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EXORCISME


mules d’adjuration très efficaces. L’historien Josèphe s’en est fait l’écho, dans ses Antiquités judaïques, VIII, II, 5 ; et il ajoute que cette manière de guérir était encore très en vogue parmi ses compatriotes. Le même auteur rapporte un fait qui se serait passé sous les yeux de l’empereur Vespasien et de ses officiers : un certain Éléazar aurait délivré des possédés, au moyen d’un anneau renfermant une racine très -rare indiquée dans les prescriptions salomoniennes. Appliqué au nez des patients, cet anneau leur faisait sortir le démon par les narines. Quant à la précieuse racine, couleur de feu, elle se rencontrait dans un lieu appelé Baaras et portait elle-même ce nom. Il était difficile de la découvrir, et, pour y réussir, il fallait s’astreindre à toutes sortes de précautions et de formalités minutieuses. Cf. Josèphe, De bello judaico, VII, vi, 3. Les exorcismes juifs se caractérisaient notamment par l’habitude d’y proférer certains termes, d’y invoquer certains noms auxquels on reconnaissait une vertu intrinsèque et mystérieuse ; c’étaient des noms des bons anges, employés seuls ou combinés avec le nom d’El (Dieu). C’est peut-être, au fond, la même théorie que nous retrouvons plus tard dans beaucoup de commentateurs coraniques, d’après lesquels Mahomet aurait admis, sous la dénomination de daivah (appel), la pratique des charmes, des amulettes, des incantations, à la seule condition qu’il n’y fîit fait usage que des noms d’Allah, des bons anges et des bons génies. Cf. Hughes, Dictionarij of islam, art. Dawah. Ajoutons du reste que certaines sectes musulmanes, telle celle des Wahabis, sont plus sévères et rejettent comme illégitime une invocation quelconque des esprits. Leur interprétation semble s’accorder davantage avec cette maxime, que la tradition attribue au Prophète, Mischkâlu’l-Masabîli, xxi, c. i : « Il n’y a point’de mal dans les enchantements, aussi longtemps que vous n’y associez rien à Dieu. » Quoi qu’il en soit, chez les Juifs, une sorte de confiance aveugle et superstitieuse en des noms déterminés, variables d’ailleurs suivant les temps et les lieux, était très ancienne et très enracinée. Il semble bien que ce soit à un sentiment analogue qu’aient obéi les sept fils de Scéva, dont il est question, Act., xix, 13 sq., quand ils tentèrent de marcher pour ainsi dire sur les brisées du grand apôtre d’Éphèse, en € invoquant le nom du Seigneur Jésus sur ceux qui avaient des esprits malins et en disant : Je vous adjure par Jésus que Paul prêche. » Au demeurant, et en dépit des erreurs du vulgaire et des abus où elles se reflétaient, il paraît certain qu’en Palestine plusieurs des contemporains du Sauveur étaient doués d’un pouvoir réel pour l’expulsion des démons. « Ce n’était pas, remarque Stapfer, La Palestine au temps de Jésus-Clirist, Paris, 1885, p. 243, le plus instruit qui était le plus propre à cette œuvre de bienfaisance, mais le plus religieux. Plus on était pieux, plus on était apte à guérir les malades, c’est-à-dire à chasser les démons, et quelques-uns y passaient pour fort habiles. » C’est pourquoi Notre-Seigneur peut dire aux pharisiens, qui cherchaient à déprécier son œuvre et sa puissance en l’accusant de commander aux démons au nom de Béelzébub : « Et vos fils, par qui les chassent-ils donc ? » Si les exorcismes juifs n’avaient pas été parfois efficaces, le divin Maître n’aurait point parlé de la sorte. Il ne saurait (’Ire question ici d’argumentation ou de réfutation ad homincm, comme si Jésus avait pu faire sienne par manière de simple supposition la conviction erronée de ses interlocuteurs ; car nous apprenons par un autre endroit, Marc, ix, 37, 38, qu’informé de la conduite de quelqu’un qui, sans être de ses disciples, commandait pourtant en son nom au démon et s’en faisait obéir, il refusa de le blâmer et de l’empêcher. Saint Irénée avait sans doute en vue les conjurations pratiquées dans le judaïsme, quand il

