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EUTYCTIÈS ET EUTYCHI ANISME


d’une existence séparée et indépendante. Une nature , de cette sorte — et, la nature humaine du Christ exceptée, il n’existe que de ces natures-là dans la réalité — est un vrai sujet, une véritable personne. Dans le système ncstorien, chacune des deux natures de l’Homme-Dieu subsiste en elle-même et constitue un sujet à part ; ces natures ne sont unies entre elles que d’une manière accidentelle. « Deux natures » est dés lors synonyme de « deux hypostases » , de < deux personnes » . Cette conception est inconciliable avec la foi, d’après laquelle il n’y a dans le Christ qu’un seul sujet, qu’une seule personne, la personne de Dieu le Verbe. De là l’e.Kpression : |j.t’a ojTt ; toj 0eoO Aôyo’j. Mais comme la cpjiti ; du Verbe s’est incarnée, s’est approprié l’humanité sans subir aucun changement, on complète la formule par l'épithète (TcirapxtoiJisvri, se rapportant à ^jt. ;, ou par âvxvôptoTTriiravTrjç, aeTapy.wp.Évoj, se rapportant à HsoO Aoyou, ce qui revient au même, la çûdi ; du Logos s’identifiant avec le Logos lui-même. La nature humaine du Christ n’est pas une ç'j^ ;  ;, une nature-personne, parce qu’elle n’existe pas à part et qu’elle est sous la complète domination du Verbe. On peut toutefois lui donner ce nom en supposant par la pensée pure, èv Ity/yai ; Oswpiacç, un moment irréel où cette nature sera aperçue comme ayant une existence indépendante et venant à la rencontre de la 9J1'. ; du Verbe. De ce point de vue on pourra dire sans sortir de l’orthodoxie : deux naliiirs avant l’union, ou encore : Le Christ est de deux natures, iv. cjo cfjuîDv, aboutissant à une seule. Saint Cyrille admet, du reste, la persistance après l’union de l’humanité complète, sans mélange ni contusion ni changement de la personne divine, et il répète bien souvent que Jésus-Christ nous est consubstautiel par son humanité. Par ailleurs, il a souvent désigné cette humanité par le terme de -^Jm ; pris dans le sens que nous donnons actuellement au mot nature. M. Jugie, La terminologie clvistologique de saint Cyrille d’Alexandrie, dans les Échos d’Orient, janvier 1912, p. 12-27.

Eutychès avait donc l’intention, semble-t-il, de donner à la formule : deux natures avant l’union, une seule après, la signification que lui attribuait saint Cyrille ; mais il était incapable de manier avec l’adresse voulue cet instrument délicat. Il disait : Après l’union, je ne confesse qu’une seule nature, f^tav cpûirtv ôjjLO/oyà) ; à en juger par les actes du synode de 448, il ne récitait pas la formule cyrillienne dans son intégrité : Une seule nature incarnée de Dieu le Verbe.

Avant le synode, il avait sans doute employé, connue nous l’avons dit plus haut, la variante : Une seule nature du Verbe incarné, qu’on trouve aussi dans saint Cyrille ; mais il n’eût pas été inutile pour sa cause de la répéter en plein concile ; surtout, il aurait dû l’expliquer. De quel droit, d’ailleurs, venait-il se réclamer de l'évêque d’Alexandrie, qui avait enseigné si expressément la consubstantialité du Verbe incarné avec la Vierge Marie, et qui n’avait pas refusé de dire deux natures après l’union, même antérieurement à la controverse avec les théologiens d’Antioche ?

Somme toute, le vieil archimandrite voulait rester dans l’orthodoxie, et il en avait parfois le langage ; mais à cause de son ignorance et de son peu de capacité, il s’exprimait aussi parfois comme un hérétique. Le concile de Flavien ne tint pas compte de ses intentions, et, prenant au pied de la lettre ses formules malsonnantes, en fit sortir le valentinisme et l’apolllnarisme. Les théologiens contemporains et ceux qui vinrent dans la suite imitèrent les Pères constantinopolitains. Ils prêtèrent à Eutychès toutes les erreurs que recouvrent le valentinisme et l’apoUinarisme.

