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EUTYCHES ET EUTYCHI ANISME


ou essence, par le fait qu’elle est unique et (, u’ellc est concrète, est à elle-même son sujet ; elle subsiste en elle-même ; c’est une vraie personne. Une seule nature ou essence, une seule personne : telle est la formule de l’eutychianisme, qui est le vrai monophysisme, le monophysisme réel. Quels sont les procédés par lesquels il est possible de réduire deux natures ou essences à une seule, nous le dirons tout à l’heure en parlant des sectes eut y chiennes.

Dans la formule cyrillienne : ^J.a. cp-jtriç to-j 0£oO Ao-j-o-j iTSTapxtofiévï), le mot çùirt ; désigne, comme nous l’avons dit plus haut, non une nature concrète prise comme telle, mais une nature concrète subsistant en elle-même d’une existence séparée et indépendante, une nature-personne. Si l’on donne ce sens au terme (fjaiç, on est obligé, si l’on veut rester dans l’orthodoxie, de proclamer dans le Christ une seule cp-Jaiç, la cpûo-i ; du Verbe, car seule la nature du Verbe est une nature sui juris, une personne. L’humanité prise de la Vierge ne s’est jamais appartenue à elle-même, mais a été la possession de la personne divine, dès le premier instant de la conception. Impossible donc de l’appeler une cpjat ;, l’union une fois consommée. Tout au plus pourra-t-on la dénommer ainsi avant l’union, c’est-àdire à un moment irréel, pure fiction de l’esprit, où on la concevra comme venant se joindre à la ipûatç du Verbe. Si, en employant cette terminologie, on maintient à la fois l’immutabilité du Verbe et la permanence sans confusion ni altération de l’iiumanité complète du Christ, qui ne peut sans doute être appelée une 9J51 ;, mais qui reste une essence, o-JnioL, on sera monophysite dans les formules tout en étant orthodoxe par la pensée. Le concile de Ghalcé(loine, en effet, ne rejette une seule aûdi ; après l’union que parce qu’il prend ce terme dans le sens de nature, d’essence imique. Sans doute, le concile a donné ses préférences à la terminologie dyophysite, et un catholique doit en tenir compte, accepter la formule ôjo (p-Juei ; dans le sens défini ; mais la formule cyrillienne : [i.îa. ç'jo’t ; toû 0eoO Aoyo’j <7£(jxpxa)u.£vri n’est pas absolument proscrite, pourvu qu’on l’explique comme Cyrille lui-même l’a fait. Ce qui serait répréhensible après Chalcédoine, ce serait de s’attacher à la formule monopliysite d’une manière exclusive, de proscrire la terminologie conciliaire, d’accuser le concile œcuménique et le pape saint Léon de nestorianisme parce qu’ils disent o jo (fjrju ; après l’union.

Or il s’est trouvé des antichalcédoniens de cette sorte. Ils ont même constitué le groupe le plus important des monophysites. On les a appelés les monophysites sévériens, du nom de leur plus illustre théologien. Sévère d’Antioclie. Vers le milieu du vi'e siècle, ils ont reçu le nom de jacobites, du nom de Jacques Baradée, l’organisateur de l'Église monophysite. Les sévériens sont des monophysites nominaux. Ce ne sont point des eutychiens.

On peut donc distinguer trois sortes de monophysisme : 1° le monoplrysisme réel, qui est l’eutychianisme tel que nous l’avons défini et qui a eu des représentants bien avant Eutychès ; 2° le monophysisme verbal orthodoxe, qui accepte la formule monophysiste : j.î(x cpuo-iç to-j t)eo-j A6yo-j crsiapxtoixévi^ dans le sens que lui a donné saint Cyrille, mais qui en même temps reconnaît l’orthodoxie des formules dyophysites de la définition de Chalcédoine et du tome de Léon et leur donne la préférence sur la terminologie monophysite, qui présente plus d’inconvénients que d’avantages, surtout depuis l’apparition de l’eutychianisme. Cette sorte de monophysisme, qui n’a jamais reçu ce nom dans l’histoire, a eu pour partisans tous les catholiques qui ont essayé de faire cesser le schisme des sévériens ou jacobites, en montrant l’accord du concile de Chalcédoine avec le concile d'Éplièse,