écrivait, Cont. hser., 1. II, c. vi, n. 2, P. G., t. vii, col. 724, que, « par l’invocation du nom du Tout-Puissant, même avant la venue de Notre-Seigneur. les hommes étaient délivrés des esprits méchants et de tous les démons ; » mais il allait plus loin, et il attestait, ibid., col. 725, que, « de son temps encore, les Juifs mettaient les démons en fuite en prononçant le nom de Jésus, parce que tous les êtres craignent l’invocation de leur auteur. » Cf. F. Weber, System der allsynagogalen palàslinisciwn Théologie aus Targum, Midrasch und Talmud, Leipzig, 1880, p. 242-250 ; V. Boussct, Z)(e Religion des Judentums imneutestamentlichen Zeitaller, Berlin, 1903. p. 326-336 ; L. Blau, Das altjudische Zauberwesen. Strasbourg, 1898 ; O. Weber, Dâmonenbescluvôrung bei den Babyloniern und Assyriern, Leipzig, 1906.

3° Dans le ministère de Notre-Seigneur et des apôtres.

— La délivrance des possédés occupe une place très considérable dans la vie publique du Sauveur, comme on le voit, soit par les cas spéciaux que racontent les évangélistes, soit surtout par les formules générales dans lesquelles ils résument de temps à autre son ministère. C’est ainsi que saint Marc écrit, i, 32-34, 39 : « Le soir venu, on amena à Jésus tous les malades et les possédés du démon… ; et il chassa de nombreux démons. .. Il prêchait dans les synagogues et dans toute la Galilée, et il chassait les démons. » Saint Matthieu dit de même, iv, 23-24 : « On lui présenta tous ceux qui étaient malades…, et les possédés du démon, et il les guérit. » Et saint Luc, vii, 21 : « Jésus guérit beaucoup de personnes qui avaient des maladies… et des esprits mauvais. » Au chapitre suivant, viii, 2, il signale. parmi ceux qui accompagnaient le Maître, " quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits malins et de maladies, entre autres Marie, appelée Madeleine, de laquelle étaient sortis sept démons. » Il mentionne encore, xiii, 22, cette parole significative, en laquelle Jésus lui-même condensa un jour les diverses formes de son activité : " Voici que je chasse les démons et que j’opère des guérisons ; » idée sommaire reproduite dans cette remarque de saint Pierre à propos du centurion Corneille, Act., x, 38 : « Il a passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient sous l’empire du diable. » Les cas spéciaux d’expulsion rapportés dans les Évangiles sont au nombre de sept : 1 » le démoniaque de Capharnaiim, Marc, i, 21-28 ; Luc, IV, 31-37 ; 2° un possédé aveugle et muet, dont la délivrance donna lieu au blasphème des pharisiens, Matth., XII, 22-23 ; Luc, XI, 14 ; 3° les démoniaques de Gérasa, Matth., viii, 28-34 ; Marc, v, 1-20 ; Luc, VIII, 26-39 ; 4° le possédé muet, Matth., ix, 32-34 ; 5° la fille de la Chananéenne, Matth., xv, 21-28 ; Marc, VII, 21-30 ; 6° le jeune lunatique, Matth., xvii, 14-20 ; Marc, IX, 13-28 ; Luc, ix, 37-44 ; 7° la femme courbée, Luc, XIII, 10-17. Cf. Fillion, Les miracles de N.-S. Jésus-Clu-ist, Paris, 1910, t. ii, p. 238, 239.

Dans toutes ces occurrences, la manière dont Notre-Seigneur s’exprime et agit n’est pas moins remarquable que le résultat obtenu. Chaque fois qu’il délivre un démoniaque, Jésus s’adresse impérativement au démon, il lui parle en maître, il lui parle en Dieu. Il se sert même, par exemple à Capharnaiim, Matth., xvii, 17, de formules dont le laconisme absolu et autoritaire n’admet évidemment aucune réplique ; il joint parfois, comme à Capharnaiim encore, à Gérasa et au pied de la montagne de la transfiguration, la réprimande au commandement ; et invariablement le démon s’exécute sans ombre de résistance. Dans le cas de la fille de la Chananéenne, la guérison, instantanée comme toujours, s’opère en outre à distance. Les esprits malfaisants se sentent au supplice en présence de Jésus-Christ, et ils le proclament. Ils se plaignent à lui qu’il vienne les perdre et les torturer avant le