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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)


conciliable avec le concile du Vatican. Rien plus, l’apologiste peut légitimement ad hominem y avoir recours, si la mentalité, c’est-à-dire les préjugés, de l’adversaire ou du néophyte le demandent.

Chez les modernistes, au contraire, l’emploi de ces mêmes arguments ne va jamais sans deux arriérepensées exclusivistes : il s’agit, bien entendu, des arriére-pensées manifestées dans les textes. D’abord, ils ont toujours à l’esprit, en exposant ces sortes de preuves, ce principe que la réflexion détruit la force de tous les autres arguments, que seules « les conséquences déduites de prémisses confiées au travail de la vie résistent à la dissolution critique. » Ce qui veut dire que Pascal a bien fait d’aflirmer l’inanité de la raison ; et que Kant et Hume, Comte et Spencer ont démontré l’assumption de Pascal ; et que, par suite, le même Pascal, Rousseau, Jacobi, Kant, Schleiermacher ont vu juste en recourant au cœur, au sentiment, à la conscience morale, à la piété, etc. Ensuite, ces arguments eux-mêmes sont donnés par les modernistes de façon à exclure des débuts de notre vie morale et religieuse précisément cette certitude rationnelle que le concile du Vatican a voulu affirmer. Ce sont ces deux arrière-pensées que les théologiens qui suivent le concile et la tradition ne peuvent pas accepter ; car elles faussent l’usage des arguments moraux, même les plus classiques, chez les modernistes. Donnons quelques exemples.

Bon nombre de théologiens admettent une intervention des tendances naturelles dans la formation delà première idée de Dieu : c’est le testimonium animas naturaliter christianse de Tertullien ; beaucoup d’autres considèrent comme valables les démonstrations de l’existence de Dieu partant du fait de l’obligation morale, du désir du bonheur ; d’autres enfin parlent d’une certaine illumination de l’esprit ou des dispositions morales du sujet. Mais tous évitent ou cherchent à éviter le fidéisme, c’est-à-dire un assentiment subjectivement certain, non fondé et appuyé sur un jugement intellectuel antécédent et non susceptible de se légitimer rationnellement ; en d’autres termes, tous prétendent sauver la certitude rationnelle.

Par exemple, saint Thomas est un des auteurs qui parle le plus souvent d’un « instinct de nature » , « d’un instinct divin » , qui, d’après lui, joue un grand rôle dans l’acquisition rapide des premiers principes spéculatifs et surtout pratiques. Une de ces premières vérités est, d’après lui, la connaissance de Dieu. Mais voici comment il explique lui-même la spontanéité de cette connaissance : Ejus cognitio nobis innata dicitur esse in quantum per principia nobis innata de facili percipere possunius Deum esse. In Boeth., deTrinit., q. I, a. 3, ad Q am j Sum. theol., I a, q. il, a.'l, ad l ura ; Ia-IIæ, q. i, a. 4 ; q. il, a. 8 ; q. lxxxix, a. 6 ; Contra génies, 1. III, c. xxxviii. Il serait facile de multiplier ces citations ; quiconque aura parcouru celles-ci conviendra que M. Mallet a raison de penser que plusieurs des « données » de la philosophie de l’Action sont identiques à quelques-unes des données de la scolastique. Mallet, La philosophie de V Action, dans la Revue de philosophie, septembre 1906, p. 239. Le même auteur expose que la philosophie de V Action s’occupe du cognilum ex actione et volitione elicilum. Ibid., p. 243. J’ai moi-même montré plus haut que cette sorte d’objet n’est pas inconnu des théologiens. Mais de nouveau, comme le fait très bien remarquer M. Baudin, « il y a deux manières de trouver Dieu dans les impératifs. La première consiste à entendre psychologiquement sa voix, par une expérience personnelle et une réalisation affective et imaginative… La seconde consiste à relier niétapli[isi<iuement les lois morales à l’intelligence et à la volonté divine, par une rationalisation, et c’est la méthode de saint Thomas. » La philosophie de la foi chez Newman, dans la Revue de philosophie, octobre