du pape saint Léon avec saint Cyrille d’Alexandrie. Il a trouvé son expression la plus solennelle dans les canons du Y'^ concile œcuménique et dans ceux du concile de Latran, tenu en 649, sous le pape saint Martin P ; 3° le monophysisme verbal hétérodoxe, qui est orthodoxe au point de vue de la christologie, mais hétérodoxe au point de vue catholique, parce qu’il rejette les formules canonisées par un concile œcuménique et par un pape comme entachées de l’iiérésie nestorienne, ou tout au moins comme la favorisant. C’est le monopliysisme sévérien considéré dans sa pureté primitive, avant les nombreuses scissions qui se sont produites dans ce groupe et qui ont donné naissance à certaines sectes plus ou moins voisines de l’eutychianisme.

Ce qui sépare les sévériens des catholiques au point de vue christologique (non au point de vue catholique), c’est une pure question de terminologie. Les sévériens donnent au mot ç Jo-'. ; en christologie le sens exclusif de nature-personne et en font le synonyme de -J-nôuTaTt ; et de upôirtoTiov. Ils ne veulent à aucun prix consentir à lui attribuer une autre signification par une crainte exagérée et souvent peu sincère du nestorianisme. Ils s’entêtent dans cette intransigeance, qui leur fait accuser d’hérésie un concile œcuménique et un pape. C’est une logomachie, mais’une logomachie qui mène au schisme et à l’hérésie.

De cette logomachie plusieurs anciens se sont aperçus. Ils n’ont pas vu des eutychiens dans tous les antichalcédoniens, bien qu’ils se soient trompés dans le triage, souvent fort délicat et fort difiicile à faire. Signalons d’abord le témoignage de l’Africain Vigile de Thapse, qui suivit de près les controverses orientales de la fin du ve siècle et du commencement du vie siècle. Dans le IIi= hvre de son ouvrage contre Eutychès, cet auteur écrit : II œc mulli orlhodoxorum minus allendentes, aut attend re nolentes, vel discernere non valantes, in duas scse partes, non diversitate senIcntise, sed vocis professione diviserunt ; ut id quod codent modo sentiunt, eodeni modo pronuntiare formident : inutili profeclo atque superflue timoré, ut jure illud prophciicum cis possit aptari : Illic trepidaverunt ti. more ubi non erat timor (Ps. xiii, 5). Nam plerique ortliodoxi, cuni sensum utrarumquc naturarum catliolicc exponant, catliolicc retineant ; idco lamen duas nolunt diccrc naturas, ne sccundum Ncstorium duas putentur faleri personas ; a confessione ulriusque naturæ non corde, sed voce tantummodo reccdentes. Quodam enim circuitu cxpositionis utuntur, ut duas se crederc ostendant, sed duas nudo scrmone non pronuntiant… Rursus ulii timentes ne Apollinaris et Eutychctis dogma ineurrant, nolunt diccrc Dominum passum et mortuum, cum nnam ejus credunt esse personam, et luinc eumdemque Deum fatcantur et liominem. Si ergo unus est sicuti est, cur eum formidas dicere passum, quem non formidas dicere unum, ncc audes dicere alterum sccundum Ncstorii impium sensum ? Ecce sunt timorés inanissimi et sollicitudines vanæ, quæ fecerunt orthodoxes lia’relicoruni sibi nomina impingere, dum voce depromi calcatur quod expressins corde clamatur. Qui enim volunl unam ore fateri personam quam fidei expositionc défendant, eutijehianisliT. putantur, cum non sint. Item qui duas anius Christi naturas publiée profitentnr, nestoriani putantur esse, cum non sint. Et vidcas eos luctuosis quibnsdcan et onuii Icmientaliont : dignis insultalionibus, luvrcticorum nomine se inviccm accusare. Tu, inquit, eutijchianisla es, et tu ncslorianus es. Contra Eutychetem, 1. H, c. x, P. L., t. lxii, col. 110.

Nous avons tenu à mettre sous les yeux du lecteur ce long passage, parce qu’il donne une idée très exacte des controverses entre catholiques et monophysites sévériens. M. Lebon écrivait récemment, op. cit., p. 508-509 : « Les deux partis étaient en parfait ac-