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EUTYCHÈS ET E UTYCHIANISME


coup écrit. Les actes des conciles nous ont conservé de lui quelqucs lettres et quelques déclarations.

Ce que nous venons de raconter de la vie de cet hérésiarque suffît à montrer son caractère. Comme tous ceux de son espèce, il fut orgueilleux et entêté, mais il y eut sans doute chez lui plus d’ignorance que de malice. Le pape saint Léon disait de lui : Eutijches miilliim inytriidens et nimis imperiliis oslendiliir… Qiiam enim eniditionem de sacris Novi et Veleris Testamenti paginis ocqiiisivit, gui ne ipsius quidem symboli initia comprehendil ? Epist., xxviii, P. L., t. Liv, col. 756-757. Son grand tort fut de s’occuper de théologie, malgré son peu de capacité. La faveur dont il jouissait auprès de Chrysaphe fut, avec son zèle indiscret contre le nestorianisme, la principale cause de sa perte. Des habiles sans scrupule comme Dioscore, des hérétiques dissimulés comme certains apollinaristes et monophysites, qui se lièrent d’amitié avec lui, se servirent de lui comme d’un instrument pour arriver à leurs fins. Comme Nestorius, il fut moins un novateur qu’un prête-nom pour la diffusion d’erreurs déjà existantes. Ce n’est pas la seule ressemblance qui existe entre les deux hérésiarques. Tous les deux furent des esprits assez bornés, quoique Nestorius ait eu plus de culture et de capacité. Tous deux manifestèrent un zèle excessif contre les hérétiques avant de grossir eux-mêmes leur nombre. L’un et l’autre sollicitèrent un concile œcuménique pour reviser leur procès et jouirent d’abord de la faveur impériale. Nestorius se réclamait du symbole de Nicée pur sans addition ni retranchement. Eutychès fit de même. Le premier en appelait à ses maîtres, Diodore de Tarse et Théodore de Mopsueste, et témoignait assez de mépris pour les autres Pères ; le second se cramponnait à saint Cyrille qu’il ne comprenait pas. Tous deux moururent en exil dans l’obstination finale et laissèrent après eux des schismes qui n’ont pas encore disparu.

IL DocTRiNK. — Il est très difficile de savoir quelle a été au juste la doctrine personnelle d’Eutychès. Cela vient sans doute de ce qu’il ne le savait pas très bien lui-même. Il a été hérétique, parce qu’il a soutenu avec opiniâtreté des formules équivoques, fausses même dans leur teneur ; mais comme il n’est pas impossible de donner h. ces formules un sens orthodoxe et que certaines déclarations de l’hérésiarque favorisent cette interprétation bénigne, on demeure indécis quand il s’agit de déterminer d’une manière précise la pensée personnelle de ce moine têtu et ignorant. Orthodoxe, Eutychès paraît l'être dans plusieurs de ses affirmations. Avant de paraître au concile de 448, il répond aux députés qu’on lui a envoyés « qu’après l’incarnation de Dieu le Verbe, c’est-à-dire après la naissance (Tr, v yîwïiaiv) de NotreSeigneur JésusChrist, il n’adore plus qu’une nature, la nature de Dieu incarné et fait homme, » |j.tav cp-juiv 7rpo<jxuvsîv, /.x Ta’JT-/)v 0£o-j (japxtoOivTo ; xal âvav6p(.iu<iiTavT0s, formule proprement cyrillienne. Mansi, Concil., t. vi, col. 700. Il proteste qu’il n’a januiis dit que le Verbe avait apporté sa chair du ciel et confesse que celui qui est né de la Vierge Marie est Dieu parfait et homme J)arfait, tÉXsiov Qeôv eîvat y.ai tÉÀciov à'vOptonov xbv yevvi, OîvTa èy. ivi ; TtapBÉvou Mapia ;. Ibid., et col. 725-730. Au concile de Flavien, il fait des déclarations semblables : « Je confesse que le Fils de Dieu s’est incarné de la chair de la sainte Vierge et s’est fait homme parfait pour notre salut, Ô ! J.o>>fjyà> ttiv k’vaapxov aùroO "xpouiTLav Y£-, '£vr](T6ai èx t ?, ; (rapy.à ; Trjç âyi’aç TiapOÉvou, x.al èvav6pa)71f|(jai aùiov zù.s.ltxt-. « Mansi, ibid., col. 740. Je reconnais que la sainte Vierge nous est consubstantielle^ et que notre Dieu s’est incarné d’elle. Ibid., col. 741. Dans sa lettre au pape Léon, écrite après sa condamnation, il dit anathème à deux