1906, p. 377. Ajoutons que cette seconde méthode est celle de tous les théologiens, qui développent les argumente dont il est ici question. De même, Vasquez qui donne une grande importance aux dispositions morales quand il s’agit de connaître Dieu, explique son point de vue ainsi : Licet in demonstralionibus necessarius non sit affectus voluntatis, et bonaillius disposilio, ut apprehensis proposilionibus stalim homo… assensum prsebeal iis rébus quse notissimse sunt, et nullo modo adpielatem perlinent ; in iis tamen quse ad pictatem spectaut, quales… sunt de unitate Dei, de illius scientia et providenlia, etiamsi demonstrationes in Ira propriam mensuram habeantur, necessarius est pius affectus… Jn iis ergo plurimum confert affectus bonus, non quideni ut, visa extremorum conformitate, assenliatur intelleclus, sed ut illam propositionem tali modo appréhendât et formel, ut faciat apparere eam extremorum conformitatem. InP iii, disp. I, c. ii, n. 15. Ailleurs le même théologien applique cette théorie à la démonstration de l’existence de Dieu elle-même, lbid., disp. XIX, c. ni, n. 9. Donc, pour les théologiens qui emploient des arguments analogues à ceux que développent les modernistes, l’assentiment s’appuie toujours en dernière analyse sur une évidence rationnelle. Saint Augustin est probablement de tous les Pères celui qui a le plus insisté sur le côté psychologique du problème que nous étudions : cependant il déclare nettement que nous ne pourrions pas croire si nous n’avions pas des âmes raisonnables. Credere non possemus, nisi rationales animas haberemus. Episl., cxx, n. 'S, P. L., t. xxxiii, col. 454. Et ailleurs : Eslenim Dcus, et vere summeque est ; quod jam non solum indubitatum, quantum arbitror. fi de relinemus, sed etiam cerla, quamris adhuc tenuissima, forma cognitionis altingunus. De libero arbitrio, 1. II, c. xv, n. 39, P. L., t. xxxii, col. 1262. La certitude de la connaissance naturelle de Dieu est donc, d’après saint Augustin, rationnelle. Cf. Enchiridion, c. IV : H sec sunt defendenda ratione vel a sensibus corporis inchoata, vel ab intelligentia mentis inventa. P. L., t. XL, col. 233.

Non, répliquent les modernistes, les raisons morales de croire ne sauraient donner lieu à une certitude rationnelle, c’est-à-dire à une certitude fondée sur des principes objectifs nécessaires et universels. La critique kantienne et post-kantienne a définitivement ruiné tous ces prétendus principes. L'àme moderne ne les admet plus. D’ailleurs, « la foi est introduite par une impulsion émotive en présence de raisons qui ne sont pas absolument des preuves. » Cf. Saleilles, La foi et la raison, Paris, 1905, p. xxxvii. Les arguments en faveur de l’existence de Dieu, fondés sur des faits de conscience morale et religieuse, doivent donc être traités et développés comme des preuves d’expérience ; et il ne peut en tout cela être question que d’une « expérience qui n’a rien de rationnel, mais qui est supérieure à toute expérience rationnelle. » Cf. encycl. Pascemli, S Alque hsec, Denzinger, 10e édit., n. 2081. Tel est le fond de l’exclusivisme des formules modernistes, dans le développement des arguments moraux et vécus de leur théodicée ou, plus exactement, de leur doctrine de la croyance. C’est donc le fidéisme mis à la base de notre vie morale et religieuse, le fidéisme que le concile du Vatican a repoussé du sein de l’Eglise, parce que contraire à la révélation. C’est ce que sans doute n’avaient pas assez démêlé les apologistes que l’encyclique Pascendi a surpris. Concluons : ce qui est condamné, ce n’est pas l’usage des arguments moraux ni l'étude de la psychologie de la vie religieuse ; c’est simplement cet usage et cette étude avec la mentalité exclusiviste des modernistes. Cf. Raille. L’idée de Dieu et l'âme contemporaine, extrait de la Revue apologétique de Bruxelles, 1908.