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EXORCISME


L’exorcisme est donc, à proprement parler, une adjuration au démon pour l’obliger à évacuer un lieu, à abandonner une situation, à rendre à la liberté une personne qu’il détient plus ou moins en son pouvoir. L’adjuration se fait soit sous forme d’ordre intimé directement au démon, mais au nom de Dieu ou de Jésus-Christ, soit sous forme d’invocation, de supplication adressée à Dieu et à Notre-Seigneur, en vue d’obtenir qu’ils donnent l’ordre d’expulsion ou qu’ils en assurent l’exécution. Pour un chrétien, cet acte ne va pas sans la croyance à la souveraine puissance de Dieu sur les démons ; il n’en est même qu’une application pratique. Voir Démons et Démoniaques. Par là même, l’exorcisme constitue un acte insigne de foi et de religion. Mais abstraction faite de la pensée qu’il traduit au dehors et de la manière dont il est accompli, à le prendre de façon plus générale et simplement en tant qu’adjuration ou conjuration des démons, en tant que prière ou cérémonie préservative ou défensive contre eux, il s’en faut qu’il soit l’apanage exclusif du christianisme : il était ou est en usage dans le judaïsme et dans différentes formes du paganisme tant ancien que moderne, où nous le trouvons mêlé à toutes sortes d’aberrations et d’abus superstitieux. On aurait tort de s’en étonner ou de s’en scandaliser. Il en va de cette manifestation de la croyance et de la vie religieuse comme de toutes les autres, qui sont sujettes à déformations et peuvent donner lieu à méprises. Mais si la malice ou la sottise humaine abuse d’un principe, d’une coutume, d’une institution, ce n’est pas une raison pour qu’on doive soit incriminer soit rejeterl’institut ion même, la coutume ou le principe. IL Histoire. — 1° Parmi les païens. — On sait combien la croyance à des êtres spirituels, supérieurs donc à notre monde et à nos activités sensibles, a été, de tout temps, répandue parmi les peuples de l’univers. A notre époque moins qu'à aucune autre il serait permis de douter de ce fait. Quiconque s’est tant soit peu occupé des recherches de la science des religions, connaît la place qu’y tiennent actuellement les théories s’inspirant de l’animisme. Constatant que l’existence des esprits a été connue par les ancêtres les plus lointains de l’humanité, qu’elle est encore communément admise par les peuples les plus sauvages, au point que souvent ils ne distingueraient pas leur action de celle des causes purement naturelles et iraient même jusqu'à méconnaître la différence essentielle entre êtres animés et êtres inanmiés, des ethnographes et d’autres chercheurs, en grand nombre, ont prétendu trouver dans ce seul élément historique l’explication naturelle et pleinement suffisante du phénomène religieux, dont ils ne peuvent plus nier l’universalité. Sans vouloir ici ni discuter ni même signaler les côtés hasardeux ou manifestement exagérés d’un semblable système, rien ne nous empêche d’accepter, avec ses défenseurs, la substance du fait qui lui sert de point de départ, le fait de la croyance générale aux esprits ; et, avec eux aussi, nous pouvons noter que, partout et toujours, on a été persuadé non seulement que ces esprits entraient en contact avec l’homme et pouvaient lui être utiles ou lui nuire, mais que certains d’entre eux sont malfaisants par tempérament ou par habitude. « Outre les âmes d’origine humaine, dit Mgr Leroy, analysant la psychologie des non civilisés, La religion des primitifs, Paris, 1909, p. 84, il est d’autres esprits ou génies, les uns bons et protecteurs, les autres plus ou moins indifférents, les autres méchants, qui vaguent dans l’espace, ou affectionnent tel ou tel endroit, ou s’amusent à produire tel ou tel phénomène. C’est là le monde invisible et mystérieux, distinct de l’autre, mais qui lui est toujours mêlé dans ses différentes manifestations. » Cette conception des esprits posée, quoi de plus naturel que de songer à se proté ger contre eux, à écarter leur influence pernicieuse, à repousser leurs agressions ? De là l’usage des conjurations des démons. On en relève des traces dans les monuments de l’antiquité classique et préclassique ; en notre siècle même, les explorateurs et les missionnaires en recueillent de toutes parts et en publient des détails savoureux et significatifs.

