rien. Seulement, ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. » C’est que le pouvoir dont il s’agit ne constitue pas un mérite et que, de plus, son exercice, comme celui d’autres cliarismes, est subordonné à plusieurs conditions ; parfois même, il semble lié, suspendu, pour l’humiliation et l’instruction de ceux qui l’ont reçu : les apôtres ne parviennent pas à chasser le démon d’un lunatique que son père leur a

présenté, Matth., xvii, 14, 15 ; Marc, ix, 13-28 ; Luc IX, 37-44 ; et le Sauveur profite de l’occasion pour leur rappeler ou leur apprendre que la foi, une foi vive, est tout d’abord requise pour une opération de ce genre, mais qu’en outre certains démons ne peuvent être maîtrisés et expulsés que par le jeûne et la prière. Matth., XVII, 19, 20. L’exorcisme au nom de Jésus n’est donc pas toujours et fatalement efficace par luimême ; il n’a point cette vertu magique et en quelque sorte automatique qui s’attachait, dans l’opinion des Juifs, voir plus haut, à la prononciation de vocables déterminés : il y faut joindre la pratique des vertus ou l’accomplissement d’actes moraux particulièrement antipathiques aux démons. C’est ce qu’avaient oublié apparemment, ce qu’ignoraient peut-être les sept fils de Scéva, Act., xix, 13-16 ; et deux d’entre eux eurent sujet de s’en repentir, quand, en réponse à leurs objurgations, un démoniaque très dangereux « leur dit : Je connais Jésus, je sais qui est Paul ; mais vous, qui êtes-vous ?… et il se jeta sur eux, s’en rendit maître, et les maltraita si fort qu’ils s’enfuirent nus et blessés. » De l’apôtre Paul, en revanche, il est dit, quelques lignes plus haut, Act., xix, 11, 12 : « Dieu faisait des miracles extraordinaires par les mains de Paul, au point qu’on appliquait sur les malades des mouchoirs et des ceintures qui avaient touché son corps, et les maladies disparaissaient et les esprits mauvais étaient chassés. » C’est peu de temps auparavant que le même apôtre avait, à Philippes, Act., xvi, 18, expulsé d’une jeune fille le démon fatidique qui la possédait, en « disant : Je t’ordonne, au nom de JésusChrist, de sortir d’elle. Et il sortit sur-le-champ. »

4° Dans l'Église primilive. — Le pouvoir conféré par Notre-Seigneur aux apôtres et aux disciples et exercé par eux dès l’origine se conserva dans l'Église. Il était d’un usage courant et public, pendant les premiers siècles, alors que tous les chrétiens, clercs ou laïques, réussissaient à chasser les démons. Les témoignages cotitemporains concernant ce point sont nombreux. Ils nous montrent que le fait servait même aux apologistes comme argument de la divinité du christianisme. Voici quelques-uns des principaux.

Chez les Latins, Tertullien ramène souvent l’attention des païens sur ce chapitre, en insistant sur cette circonstance, qu’eux-mêmes bénéficient de la puissance accordée par le Christ à ses fidèles. Apologel., c xxiii, P. L., t. I, col. 410, il lance fièrement ce défi : « Qu’on amène ici, en présence de vos tribunaux, quelqu’un qui soit certainement tourmenté du démon. Sur l’ordre qui lui en sera donné par un chrétien quelconque, cet esprit se proclamera démon en toute vérité, comme ailleurs il se déclare faussement Dieu. » Un peu plus loin, Tertullien décrit ainsi les sentiments et l’attitude des esprits infernaux : « Craignant Dieu dans le Christ et le Christ en Dieu, ils sont soumis aux serviteurs de Dieu et du Christ : à notre contact ou à notre souffle, en rechignant et malgré eux, pour nous obéir, ils sortent des corps humains, et vousmêmes êtes témoins de leur confusion. » Au c. xxxvii, P. L., t. I, col. 526, la sotte ingratitude des païens est stigmatisée en ces termes : « Il vous a plu de nous qualifier d’ennemis du genre humain. Mais, sans nous, comment échapperiezvous à ces autres ennemis occultes qui, de toutes parts, vous envahissent et ravagent vos âmes et vos santés ? Je parle des assauts de ces démons dont nous vous délivrons sans salaire ni récompense aucune. Pour nous venger, ce serait assez de vous abandonner comme une place ouverte aux entreprises des esprits impurs. Et cependant, loin de songer à payer d’un retour quelconque une protection si précieuse, vous décidez de déclarer ennemie une race qui non seulement ne vous nuit point, mais vous est nécessaire. Ennemis, nous le sommes sans