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EVANGELIQUE (ÉGLISE)


plus apparents, pour les pays de langue allemande, de la Réforme. Des différences dogmatiques essentielles les séparaient. Or, dès le xviie siècle, se produisent des tentatives d’union. Elles se rattachent surtout au nom de Leibniz et ont un caractère spéculatif très marqué. C’est avant tout la recherche de formules d’entente pour les points controversés. Mais l’indifférence du siècle suivant amoindrit considérablement dans les esprits le sens et la portée de ces controverses. Ainsi se prépara le terrain sur lequel le roi de Prusse, FrédéricGuillaume III, voulut établir l'édifice de l'Église évangélique.

Dès le début de son règne (1797), il avait exprimé l’espoir de réunir luthériens et calvinistes en une seule communauté. Et déjà aussi il avait conçu, comme moyen de réaliser ce projet, la publication d’un rituel (Agenda) qui servirait aux deux confessions. Mais la tourmente révolutionnaire, puis la tourmente napoléonienne, avaient arrêté ses plans. Pourtant, même alors, l’idée faisait son chemin parmi les théologiens protestants. En 1803, Planck publiait son écrit sur La séparation et la réunion des grandes confessions chrétiennes. Il y constatait l’affaiblissement des différences dogmatiques, en quoi il voyait une mesure de la providence pour faciliter le retour à l’unité première. La même année, Schleiermacher répondait à Planck par ses Deux avertissements préalables à propos des affaires de l'Église protestante. Lui aussi demandait l’union, mais il ne la croyait possible que si l’on n’exigeait aucun sacrifice, ni dogmatique, ni rituel. Il suffisait que l'État ne mît plus d’entraves au passage des fidèles d’une communion à une autre communion. Enfin, quelques années plus tard (1812), le prédicateur de la cour, F. Sack, publiait son ouvrage Sur la réunion des deux communautés protestantes dans les limites de la monarchie prussienne. Il y réclamait, comme condition de l’union, un symbole admis de tous, comprenant le symbole des apôtres et la confession d’Augsbourg. Sur ce fondement commun devait s'élever l'édifice de la nouvelle Église évangélique.

Tel était l'état des esprits lorsque le roi de Prusse se décida d’agir. Des motifs religieux l’inspiraient certainement. C'était l'époque des restaurations dans tous les domaines. Mais les calculs politiques n'étaient pas étrangers à ses démarches. Tandis que les catholiques allemands étaient en général favorables à la maison d’Autriche, les protestants se tournaient volontiers vers la monarchie prussienne comme vers leur centre naturel. Il s’agissait de les grouper et de leur donner plus de cohésion. C’est à quoi devait servir l’entreprise de l'Église évangélique. Le roi voulut choisir l’année 1817, troisième centenaire de la Réforme, pour inaugurer cette œuvre. Le 27 septembre, FrédéricGuillaume lui-même lut, au festival de commémoraison, l’adresse mémorable qui devait inaugurer l’union. Il exprimait le désir et l’espoir < d’unir les deux grandes confessions protestantes en une seule Église chrétienne évangélique dans laquelle l'Église réformée ne passerait pas à la luthérienne, ni celle-ci à celle-là, mais où toutes deux deviendraient une nouvelle Église chrétienne évangélique chacune selon l’esprit de son saint fondateur. Il n’existait plus que des différences extérieures. En les laissant tomber, le sens chrétien et la piété familiale amèneraient de sérieuses réformes dans l'école et dans l'Église. »

Ce programme était l'œuvre du théologien du roi, Eylert. Frédéric-Guillaume III voulut donner luimême l’exemple, en prenant part, lui, calviniste, à la cène luthérienne. En même temps, il faisait publier le rituel qui devait servir tout à la fois aux deux confessions. Cet Agenda effaçait le plus possible les divergences liturgiques, tout en ne touchant à aucune question dogmatique. Un édit le rendait obligatoire

pour la chapelle du roi, l'église cathédrale de Berlin et pour toute l’armée. Son adoption universelle était seulement recommandée. Les communautés luthériennes et calvinistes gardaient la liberté de l’accepter ou de le refuser. Mais, en fait, la faveur royale était assurée à tous ceux qui s’y rallieraient et d’abondantes distributions de l’Aigle-Rouge vinrent en aide à la bonne volonté des fidèles. Aussi Schleiermacher déclarait-il, non sans une pointe d’amertume, que toutes ces distinctionssefaisaientnonprop/eracto, serfpropfcrag’encfa.

