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EUSEBE DE DORYLÉE


pour l’explication du dogme de hi Trinité, pouvait et devait rendre service au sujet de l’incarnation. En Occident, on disait : En Jésus-Glirist, il y a deux natures, mais une seule personne. Or, « par nature, on n’entendait pas tout à fait la même chose que dans les écoles d’Alexandrie ou dans celles d’Antioche. L'élément humain du Christ, tel qu’on se le représentait en Occident, était plus complet qu’on ne le disait à Alexandrie, moins complet qu’on ne l’admettait à Antioche. En Occident, c'était une vraie nature, capable de vouloir et d’agir selon le mode de ses facultés ; dans le langage alexandrin, il ferait plutôt l’effet d’un groupe de facultés sans action en dehors de la nature divine à laquelle elles étaient attachées ; quand les gens d’Antioche en parlent, on est toujours porté à craindre qu’ils n’aient en tête l’idée d’un liomme individuel. Les formules alexandrines, union pliysique, union hypostatique, unique nature du Verbe incarné, ne concordaient guère avec celles de l’Occident ; cellesci s’accordaient mieux avec le langage d’Antioche : deux natures, une personne. Toutefois il ne faut pas donner trop d’importance à cet accord extérieur. L’imprécision des termes faisait que les gens peu avertis passaient aisément des deux natures aux deux personnes et que, dans cette interprétai ion, la doctrine orientale prenait des ressemblances fâcheuses avec celle de Photin et de Paul de Samosate. » Mgr Duchesne, Hisloirc ancienne de l'Église, Paris, 1910, t. III, p. 322. Mais, d’autre part, les gens qui se croyaient entendus pouvaient tomber dans un autre défaut tout aussi fâcheux ; et c’est ce qui arriva à Nestorius, qui était d’Antioche.

Comme il était d’usage courant, en Orient, d’appeler la Vierge Marie, Beotoy.oç, mère de Dieu, ce qui ne heurtait nullement les idées des Alexandrins ni celles des latins, l’expression, pour être orthodoxe et inattaquable, devait s’entendre de Dieu-personne et non de Dieu-nature, le nouvel évêque de Constantinople trouva le terme excessif et voulut lui substituer celui de mère du Christ, en interdisant celui de ôsotôy.oç. C’est ce qui causa l’intervention d’Eusèbe, laquelle allait avoir des suites retentissantes. Car, non content d’avoir protesté publiquement en pleine assemblée chrétienne, Eusèbe afficha un placard où il accusait l’opinion de Nestorius de n'être autre que celle qul avait été condamnée un siècle et demi auparavant dans la personne de Paul de Samosate. Tout lecteur, y était-il dit, est prié d’en faire connaître le contenu et d’en délivrer une copie aux évêques, prêtres et laïques. Cf. Léonce de Byzance, toc. cit. A Nestorius, dont il identifiait l’erreur avec celle de Paul de .Samosate, le placard d’Eusébe opposait le symbole même d'.^ntioche, le témoignage d’Eustatlie, évêque d’Antioche, et finissait par un aaathème contre quiconque nierait que le Monogène de Dieu et le lils de Marie fussent la même personne. Une accusation si formelle n'était point pour calmer les esprits ; mais était-elle vraiment fondée ? Eusèbe n’en doutait pas. Nestorius aurait pu dire qu’en proscrivant l’emploi du terme Osotôxi.-, il ne voulait simplement que condamner le sens arien ou apollinariste qu’on pouvait lui donner ; et peut-être même était-il disposé à l’accepter après qu’on en aurait dûment précisé et justifié la signification orthodoxe. La vérité est que, du fait d’Eusèbc, un débat théologique s’ouvrait en Orient, dont la solution, poursuivie peut-être avec trop de rigueur par saint (Arille d’Alexandrie et fixée au concile d'Éphèse, en 431, entraina sans doute la condamnation et la déposition de Nestorius, mais laissa l'Église grecque dans un état d’effervescence, qui ne devait pas tarder à soulever de nouvelles difficultés. Voir la lettre écrite de Constantinople à Cosme d’Antioche, dans le Livre rf'/ : /é ; « c/ ; rfc, trad. Nau, Paris, 1910, p.364.