Les Égyptiens mettaient sur le compte des démons beaucoup de maladies et d’autres misères humaines. Ils croyaient à l’efficacité des incantations et des rites magiques pour s’en délivrer. Les morts en particulier avaient, pensaient-ils, grand besoin d'être fortifiés par des pratiques de ce genre pour leur périlleux voyage d’outre-tombe. D’exorcisme proprement dit on ne cite pas d’exemple dans les annales de l’Egypte ancienne. Un cas célèbre paraît, pourtant, s’en rapprocher. C’est celui de la fille du prince de Bakhtan, Bintroshit, qui dépérissait sous l’action d’un esprit possesseur et qui ne put être délivrée que par le dieu Khonsou en personne, venu expressément de Thèbes à cette fin, après que 1 hotemhabi, chef des magiciens royaux, se fut déclaré impuissant. Mais il faut remarquer qu’en cette occurrence le démon, mis en présence du dieu, déclara se retirer spontanément et gracieusement ; il demanda seulement, « avant de regagner les lieux d’où il était venu, » et obtint que le prince de Bakhtan donnât une grande fête en son honneur et le comblât de présents. Cf. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, 6e édit., Paris, 1904, p. 336, 337 ; Budge, Egyptian magie, Londres, 1899, p. 206 sq. ; Ph. Vircv, La religion de l’ancienne Egypte, Paris, 1910, p. 223-225.

Les monuments de la Chaldée et de la Babylouie nous montrent également la magie venant, par des conjurations, au secours de la médecine. Au-dessous des grands dieux s’agite un peuple innombrable de démons et d’esprits, échappés de l’enfer, qui s’insinuent partout, se dissimulant, pour nuire à coup sûr, et se transformant de mille manières. Certains d’entre eux s’attaquent à l’ordre général de la nature et s’efforcent de le bouleverser. D’autres se mêlent aux hommes pour faire le mal. « De maison en maison ils pénètrent ; dans les portes, comme des serpents, ils se glissent. Ils empêchent l'épouse d'être fécondée par l'époux ; ils ravissent l’enfant sur les genoux de sa mère ; ils font fuir la femme libre de la demeure où elle a enfanté ; ils poussent le fils hors de la maison du père. » Ils se tiennent de préférence cachés dans les lieux déserts, d’où ils ne sortent que pour harceler les êtres humains et les animaux. Ils s’introduisent dans les corps et ils y fomentent des maladies. Pour leur résister, l’homme doit se ménager des alliés parmi les autres esprits et parmi les dieux, se munir d’armes défensives et offensives, en un mot avoir recours à la magie. « Le culte des premiers habitants de la Chaldée, dit M. Maspero, op. cit., p. 164-166, est une véritable magie où les hymnes à la divinité prenaient tous la touTuure d’incantations : le prêtre y est moins un prêtre qu’un sorcier. » Les formules d’adjuration employées par les Babyloniens consistaient en invocations adressées à un dieu, à une déesse ou à un groupe de personnages divins, pour obtenir l'éloignement de l’esprit malin et la réparation de ses méfaits. En voici un échantillon, cité par Sayce, Hibbert lectures, 1887, p. 441 : « Le démon qui envahit un homme, le démon qui impose sou joug à un être humain, le démon malfaisant, le méchant démon, conjure-le, ô esprit^du ciel, conjure-le, ô esprit de la terre. » Voir aussi King, Babylonian magie and sorcery, Londres, 1896. Sur les exorcistes babyloniens, voir J. Lagrange, Éludes sur les religions sémiliqucs, 2<-- édit., Paris, 1905, p. 222233 ; P. Dhorme, La religion assyro - babylonienne, Paris, 1910, p. 284-291.