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EUTYCHÈS ET EUTYCIII ANISME

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cord touchant la vérité elle-même. De part et d’autre on confessait un seul et même Verbe incarne, vrai Dieu et vrai homme, consubstantiel au Père et à nous, sans mélange, sans séparation du Dieu et de l’homme quant à l’existence individuelle. De part et d’autre on rejetait avec horreur l’impiété de Nestorius et la folie d’Eutyches… La différence était totalement et exclusivement dans l’exposition dogmatique et scientifique de la christologie ; la querelle provenait d’un immense malentendu sur le sens des deux formules : Une nature de Dieu le Verbe incarnée, et : En deux natures après l’union. » On voit que le savant belge n’a pas été le premier à faire cette découverte. Un latin du commencement du vie siècle avait fait la même constatation, et sa manière d’apprécier le caractère de ces controverses nous paraît plus juste. La querelle était moins « un immense malentendu » qu’un immense entêtement de la part des sévériens, qui étaient avant tout des schismatiques. Les polémistes catholiques, en effet, reconnaissaient en général la légitimité des formules cyrilliennes, et montraient qu’on pouvait en donner des explications orthodoxes. C'étaient les sévériens qui s’entêtaient et refusaient d’attribuer au mot çjtji ; un sens différent du leur, s'écartant en cela de la condescendance de saint Cyrille, dont ils se réclamaient tant. L’ambitieux Sévère a certainement aperçu l’orthodoxie foncière des Chalcédoniens, mais il n’a voulu faire aucune concession sur la terminologie par une crainte ires vaine, timorés inonissimi, du ncstorianismc, crainte qui ne vient pas uniquement du zèle pour l’orthodoxie, mais qui est bien plutôt fdle de l’esprit de schisme. Nous trouvons dans cette querelle monopliysite, dans cette inextinguible logomachie, l’image exacte (le la querelle que soulèvera plus tard Photius et d’où sortira le schisme grec. M. Lebon écrit encore, p. 51.5, que « moins heureux que les évêques du synode alexandrin de 362, qui discutaient aussi sur des mots, les catholiques et les monophysites ne trouvèrent pas d’Athanase. » Nous ne saurions souscrire à cette conclusion, après avoir lu les ouvrages de certains apologistes des formules chalcédoniennes. Les Athanases ne manquèrent pas, mais les monophysites ne voulurent point les écouter.

Jean Maxence sait que les acéphales (un des nombreux noms qui désignaient les sévériens) donnent à çJTi ; le sens de nature-personne et cju’ils rt connaissent dans le Ciirist ce que nous appelons les deux natures : Pcrgimus nnnc illnrum rcspondcre definitionibus, qui lapsii miserabili corrucnies, novis et exquisilis arguinentedionibus nejurium dogma Christi ecclesiis moliuntur inferre, et Deum et hominem, Verbum et carnem confitentes, unarn post ndunaiionem in Christo naiuram, slulte nimis impudente rque conantur astruere, quia, inquiunt, non esse naturam sine persona… Si volærint dicere : Verbum incarnatum sive unam naturam Dei Verbi incarnatam, eu ipso quo hoc dicunt, diias procul dubio dicere convincuntur in Christo naturels, duarumque, non unius nomina naturarum, ejus videliccl, qui incarnatus es !, id est, Verbi Dei, et ejus quæ ab ipso assumpta est, id cst, carnis. Libellas contra acephulos. P. G., t. Lxxxvi, col. 111,.114. En bataillant contre Sévère, dont il ne paraît pas saisir toujours les subtiles di tinctions, le moine Eustathe arrive cependant à constater qu’une seule chose au fond le sépare du docteur monophysite : celui-ci ne veut à aucun prix donner le nom de çj^i ; à la nature humaine, bien qu’il aflirme sa permanence dans l’union : « Si hi nature Iiumaine, dit Eustatlie, gard' après l’union tous les autres noms, si on peut l’appeler humanité, âme, corps, chair, mais qu’il faille lui refuser seulement le litre de oJo-c ; quelle étrange absurdité que celle-là ! N’est-ce point une invention des amis

des docètes ? » Epist. ad Timolheum scholastieum de duabus natiiris adversus Sererum. P. G., ibid., col. 916. Eustathe, on le voit, a très bien aperçu la logomachie.

