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EUCHARISTIE D’APRÈS LE CONCILE DE TRENTE


doute, voir dans cette parole qu’une boutade, car le zèle que déploya Luther pour défendre la présence réelle contre les sacramentaires semble indiquer chez lui une franche et entière conviction beaucoup plus qu’une maussade résignation.

De fait, les diverses confessions proprement luthériennes affirment toutes ce dogme. La Confession d’Augs bourg, de 1530, a. 10, énonce ainsi la croyance des Églises : « Elles enseignent que le corps et le sang du Christ sont vraiment présents dans la cène du Seigneur et qu’ils sont distribués aux communiants ; elles blâment ceux qui disent le contraire. » Tittmann, Libri symbolici Ecclesiæ evangelicæ, 1827, p. 14. Mélanchthon, dans son Apologie de la Confession d’Augsbourg, rappelle les textes scripturaires et traditionnels qui lui permettent de conclure que le corps et le sang du Christ sont « vraiment et substantiellement » présents dans la cène. Ibid., p. 123. Luther n’est pas moins affirmatif dans les articles de Smalkalde de 1537 ; l’art. 6 de la troisième partie est ainsi conçu : ’( Sur le sacrement de l’autel, notre croyance est que le pain et le viii, à la cène, sont le vrai corps et le vrai sang du Christ, et que non seulement les chrétiens pieux, mais les impies eux-mêmes les reçoivent. » Ibid., p. 253. Les mêmes expressions se retrouvent dans son Petit et son Grand catéchisme. Ibid., p. 296, 423. Et enfin la Formule de concorde, a. 8, qui est postérieure à Luther, mais qui présente la forme définitive de la doctrine luthérienne, après avoir afiirmé cette croyance à la présence réelle, déclare qu’il est impossible de comprendre autrement les paroles de l’institution.

Ces paroles furent, en effet, le grand argument de Luther ; il fut, contre les sacramentaires, un ardent champion du sens littéral, et il s’en vantait ; dans une lettre de 1534, citée par Bossuct, Histoire des variations, 1. II, 31, il écrivait : « Les papistes eux-mêmes sont forcés de me donner la louange d’avoir beaucoup mieux défendu qu’eux la doctrine du sens littéral. Et en effet je suis assuré que, quand on les aurait tous fondus ensemble, ils ne la pourraient jamais soutenir aussi fortement que je fais. » Cf. K. G. Goetz, Die heulige Abendmahlsfrage in ilirer geschichtlichen Entwicklung, Leipzig, 1907, p. 50-55.

b) Les sacramentaires. — Le premier qui, dans la Réforme, osa nier la présence réelle fut Carlostadt. D’abord acquis aux idées de Luther, il ne tarda pas à se séparer de lui par sa violence et ses exagérations. Il eût voulu une religion toute invisible et n’acceptait les actes extérieurs que comme des symboles et non comme des causes des réalités intérieures. On connaît la manière dont il fut amené à se déclarer ouvertement contre la présence réelle et à ressusciter les vieilles erreurs de Bérenger. Voir Carlostadt, t. ii, col. 1752 ; Bossuet, Histoire des variations, 1. II, 11. La façon dont il essayait d’interpréter les paroles si claires de l’institution de l’eucharistie montre ce que son exégèse avait de peu sérieux ; il soutenait que, par ces paroles, Jésus-Christ, tout en donnant du pain à ses apôtres, se montrait lui-même, « imagination si ridicule, remarque Bossuet, qu’on a peine à croire qu’elle ait pu entrer dans l’esprit d’un homme. » Voir plus haut, t. II, col. 1754 ; Goetz, op. cit., p. 56-58.

