Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/233

Cette page n’a pas encore été corrigée
1765
1766
EXORCISME


Dans la Grèce antique, c'étaient surtout des femmes qui exerçaient l’art des exorcismes. On dit que la mère d'Épicure et celle d’Escliine furent de ce nombre. Leurs fils ont été fortement accusés, le premier par les stoïciens, et le second par Démosthène, d’avoir pris part à des pratiques de ce genre. Sur les exorcismes chez les Grecs, voir O. Habert, La religion de la Grèce antique, Paris, s. d. (1910), p. 430.

Parmi les peuplades sauvages contemporaines, très nombreuses et très variées sont les cérémonies auxquelles on a recours pour soustraire soit les lieux, soit les personnes, soit des objets quelconques aux nuisances des esprits. Contre ces ennemis invisibles, les moyens de persuasion et les moyens violents sont également de mise ; tantôt ce sont des incantations, des purifications, des gestes suppliants ou inoffensifs, des chants tendres ou dolents qu’on leur oppose ; tantôt, ce sont de grands vacarmes, des assauts guerriers avec bâtons, lances, accompagnement de cris, de hurlements, d’appels retentissants à des esprits plus forts ; tantôt, c’est l’eau et le feu, par inondation ou incendie. Aux Indes orientales, le malade dont l’infirmité est considérée comme le résultat d’une possession doit parfois danser autour d’un petit navire, jusqu'à ce que l’esprit passe dans ce navire et soit emporté à vaul’eau. En d’autres cas, on frappe le malade ou l’on met en œuvre divers procédés dont l’efllcacité réside surtout dans leur force suggestive. Dans le Dakota, le médecin chante auprès du lit de son client ce refrain : hi-le-li-lah ! en s’accompagnant d’un instrument de musique ; il colle ensuite ses lèvres sur le siège du mal et aspire fortement, dans l’intention d’attirer à lui et de faire sortir l’esprit, qui est censé prendre la fuite pendant qu’on tire des coups de fusil à la porte de la tente. Chez les Zoulous, ce sont les âmes des morts que souvent on rend responsables des mécomptes et des calamités, et l’on espère se libérer en se plaignant à elles ou en leur sacrifiant une pièce de bétail. Cf. Frazer. Golden bough, t. iii, p. 189 ; Krafft, 'Ausfiirliche Historié von Exorcismus ; King, op. cit. ; Herzog, dans Realencyclopàdie, art. Exorcismus.

Dans bien d’autres contrées du globe, les schamans ou devins croient également se tirer d’affaire au moyen d’un sacrifice aux esprits. Voici, d’après un témoin oculaire, qui a observé les faits à loisir et avec méthode, Mgr Leroy, La religion des primitifs, p. 34 7 comment sont traités les possédés dans l’Afrique bantoue : » Parfois, l’esprit possesseur est d’origine humaine, mais le plus souvent c’est de ces êtres malfaisants et pervers dont l’origine est mal connue, et qui n’a pour l’homme que jalousie, rancune et colère. La première chose à faire en pareil cas est d’appeler un spécialiste, qui fera parler l’esprit et saura à quel exorciste s’adresser pour délivrer le malade. L’homme de l’art arrive, il demande à son tour à l’esprit qui il est, pourquoi il est entré là, ce qu’il exige, etc. ; puis, ces préliminaires accomplis, on se met en mesure de le satisfaire. Parfois il ne veut rien dire et le sorcier doit suppléer à ce mutisme ; mais le plus souvent, il parle et on lui obéit. Finalement, après des tam-tams, des danses rituelles et des cérémonies fort compliquées et fort longues — elles peuvent durer plusieurs jours et plusieurs nuits — un sacrifice est offert, le sacrifice demandé, le possédé boit le sang de la victime, les assistants s’associent à cette « communion » , et l’esprit s’en va.. quelquefois. S’il reste, tout est à recommencer, mais alors on fait appel à un autre sorcier, a Est-il besoin d’ajouter que, s’il s’en va, c’est-à-dire si le malade éprouve, à la suite de toutes ces démonstrations, un soulagement quelconque, la suggestion peut n’y être pas étrangère ? C’est encore un missionnaire qui, parlant du théâtre de son activité évangélisatrice, de la Mand chourie, écrit, Anna ?es de la propagation de la foi, 1877, n. 287 : « Le païen aime beaucoup ses tsamas ou devins ; s’il est malade, il les appelle auprès de lui. Le tsama se coiffe alors de son divin casque, le chên-mào, s’entoure les reins d’une ceinture de grelots, et le voilà qui exécute par la cour et la chambre ses mille gambades ridicules, évoquant l’esprit qui doit lui apporter le remède infaillible pour sauver le malade. Tout le monde est debout, le tambour resonne ; et, si le moribond ne trépasse pas à ce vacarme, du moins ne s’en porte-t-il guère mieux. » Un autre moyen, déjà mentionné plus haut, celui de la succion, fréquemment combiné avec le massage, nous est aussi garanti par des témoignages immédiats et dignes de foi. Il est très employé dans les Antilles et dans l’Amérique du Nord. Un missionnaire des Montagnes Rocheuses le décrit de la façon suivante : « Le mal ne doit pas résister longtemps à ses conjurations. Si toutefois il venait à empirer, alors elle (la sorcière) a recours à des procédés plus énergiques et plus puissants : elle applique sa bouche sur la partie malade, et, au moyen d’une forte aspiration, elle parvient à extraire soit un petit morceau de bois, soit un os, soit un grain de sable ou un autre objet de ce genre, qu’elle produit aux yeux de tous les assistants ébahis. » Enfin, il y a des cas et des milieux où l’exorcisme consiste surtout à souffler sur le patient. Les remèdes eux-mêmes que prescrit le féticheur sont censés n’agir que par l’esprit qu’ils contiennent et qui chasse l’esprit malfaisant, cause de la maladie. Voir A. Bros, La religion des peuples non civilisés, Paris, 1907, p. 43 sq.

