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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE


dans la révélation proprement dite : huic divinæ revelatiom tribuendum, dit le concile, et donc à la révélation extérieure, et non pas précisément à la grâce, à la

foi du cœur, à la foi-amour, etc. Le semi-rationalisme attribuait la nécessité morale de la révélation uniquement à la chute. In pnvsenti quoque generis humant condition ?, répond le concile. En d’autres termes, il est vrai qu’historiquement l’impuissance morale où gît l’humanité est la suite du péché d’Adam ; mais la faiblesse qui affecte l’ensemble de notre race dans l'état actuel, est de telle nature que, bien que dépendant en fait du péché d’Adam, elle eût pu se rencontrer dans une autre hypothèse : c’est ce qu’exprime le mot quoque. Acta, col. 122, emend. 20-21, col. 136. Le semirationalisme niait la distinction entre les vérités religieuses accessibles à la raison et celles qui ne le sont pas, le concile avait soin de la maintenir. Enfin, la même formule condamnait le traditionalisme et tous les hétérodoxes qui dépriment outre mesure la raison : car la phrase même qui constatait la nécessité morale de la révélation, affirmait implicitement que nos facultés naturelles nous sont restées après la chute, puisque certaines vérités religieuses ne nous sont pas d’ellesmêmes inaccessibles, même dans l'état où nous sommes.

b) Le concile déclare ensuite que la révélation n’est pas, absolument parlant, nécessaire. On ne peut la dire absolument nécessaire, que si l’on envisage notre destinée actuelle qui est surnaturelle, puisque notre fin est la vision intuitive. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. i, a. 1 ; Visio intuiliva tolius ordinis supernatu}'alis origo et radie (Suarez). Voir Appétit, Surnaturel. Cette doctrine du concile était un dernier coup contre le rationalisme : la révélation est nécessaire, étant donnée la fin gratuite, mystérieuse et au-dessus de nos forces et des exigences de notre nature, que la bonté divine nous a librement assignée. Le semi-rationalisme, qui n’admettait la nécessité, soit morale, soit absolue, de la révélation que pour remédier à une impuissance accidentelle provenant de la chute originelle, était par là également de nouveau condamné. Le concile, en enseignant que la nécessité absolue de la révélation provient d’une impuissance radicale de l’homme dans l’ordre surnaturel, indiquait en même temps contre les protestants pseudo*-mystiques pourquoi l’expérience intérieure, sans révélation proprement dite, ne permet pas de retrouver tout le contenu vrai et réel du Credo et des formules ecclésiastiques ni d’en déterminer le sens.

Le concile mettait ainsi fin à la confusion entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel introduite dans le monde chrétien à la suite du dogme luthérien de la chute. Le traditionalisme même le plus mitigé était atteint, j4cta, col. 136, en même temps que le baianisme et le jansénisme recevaient la condamnation la plus radicale qu’ils aient jamais subie. Depuis trois cents ans, les théologiens s'étaient servis contre Baius et Jansénius, pour expliquer saint Paul et saint Augustin, de la distinction entre la nature philosophique et la nature historique de l’homme, entre le surnaturel absolu et le surnaturel relatif : le concile, en assignant la vision intuitive comme raison de la nécessité absolue de la révélation, faisait sienne la substance de cette doctrine. Acta, col. 547, n. 38. De là, en grande partie, les criailleries des modernistes contre les théologiens, fidèles à la pensée du concile du Vatican ; de là aussi, l’inutilité des efforts d'érudition de certains modernistes, pour déterrer, chez quelques théologiens traditionalistes ou anciens, des opinions moins opposées au baianisme et au jansénisme : la question est de savoir si ce que l’on a pu dire avant le concile du Vatican, peut correctement et loyalement se dire ou se soutenir après.

c) Que, par exemple, il y ail eu des théologiens qui

de l’impuissance morale aient pensé pouvoir conclure à une impuissance absolue ou même physique, qu importe, puisque le concile du Vatican dit expressément que de la nécessité morale de la révélation on ne doit pas conclure à une nécessité absolue : non hac tamen de causa rerelalio absolute necessaria dicenda est. C’est ce qui nous reste à expliquer, avec d’autant plus de soin que les modernistes, qui parlent tant du progrès de la théologie, ont comme pris plaisir de n ter sur ce point les sophismes des jansénistes et les à-peu-près des traditionalistes.