Cette action peu discrète, mais énergique, du gouvernement prussien produisit rapidement les effets naturels. Le synode de Berlin, le clergé et ses communautés de la monarchie des Hohenzollern avaient répondu très cordialement à l’appel du roi. Nassau, le Palatinat, Bade, la Hesse et leWurtemberg se décidèrent les uns après les autres à entrer dans l’union. Mais en Allemagne même, la Saxe, le Hanovre et la Bavière résistaient aux offres prussiennes. Au dehors, elles avaient encore moins d'écho. Ni la Suisse, ni l’Angleterre, ni l’Autriche protestante ne répondirent à l’invitation. Aussi Frédéric-Guillaume III résolut-il de concentrer ses elTorts dans ses domaines. En 1825, il avait réussi à rallier autour de V Agenda.5343 églises sur 7782. Les hommes les plus marquants du protestantisme prussien, l'^ylert et le savant historien Auguste Neander, soutenaient vivement la tentative de leur maître. Il pouvait croire que l'Église évangélique était définitivement fondée.

Il n’en était rien. Dans V Agenda, tout était dirigé spécialement contre le rationalisme. Il supposait l’autonomie de chaque confession. Par là même Il ne réalisait guère autre chose qu’une union nominale. De plus, la pression gouvernementale qui s’exerçait en sa faveur ne tarda pas à révolter les esprits soucieux de leur indépendance religieuse. Ce mouvement d’opposition, qui se dessine nettement dès 1827 et dont l’organe était la Gazette ecclésiastique fondée par Hengstenberg, au lieu de faire reculer le roi et ses conseillers, les poussa à une action plus énergique encore. En 1828, parut une nouvelle édition de V Agenda, qui fut, cette fois, rendue obligatoire pour toutes les communautés luthériennes et calvinistes, sauf concessions d’usages particuliers pour la Saxe, la Silésie et la Poméranie. Frédéric-Guillaume III ne cachait pas du reste ses projets de pousser la réforme encore plus loin. Il ne cherchait pas l’unité dans le dogme. En piétiste qu’il était, il haïssait les théologiens « qui prétendent être plus chrétiens que le Christ. » Mais la liturgie, forme extérieure et nécessaire de la piété, lui semblait le grand moyen d’unification. Aussi voulait-il réintroduire dans le protestantisme la confession auriculaire et l’ancienne discipline ecclésiastique.

Ces prétentions ne pouvaient manquer de choquer vivement les esprits attachés au vieux dogme protestant, llengstenberg combattait pour les vieux principes du luthéranisme. De ce côté, on voulait tout d’abord défendre l’autonomie que le roi avait promis de conserver à chaque Église. Bientôt on y ajouta une nouvelle revendication. On réclama une constitution presbytérale particulière pour l'Église luthérienne. Le gouvernement prussien considéra cette prétention comme contraire à la constitution et la déclina. h' Agenda devait être accepté eu vertu du jusliturgicum du souverain. C'était le commencement de la persécution. Un professeur de Brestau, Scheibel, qui avait refusé de se soumettre, fut suspendu de ses fonctions. Plusieurs ministres subirent le même sort. Un certain nombre de communautés, en Silésie et en Posnanie, s'étant solidarisées dans ce refus avec leurs pasteurs, on envoya des troupes pour les réduire. On n'épargna ni la saisie des biens, ni aucune espèce de violence. Des milliers de rénitents furent obligés de fuir en Amé-