Le prêtre Timothée de Constantinople distinguait vers l’an 600 douze sectes de séparés (oi Scazpivoij.svoi) c’est-à-dire d’antichalcédoniens. Or, de ces douze sectes une seule se réclamait d’Eutj^chès, la première, celle des eutychianistes, e-JT-j/tavirrrac'. Cet auteur ajoute : -Les eutychianistes reconnaissent Dioscore en même temps qu’Eutyches, mais tous les autres n’acceptent que Dioscore et repoussent Eutychès, ci Se /otTto' ; TrâvTE ; Aiô(7xopov (xîv SÉyovtai, K-Jx-j'/ix 6à où îe’yovxa ;. De receptionc hæretieorum. Ibid., col. 53. Puis il compte huit sectes de sévériens, ^efyr.onx :. Saint Jean Damascène sépare aussi très nettement les eutychianistes de ceux qu’il appelle les Égyptiens, les schismatiques, les monophysites. Il ne voit dans ceux-ci que des schismatiques repoussant le concile de Chalcédoine et étant orthodoxes sur tout le reste : AîyÛTiTiot, oi y.al Tyia[xaTtxo (au lieu de (7yjq[t.a- : -/.oi que porte la Patrologie grecque de Migne), xai iJ.ovoiiucjrTa ;, oî uposocTsi toj £v (x’kv.Tfià-n (j’JVTàyiJ.aTo ; éjiuto’Ji ; àTroiryt’iTavrcc ; -rr, ; 6p9050 ?o’j £x/.Xr|(Ti’aç… ta Sa a).), x Tiotvra ooÔdSoSoi inzvçiXOvTsç. De hxr. liber, 83, P. G., t. xciv, col. 741.

Ces témoignages suffisent à montrer que nombre d’anciens n’ont pas prêté à tous les antichalcédoniens l’hérésie d’Eutychès et qu’ils ont su distinguer entre ceux qu’on peut appeler les monophysites réels ou eutychiens et ceux qui représentent le grand parti monophysite et qui n’ont été monophysites que par la terminologie, non par la doctrine. Mais il faut reconnaître qu'à côté de ces esprits attentifs et perspicaces, il y a eu un grand nombre de polénristes orthodoxes moins clairvoyants, qui ont traité généralement d’eutychiens, de docètes, de phantasiastes, de manichéens, d’apoUinaristes et de valentinicns tous les adversaires des deux y-jusi ; de Chalcédoine. Ceuxlà n’ont pas saisi les distinctions subtiles de la théologie sévérienne et ont interprété la |xia ç-'jm ; des monophysites en fonclion de la terminologie chalcédonienne ; ou bien, par procédé de polémique, ils ont donné à leurs adversaires des noms odieux, que leur entêtement à maintenir la signification exclusive du mot sj^iç leur méritait bien un peu. C’est ainsi que le moine Eustathe traite de phantasiastes, çavTao-tav.iTTxi, Dioscore et Timothée Élure, Epist. ad Timotheum, toc. cit., col. 933, 936, et que l’empereur Justinien nomme comme pères des acéphales Yalentin, Manès, Apollinaire, Eutychès en même temps que Dioscore et Timothée Élure. Tractatus contra nwnophysitus, P. G., ibid., col. 1145.

Du reste, tout n’avait pas la limpidité de l’orthodoxie dans les écrits des coryphées du monophysisme verbal. M. Lebon le reconnaît très justement, op. cit., p. 212 : « A la période des premières et des plus passionnées résistances au nestorianisniL' qu’ils croyaient découvrir dans la définition de Chalcédoine, ils étaient bien plus portés à mettre en lumière la parfaite unité du Christ qu'à s'étendre sur la conservation et l’intégrité des deux éléments qui avaient concouru à l’union. Certaines locutions et comparaisons employées par eux, certains excès, peut-être, de langage provoqués par l’ardeur même de la controverse, ont donné complètement le change sur leur pensée, et c’est par suite de ces incorrections de forme que le terme monophysisme est devenu, chez les théologiens et chez les historiens, le nom réservé à la doctrine de la nature mixte ou double, constituée par le mélange et l’altération réciproques de la divinité et de l’humanité du Christ. » Les sévériens insistaient surtout sur la comparaison prise de l’union de l'âme et du corps considérée comme type de l’union des deux natures dans le (Christ, et ils oubliaient souvent de montrer que