Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.djvu/431

Cette page n’a pas encore été corrigée
839
840
DIEU (CONNAISSAN’CE NATURELLE DE)


bilité divine, soit par transcendance, soit par immanence. Mais ce sont des faits dont il faut tenir compte. D’ailleurs, tout ce que le concile a affirmé se trouve dans le texte de saint Paul, Rom., i, 20 ; les païens y sont déclarés inexcusables de ne pas avoir honoré celui dont ils ont connu, vu les attributs invisibles par le moyen des créatures. C’est donc qu’ils ont connu Dieu de telle sorte que l’adoration, l’obéissance devaient suivre de la connaissance qu’ils avaient. Mais sans la connaissance d’un Dieu personnel et provident, ces termes n’ont plus de sens, à moins qu’on ne fasse consister la religion, avec l’athée Clill’ord, dans « l'émotion cosmique », et qu’on ne prenne pour de la religion le tressaillement que peut subir un névrosé en pensant qu'à chacun de ses efforts musculaires « collabore la masse des étoiles ».

6° Le concile, sans exclure toute connaissance immédiate de Dieu et sans décider si oui ou non la première connaissance de Dieu peut nous être donnée par la révélation, enseigne que nous avons le pouvoir physique de connaître Dieu médiatement, per ea qu.e facta sunt, E rébus creatis. — 1. Une proposition affirmative n’est pas une proposition exclusive. En affirmant un pouvoir naturel médiat de connaître Dieu, le concile n’exclut donc pas d’autres manières de le connaître, s’il en est. En particulier, a) la doctrine de la connaissance immédiate de Dieu, soutenue par les ontologistes, n’est pas condamnée directementpar le texte du concile. Il fut question des ontologistes, dans l’assemblée et hors de l’assemblée, à plusieurs reprises. Acta, col. 1652, 120, 1672, 849, 127, 128, 153. Mais la question ne fut pas discutée à fond ; on se contenta de l'écarter et de la « laisser en l'état ». L’ontologisme n’est donc pas opposé au texte du concile, à la condition pourtant que la connaissance immédiate ne soit pas proposée comme l 'unique moyen de connaître Dieu, à l’exclusion de toute connaissance médiate certaine ; et que l’on prouve que cette connaissance immédiate est naturelle. Les ontologistes soutiennent le second point ; mais comme les théologiens prouvent solidement, par des moyens termes proprement théologiques, l’impossibilité de la vision intuitive par les seules forces naturelles, la doctrine des ontologistes se trouve inconciliable avec le mot naturali du texte conciliaire. D’autre part, plusieurs ontologistes expliquaient la vision en Dieu de telle sorte que la création ex nihilo et la distinction adéquate de Dieu et du monde disparaissaient. Cette forme d’ontologisme est inconciliable avec la distinction de Dieu et du monde et de la création ex nihilo enseignées par le concile. Acta, col. 85, 86. Cf. Granderath, p. 75, n. 1 ; Denzinger, n. 1521 sq. Enfin, un bon nombre d’ontologisles enseignaient avec Ubaghs que, sans l’intuition préliminaire immédiate de Dieu, l’homme ne peut pas par les créatures connaître Dieu avec certitude. Ubaghs, Theodicese seu l/teologise naturalis elementa, Louvain, 1852, p. 66 sq. Cette proposition, en tant qu’elle est exclusive de la connaissance médiate pour amener à la certitude, est immédiatement opposée à la définition du Vatican. Cf. Granderath, op. cit., p. 37. Voir Ontologisme.

6) M. Bæuinker dislingue deux voies pour parvenir à Dieu. L’une qui dérive de la doctrine platonicienne des idées, et qui a pour principe que l’ordre objectif correspond à l’ordre de nos idées et qu’un objet réel répond à notre système de concepts. Souvent saint Augustin s’en est servi, comme plus tard saint Anselme, puis Descartes, Leibniz. On peut appeler cette méthode immédiate, en ce sens que, sans nier la valeur du procédé par voie de causalité, elle n’a pas recours à la considération des causes. L’autre voie est celle d’inférence causale, qui part du monde pour remonter à son auteur. Cf. Bæumker, Witelo, Munster, 1908, p. 289 sq., dans Beitrâge, t. ni. Voir Grabman, Die philosophisc/ie