Dans l’Ancien Testament et chez les Juifs.


Il est parfois fait mention, par les auteurs inspirés de l’Ancien Testament, de sortilèges et d’enchantements tendant à prévenir ou à éloigner un malheur ; ainsi Isaïe, XLVii, 9, 12, raille les magiciens de Chaldée, qui s'épuisent en vains efforts pour détourner de Babylone la ruine qui la menace. Nulle part, en revanche, on ne nous parle de démons expulsés par le ministère d’un homme. Au livre de Tobie, viii, 3, c’est l’ange Raphaël lui-même qui intervient pour écarter de Sara l’esprit auquel est attribuée la mort de ses premiers maris ; c’est lui qui « le saisit et l’enchaîne dans le désert de la Haute-Egypte. » Nous le voyons, il est vrai, commander au jeune Tobie, vi, 8, 19 ; viii, 2, de faire brûler sur des charbons le cœur et le foie du poisson qu’ils ont pris, en assurant que la fumée ainsi produite a la vertu de mettre en fuite toute espèce de démons. Mais, au jugement des meilleurs interprètes, cet ordre n’aurait eu d’autre but, dans la pensée du céleste messager, ni d’autre effet que de cacher provisoirement la personnalité de celui qui le donnait et la puissance qui entrait en jeu.

En dehors de la Bible, il ne manque pas de témoignages historiques établissant que les Juifs opposèrent de bonne heure des exorcismes à l’action des démons. Le Talmud, tr. Schûbbath, xiv, 3 ; Avodali Zarah, XII, 2 ; Sanhédrin, x, 1, nous en fait connaître certains rites, celui, par exemple, de répandre de l’huile sur la tête de l’exorcisé. Ces procédés ressemblent par plus d’un détail à ceux qui avaient cours chez les Égyptiens et les Chaldéens, et il n’est pas improbable qu’ils en proviennent au moins partiellement. On a retrouvé des prières de même destination, gravées sur la face intérieure de coupes en terre cuite qui remontent vraisemblablement au vii<e siècle de notre ère et dont un bon nombre sont maintenant au Musée royal de Berlin. Les inscriptions de cette collection ont été publiées et traduites par Wohistein, dans la Zeitsclvift fiir Assyriologie, décembre 1893 et avril 1894. Il existait chez les Juifs une tradition populaire d’après laquelle Salomon, ayant reçu de Dieu le pouvoir de chasser les démons, aurait composé à cet effet des for-