III. So.N ACTION CONTRE EuTYCHÈS. ! <> EllScbe,

ami d’Eutychès. — Dix-sept ans après le concile d'Éphèse, Eusèbe était déjà évêque de Dorylée. Il avait connu et fréquenté à Constantinople un moine célèbre, Eutychés, auquel le liait une aversion commune contre Nestorius et le nestorianisme. De tels rapports d’amitié furent bientôt troublés par des questions de doctrine. Eusèbe s’aperçut que l’archimandrite ne s’en tenait pas rigoureusement aux anathématismes de saint Cyrille, à l’union pliysique et à la nature unique du Verbe incarné, selon les expressions du patriarche d’Alexandrie, et qu’il contestait absolument que l’humanité du Christ fût comme la nôtre ou que le Christ, comme on disait, fût consubstantiel aux autres hommes. Il lui fit part de sa fâcheuse découverte et le supplia à plusieurs reprises de changer de sentiment, mais ce fut en pure perte. Eutychés jouissait d’un grand crédit et d’une influence considérable à Constantinople. Le laisser faire, c'était assurer une propagande efficace à la nouvelle erreur, car elle n’allait à rien moins qu'à compromettre la réalité historique de l'Évangile. Déjà, en 447, Théodore !, dans son Eranistes, avait combattu, sans le nommer, il est vrai, Eutychés et sa doctrine ; et Domnus, évêque d’Antioche, avait protesté, l’accusant de renouveler l’impiété d’Apollinaire, d’enseigner l’unique nature du Verbe incarné, de confondre l’humanité et la divinité et d’attribuer à la divinité les souffrances du Christ. Le danger pour la foi semblait donc menaçant.

Eusèbe se fait t’accnscdeur d’Eulychès.

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dénonce le danger qu’il fait courir à l’orthodoxie et profile d’une réunion d'évêques à Constantinople, d’un synode èvôriaoûo-a ; le 8 novembre 448, il dépose entre les mains du président, Flavien, évêque de la ville impériale, une dénonciation en règle contre son ancien ami, protestant qu’il y allait de la foi et qu’il y avait nécessité à l’obliger de se disculper. Cf. Nestorius, Le livre d’IIéraclide, trad. Nau, Paris, 1910, p. 296-298. Flavien, fort ennuyé d’une telle plainte qui demandait à être poursuivie canoniqnement, conseilla à Eusèbe de s’entendre directement avec Eutjchès. A quoi bon ? répondit lùisèbe. Je l’ai essayé à plusieurs reprises, et toujours inutilement ; qu’il réponde 'donc lui-même, en présence des évêques, au sujet des griefs formulés contre lui. Flavien, quoi qu’il en eût, dut donner suite à l’affaire. Eutychés, cité par deux fois à comparaître, s’y refusa sous prétexte qu’il avait résolu de ne plus quitter sou monastère ; toutefois, à la troisième sommation, le 22 novembre 448, il se rendit devant le synode, escorté de moines et de fonctionnaires, comme un personnage avec lequel il fallait compter. Eusèbe, en poursuivant son accusation, jouait gros jeu ; il savait que son ancien ami s'était vanté de le faire exiler, mais il ne redoutait pas d'être confondu jiar lui sur l’objet même de ses griefs et d'être convaincu d’avoir cédé à de mauvaises intentions ou de l’avoir calomnié. Ou posa à Eutychés la question suivante : Confessezvous deux natures après l’incarnation ? Admettezvous que le Christ nous soit consubstantiel ? Eutychés répugnait aux deux natures ; il reconnaissait bien que le Christ tenait son humanité de la sainte Vierge Marie, sa mère, mais il ne pouvait admettre que, par cette humanité, le Christ nous fût consubstantiel ; c'était, prétendait-il, l’humanité de Dieu, rentrant dans l’unique nature du Verbe incarné, et non notre humanité. Pieu ne put le tirer de cette manière de voir qu’il prétendait conforme à celle de saint (Cyrille d’Alexandrie. Celui-ci, il est vrai, s'était servi de la formule |j.ta cp-jat ; toO ©eoO Aôyou creaap '.( « )[/.év^| ; et Eutychés avait quelque raison de s’abriter derrière elle, mais Il oubliait que Cyrille s’en était expliqué