und l/teologisclie Erkennlnislehre des Cardinals Matthœut von Aquasparta, Vienne, 1906. Le concile du Vatican, en définissant que nous pouvons connaître Dieu per ea qusa facta sunt, e rébus creatis, n’a pas voulu exclure la première voie. Le rapporteur, en elîet, exposa en plein concile que le texte n’entraînait nullement la condamnation « du très célèbre argument de saint Anselme. » ^4c<a, col. 132. Les cartésiens qui siégeaient au concile se trouvèrent donc fort à l’aise pour voter le texte ; car on sait que peu de cartésiens nient la valeur des arguments fondés sur la causalité, efficiente ou finale.

Cependant le P. Piccirelli, De Dco uno et trino, Naples, 1902, p. 21, et n. 29 sq., soutient cette thèse : Fide divina edocemur…, sine ullo subsidio neque immédiates et directe visionis divini esse, neque prmlernaturalis idese innalse Dei ad mentent cartesianorum, ex rébus factis… in Dei exislenlis cognilionem posse assurgere. Nous ne saurions le suivre. — a) Le P. Piccirelli fait sur les idées innées un raisonnement analogue à celui que nous avons fait nous-mêrne à propos de l’ontologisme. Mais il y a entre les deux cas de notables différences. C’est par des moyens termes théologiques qu’on prouve l’impossibilité de la vision immédiate par les seules forces naturelles, et le P. Piccirelli, pour prouver l’impossibilité des idées innées, n’a que ce refuge, qui n’a rien de théologique, ut docetur in psychologia. La philosophie la plus scolastique du monde n’a jamais démontré la répugnance intrinsèque des idées innées ; car, de l’avis de tous les théologiens, Adam, le Christ en ont eu et les anges n’en manquent pas. Au contraire, la même philosophie scolastique, qui en psychologie se borne à montrer que les idées innées ne sont pas données dans l’expérience et ne sont pas requises pour expliquer notre connaissance intellectuelle, donne de bonnes et solides, bien que subtiles, raisons contre toute vision immédiate de Dieu par les seules forces naturelles. — b) Pour prouver sa thèse anticartésienne, l’auteur introduit, soit dans les textes qu’il cite, soit dans les livres cartésiens, des distinctions scolastiques — excellentes sans doute — mais qui, bien que familières à tous les théologiens actuels, ne se trouvent, ni chez les cartésiens, ni dans les documents conciliaires. Il parle, à propos des idées innées, qu’un cartésien ne lui concédera jamais être « préternaturelles », de l’acte second, et de l’exercice, des principes quo, quod, in quo. Mais le concile du Vatican n’a parlé que du pouvoir de connaître Dieu et s’est abstenu de parti pris de toucher à la question des conditions et de l’exercice de ce pouvoir. Mais, de plus, l’idée innée de Dieu des cartésiens n’est pas un acte second, et les cartésiens objectivistes concéderont volontiers au P. Piccirelli, s’il leur montre la nécessité de cette concession, que leur idée innée est un principium quo. — c) Sans doute, le P. Piccirelli, quand il donne comme de foi divine que les idées innées sont à rejeter, suit cette opinion que les conclusions théologiques peuvent être objet de foi divine. Sans discuter cette opinion — ce qui demanderai l beaucoup de distinctions qu’il ne paraît pas fairedans sa thèse — nousnousbornerons à faire observer que la conclusion du P. Piccirelli ne nous paraît en aucune manière suivre des prémisses qu’il avance, de façon à pouvoir être ou devenir objet de foi. Nous ne connaissons, d’ailleurs, aucun autre théologien qui affirme une telle conclusion. Bien que, d’après nous, la connaissance immédiate de Dieu par lidée innée soit une chimère, ce n’est pas une hérésie, et le concile ne l’a pas condamnée.

Pour ne pas avoir à revenir sur le cartésianisme, rappelons la doctrine commune des théologiens. Plusieurs auteurs catholiques ont soutenu et soutiennent que la connaissance spontanée, naturelle, dont parlent les Pères, n’est autre chose que l’idée innée des carte-