reprises à Apollinaire, à Valentin, à Manès, à Nestorius et à tous les hérétiques jusqu'à Simon, à tous ceux qui disent que la chair de Notre-Seigneur Jésus-Christ est descendue du ciel. P. L., t. liv, col. 717, 718. Il ajoute cette profession de foi d’une orthodoxie impeccable : Ipse enim qui est Verbum Dei descendit de cœlo sine carne, et faclus est caro in utero sanctse Virginis ex ipsa carne Virginis incommutabiliter et inconvertibiliter, sicut ipse novit et voluit. Et faclus est qui est semper Deus per/eclus ante sœcula, idem, et Itomo perfcctus in e.vtremo dierum propter nos et nostram salutem. Ibid., col. 718. Il rejette expressément la doctrine phantasiaste : in veritate, non in phantasmate homo factus. Ibid., col. 716. On comprend qu’après avoir lu ces déclarations saint Léon se soit demandé avec anxiété en quoi consistait l’erreur du vieil archimandrite : Diu apud nos incertum fuit quid in ipso catholicis displicerel. Epist., xxxiv, adJulianum Coenscm, ibid., col. 801. Cf. Epist., xxiv, ad Theodosium Augustum, col. 735-736.

Dans cette même lettre au pape, Eutychès se lave du reproche qu’on avait lancé contre lui de mépriser les Pères. Il accepte les définitions de Nicée et d'Éphèse et se réclame de la foi de saint Cyrille, de Grégoire le Thaumaturge, de Grégoire de Nazianze, de Basile, d’Athanase, d’Atticus et de Proclus : Eum et omnes eos orlhodo.r : os et fidetes habni, et lionoravi tamquam sanctos, et magistros meos existimavi. Ibid., col. 718. Au brigandage d'Éphèse, après avoir récité le sj^mbole de Nicée, il proteste de nouveau de son amour pour les Pères et anathématise tous les hérétiques, en particulier Valentin, Apollinaire et tous ceux qui disent que la chair de Notre-Seigneur JésusChrist est descendue du ciel. Mansi, Concil., t. vi, col. 631-634.

Eutychès reconnaît donc : 1° qu’il n’y a qu’une personne en Jésus-Christ, celle du Verbe : 2° que le Verbe a pris sa chair véritable et non apparente, de la vierge Marie, et qu’il est à la fois Dieu parfait et homme parfait ; 3° que la vierge Marie nous est consubstantielle ; 4° qu’il n’y a pas eu mélange de l’humanité et de la divinité, mais que le Verbe est resté sans changement ; 5° que les docètes, Valentin, Apollinaire et tous ceux qui attribuent une origine céleste à la chair du Christ sont dignes d’anathème. Comment se fait-il dès lors que le concile de 448 l’ait précisément condanuié comme imbu de l’erreur de Valentin et d’Apollinaire, ttiV OùaXsvTt’vo’j -/.où 'ÀTto/.tvapt’ou xaxoSo^tav voT(ov, Mansi, t. vi, col. 748, et qu’on l’ait accusé de docétisme, de monophysisme grossier, d’origénisme, voire même de nestorianisme, comme nous le montrerons tout à l’heure ? L’explication de ce fait étrange se trouve dans deux affirmations équivoques de l’hérésiarque. La première est celle-ci : « Je confesse que Notre-Seigneur a été (est devenu) de deux natures avant l’union ; mais après l’union, je ne reconnais plus qu’une seule nature, oj.o).oyS> Èx 500 oÛitewv YêY£Vr, (j6ai TÔv Kùpiov vi|j.(i)V upb Tf, ç èvoWEw ; ' (Aerà Ss t-/iv êvwiTiv jj-i’av (pÛCTiv ô|AOAoy(ô. » Mansi, t. II, col. 744. Par la seconde, Eutychès niait que le Christ nous fût consubstantiel. A la question de Flavien : « Reconnais-tu que l’unique et le même Fils Notre-Seigneur JésusChrist est consubstantiel à son Père quant à sa divinité et consubstantiel à sa Mère quant à sou humanité? » il répondit : « Jusqu'à ce jour, je ne me suis pas permis ces sortes de spéculations… Jusqu’ici, je n’ai pas dit que le corps du Seigneur, notre Dieu, nous fût consubstantiel, mais je confesse que la sainte Vierge nous est consubstantielle. » Mansi, ibid., col. 741.

Pressé par les interrogations de ses juges, l’archimandrite consentit à employer un langage qui n'était pas le sien, et à dire avec eux : « Le Christ est de la Vierge et il nous est consubstantiel, » mais il eut soin