Renseigné par Flavien, qui lui rapporta très exactement les propos équivoques de l’hérésiarque : 1° deux natures avant l’union, une seule après ; 2°Jésus Christ ne nous est pas consubstantiel, bien que sa Mère le soit ; son corps est un corps humain, non un corps d’homme, P. L., t. liv, col. 728-726, 743-748, le pape saint Léon apprécie Eutychès à sa juste valeur : c’est un ignorant, indoctus impugnator, Epist., xxxiv, ad Julianum Coensem, ibid., col. 802 ; un vieillard inexpérimenté, très imprudent, imperitus senex, imprudentissimus senex, Epist., xxix, ad Tlieodosium, ibid., col. 781, 783 ; Epist., xxxv, ad.Julianum, col. 805 ; il a erré plus par ignorance que par malice et fourberie, error qui, ut arbitror, de imperitia magis quam de versutia natus est, Epist., xxxi, ad Pulchcriam Augustam, ibid., col. 790 ; c’est un homme très insensé, stultissimus Immo. Epist., lxxxviii, col. 928. Le pape déduit de ses formules le docétisme pur, l’origine céleste du corps du Sauveur, la conversion du Verbe en la chair et le théopaschitisme : Unigenitum Dei Filium sic de utero bealæ Virginis, pracdicat natum, ut humant quidem corporis speciem gesserit, sed humanæ ccu-nis Veritas Verbo unita non juerit… Qui negal verum Iiominem Jesum Christum, necesse est ut multis impietatibus impleatur, eumque aut Apollinaris sibi vindicet, aut Valentinus usurpet, aut manichœus obtineat, quorum nullus in Clirislo humanæ carnis credidii veritatem. Epist., xxxv, ad Julianum Coensem, col. 805. Cf. Epist., XXX, col. 787 ; en, col. 987 ; cxix, col. 1042 ; cxx, col. 1050 ; cxxiv, col. 1063 ; clxv, col. 1157.

Se basant sur la formule : Deux natures avant l’union, saint Léon a soupçonné Eutychès d’origénisme : l’hérésiarque aurait enseigné la préexistence de l'âme du Christ à l’incarnation. Le pape s'étonne même que le synode de Constantinople n’ait pas protesté énergiquement contre l’existence de deux natures avant l’union : miror tam absurdam tamque perversam cjus professionem nulla judicantium increpatione reprehensam, et scrmonem nimis insipientem nimisque blasphemum lia omissum quasi nihil quod offenderet essct cmditum ; cum tam impie duarum naturarum ante incarnationem Unigenitus Dei Filius fuisse dicatur, quam nefarie postquam Verbum caro factum est natura in eo singularis asseritur. Epist., xxviii, ad Flavianum, ibid., col. 777. Arbitror talia loquentem hoc habere persuasum quod cuiima quam Salvator assumpsit prius in cselis sit commorata quam de Maria Virgine nasceretur eamque sibi Verbum in utero copularet. Epist., xxxv, ad Julianum, ibid., col. 807. Évidemment, le pape ne songeait pas que l’expression : deux natures avant l’union pouvait s’entendre et était entendue par les Alexandrins non d’un moment réel, mais d’un moment idéal où les deux natures étaient conçues comme s’approchant l’une de l’autre.

Cette même formule : Deux natures avant l’union suggérait au pape Gélase l’idée du nestorianisme, tel qu’on l’entendait généralement en Occident : Si sic eutychiani velint accipi ante adunationem duas naturas fuisse, in utero scilicet materna, ergo fuit ibi aliquod interstitium, quo ante adunationem sui islse naturx putarentur fuisse discretæ, et in adunationem postea convenisse. Rcdolet hic Nestorius : utique ille dixit in partu nudumque hominem disseruit procreatum, et postmodum in Deum fuisse proveclum. De duabus naturis in Clirislo ctduersus Eutychen et Nestorium, édit. Thiel, Epistolæ romanorum pontiflcum genuinse. Cf. Petau, De incarnatione, 1. I, c. xiv, 5. Remarquons en passant que Nestorius a toujours enseigné l’existence de l’union des deux natures dès le premier instant de la conception dans le sein de Marie, mais les latins, induits en erreur par le traité de Cassien contre Nestorius, croyaient généralement le contraire.

D’après Théodoret, Eutychès a nié la niaternité de la Vierge, et a enseigné que Dieu le Verbe était devenu chair sans subir de changement : oOSàv à'^y) tÔv 0Ebv Aoyov à'/6p(i'>7tstov èy. tt, ; Tiapôévou Àaêîïv,