En Suisse, la présence réelle rencontra des adversaires tout aussi acharnés, mais bien autrement armés. Ce furent surtout Zwingle de Zurich et Œcolampade de Bâle. Le premier mit à attaquer ce dogme son esprit et sa véhémence ; le second, une telle science et une éloquence si persuasive que, disait Érasme, « il y avait de quoi séduire, s’il se pouvait et que Dieu le permît, les élus eux-mêmes. » Episl., i. XVIII, epist. IX ; Bossuet, Histoire des variations, 1. II, 25. Pour eux, il n’y avait dans l’eucharistie ni miracle, ni

mystère, mais un simple symbole saisi par la foi et destiné à ranimer la foi ; le pain rompu représente le corps du Sauveur immolé, le viii, son sang répandu, et par la vertu de ces signes sacrés, le chrétien se trouve reporté au souvenir du salut mérité par le Christ. Une comparaison employée par Zwingle, dans un Mémoire qu’il adressa « aux princes allemands réunis à l’assemblée d’Augsbourg » , nous fait comprendre sa doctrine : » Quand un père de famille doit s’en aller au loin, il donne à son épouse son anneau sur lequel il a gravé son portrait et lui dit : Me voici, moi, ton mari ; je ne te quitte point ; même pendant mon absence, tu pourras jouir de moi. Ce père de famille représente bien Notre-Seigneur Jésus-Christ. En s’en allant, il a laissé à l’Église, son épouse, sa propre image dans le sacrement de la cène. » Quant aux paroles de l’institution, tous deux les expliquaient facilement : le Christ n’a-t-il pas dit : Je suis la vigne ; je suis la porte ? Ne lisons-nous pas dans l’Exode que l’agneau était la Pâque ? Ici comme dans ces textes, il n’y a que l’affirmation d’un symbole, soit que l’on traduise le mot InTÏ pav signifier, comme faisait Zwingle, soit qu’on voie dans no>ij.a (aou la figure de mon corps, comme faisait Œcolampade. Cf. Goetz, op. cit., p. 58-75.

Entre Luther et les sacramentaires, la discussion fut vive ; avec une ardeur où la rancune personnelle entrait peut-être autant que la conviction, Luther poursuivait sans relâche ses adversaires, lesquels eux-mêmes ne désarmaient pas. En vain essaya-t-on de rétablir la paix dans une conférence tenue à Marbourg en 1529. Luther et Zwingle s’entendirent sur tous les points, excepté sur la présence réelle, et Calvin pouvait écrire à Mélanchthon ces mots attristés : « Il est de grande importance qu’il ne passe aux siècles à venir aucun soupçon des divisions qui sont parmi nous ; car il est ridicule au delà de tor.l ce qu’on peut s’inuiginer, qu’après avoir rompu avec tout le monde, nous nous accordions si peu entre nous dès le commencement de notre Réforme. » Aussi des opinions intermédiaires furent-elles bientôt imaginées. Cf. Goetz, op. cit., p. 78-97.

c) Bucer et Capiton. — On peut à peine donner ce nom aux formules vagues et équivoques par lesquelles Bucer et Capiton de Strasbourg essayèrent de contenter les deux partis. La Confession de Strasbourg ou des quatre villes, rédigée par le premier en 1530, affirme au c. xviii la vérité de la présence du corps et du sang du Christ dans la cène ; mais les commentaires dont sont accompagnées ces affirma-, tions permettent de les entendre dans le sens de Zwingle aussi bien que dans celui de Luther. Ainsi en est-il de tous les articles inspirés par lui et par lui proposés àLuther ou aux sacramentaires, par exemple, des articles de Wittemberg et de la deuxième Confession de Bâle en 1536. il n’y faut voir ni une doctrine précise, ni l’expression adéquate de la pensée de ceux qui les signaient, mais de simples compromis dans lesquels, au moyen d’une formule ambiguë, des pensées divergentes s’efforçaient de donner l’illusion de l’unité. Cf. Bossuet, Histoire des variations, 1. III, 13-14 ; 1. IV, 19, 23.

d) Calvin. — Une opinion vraiment moyenne fut celle de Calvin. Il l’exposa dans son Traité de la cène, 1540 ; il lui donna sa forme définitive dans la dernière édition de VInslilulion de ta religion clirétienne.

Calvin est un adversaire résolu de la présence réelle entendue au sens catholique ; il y voit un abaissement indigne du Christ glorifié, un état incompatible avec la nature d’un vrai corps humain : « Tenons donques ces exceptions fermes, assavoir que nous ne permettions point qu’on dérogue à la gloire céleste de nostre Seigneur Jésus, ce qui se fait quand on le