2. Le concile enseigne implicitement que la révélation est moralement nécessaire pour que tous puissent arriver à la connaissance prompte, certaine et pure d’erreurs, des points qui dans les choses divines ne sont pas par eux-mêmes inaccessibles à la raison ; comme la nécessité morale a pour corrélatif l’impuissance morale, le concile admet donc dans l’homme une impuissance morale relativement aux vérités religieuses d’ordre naturel. Quelle est au juste cette impuissance ? Si l’on prend la formule conciliaire indépendamment des délibérations de l’assemblée, il semble au premier abord qu’elle peut rendre trois sens : a) chaque individu est impuissant et par suite l’ensemble ; b) quelques individus arriveront ou peuvent arriver à la connaissance de toutes les vérités par ellesmêmes non inaccessibles à la raison, mais l’ensemble n’y parviendra pas, même avec l’aide de l'élite des intelligences ; c) sans rien spécifier sur les individus, l’ensemble ne parviendra pas à cette connaissance sans le secours extérieur de la révélation. De ces trois sens logiquement possibles, quel est celui que de fait le concile a eu en vue ?

Deux hypothèses classiques sont ici à examiner. Duns Scot, saint Thomas d’après le Ferrariensis, Vasquez admettent que toutes les véiilés d’ordre naturel ne sont pas accessibles à l’esprit humain ; cette opinion était chère aux nominalistes qui. avec Grégoire de l ! imini, insistaient sur le vulnus ignoranlise : et peut-être Capréolus l’enseigne-t-il : mnltas esse de Deoverilates cognoscibiles, quas nullus intellectus potest naturaliter cognoscere. Dans cette hypothèse, la révélation des vérités morales et religieuses est moralement nécessaire, non pas seuleinentpour l’ensemble et par suite pour les individus, mais pour chaque individu et par suite pour l’ensemble ; l’impuissance morale gît donc en chaque individu, et, sans la révélation, personne ne sait fout ce qui de soi est naturellement connaissable sur Dieu. Vasquez à l’appui de cette opinion cite saint Thomas. Sum. theol., IIa-IIæ, q. ii. a. 4, dont l’argument pour démontrer la nécessité de la foi vaut, semble-t-il, pour chaque individu : ratio enim Itumaua in divinis est multum deficiens ; il tire aussi un argument, peu solide il est vrai, de Sap., i., 15 : Corpus enim quod corrumpitur aggravât animant. Cf. Vasquez, In / am, disp. I, c. il. Cajetan, sur le même le l o de saint Thomas, introduit une hypothèse tout opposée. D’après lui. tout le vrai spéculatif d’ordre naturel est accessible sinon à la foule, du moins à l’aristocratie intellectuelle, dont le rôle est de diriger les masses. In II*" 11'. q. il, a. i. Cette opinion d’un intellectualisme ambitieux, d’après laquelle dans l’ordre naturel il y a du provisoirement inconnu, mais point d’inconnaissable, n’a jamais. semble-t-il, rencontre beaucoup de faveur chez les théologiens et l’encyclique Pascendi se sert de la notion d’inconnaissable, Denzinger, 10e édit., n. 2109 ; et la raison en est que, même avec la foi. nous devons dire avec saint Paul : e.r parle cognoscimus. On peut cependant y rattacher l’opinion adoucie de omni vero cognoscendo in complexii vel distributive, voir Suarez, De gratia actuali, l. I, c. i. el n. 20 ; et aussi le système intellectualiste d’Eusèbe Amort, dont, pour sauver le péripalétisme, l'éclectisme allait jusqu'à sou-