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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE


apparaissent, n’a ni la faculté ni le droit d’en franchir les Hlnites ; elle n’est donc pas capable de s'élever jusrp^a Dieu, non pas même pour en connaître par le moyen des créatures, même phénoménales, l’existence. D’où ils infèrent que Dieu nepeutpas être directement un objet de science. » Denzinger, IC C édit., n. 207'2. On sait que, dans la terminologie moderne, « notre connaissance est bornée aux phénomènes » a deux sens. Dans les sciences, telles qu’elles sont aujourd’hui constituées, un phénomène signifie a un fait à expliquer, un individu réellement connu à ramener à une loi ou à une cause inconnue. « C’est dans ce sens que les positivistes entendent le mot, lorsque — faisant non plus de la science, mais de la mauvaise philosophie — ils énoncent avec Comte, Huxley, Spencer que notre connaissance est bornée aux phénomènes. En slle kantien, c’est autre chose : « notre connaissance bornée aux phénomènes » signifie que le seul être qu’atteigne notre intelligence est l'être que nous présentent nos sens ; cet être, qui s’interpose officieusement entre l’esprit qui connaît, et ce que l’esprit connaît de la réalité, est le phénomène. L’encyclique s’est servie pour énoncer le premier principe des modernistes, de termes tels qu’ils désignent à la fois le nominalisme empiriste sous tous ses formes et le nominalisme idéaliste de Kant et des philosophies qui dérivent de lui. On se souvient qu’avant l’encyclique les modernistes donnaient pour prétextes à leurs innovations « les résultats acquis de la critique kantienne et spencérienne » et la nécessité d’accepter le nominalisme. Depuis l’encyclique ceux d’entre eux qui ont élevé la voix pour protester n’ont pas nié ou même ont, comme le Programma dei modernisa, Rome, 1908, avoué que telle est bien leur manière de voir.

Mais les modernistes, tout en acceptant les résultais acquis de la critique kantienne et spencérienne, prétendaient dépasser Kant et Spencer, et rien ne les choquait plus, à en juger par leurs protestations, que d'être confondus avec des kantistes. Le lecteur a vu qu’on peut arriver aux résultats de Kant et de Spencer, quant à l’impossibilité de connaître la nature intime des choses par des procédés qui ne sont pas spécifiquement les leurs : Nicolas d’Autrecourt par exemple au xive siècle a parcouru toute la carrière agnostique à l’aide d’une seule hypothèse et d’un seul postulat. De même, si l’on restreint la question à la connaissance religieuse, Molinos niait la valeur de toute connaissance intellectuelle sur Dieu en dehors du sentiment, de l’expérience intérieure ; Quesnel soutenait qu’il n’y a pas de Dieu pour qui n’a pas la foi-amour, la charité ; Pascal, comme Hobbes, et à l’aide du même argument concluait que, même avec la foi, nous ne savons rien de la nature divine, mais seulement le fait brut de l’existence de Dieu, Pensées, édit. Brunschvicg, 1904, t. ii, p. 143 sq. ; cf. Slapfer, dans la Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1908, p. 383 sq. ; Boehme réduisait à rien notre connaissance de Dieu considéré en soi et par suite pouvait, comme certains modernistes, affirmer de l’absolu, les contradictoires. Denzinger, n. 2102. Il ne répugne donc pas qu’un moderniste soit arrivé à ses conclusions indépendamment de Kant et de Spencer. Dans la réalilécependant, les textes montrent que, si M. Loisy emploie la terminologie et la philosophie des idées héréditaires de Spencer, d’autres ont utilisé Comte, et d’autres Kant, soit par l’intermédiaire de Ritschl et de son école, soit directement. Cf. Léon XIII. Encyclique au clergé de France, 8 septembre 1899 ; Eucken, Thomas von Aquino, ein Kampf zweier Welten, Berlin, 1901.

L’encyclique Pascendi ne fait aucune recherche sur le détail de ces filiations philosophiques. Elle constate simplement : a) que les modernistes admettent la posiion des philosophes pour lesquels l’idée de Dieu, notre

connaissance intellectuelle (abstraite, spéculative, rationnelle, notionnelle) de Dieu est sans valeur objective, n’atteint ou ne représente pas le réel et n’a pas de portée ontologique. Denzinger, n. 2091 — « Qu’ils expliquent l’origine de cette idée par l’immanence vitale, par un sentiment qui jaillit en nous sans ju( ment intellectuel qui le précède (fidéisrne). lbid., n. 2074. — e) Que cette idée ne devient une connaissance ayant une portée ontologique, atteignant la réalité, que par la croyance, lbid., n. 2081. — d Que, même avec la croyance ou la foi, la connai-sance que nous avons de Dieu reste toujours purement symbolique, ibid., n. 2108, soit à cause de son origine purement subjective, ibid., n. 2079, soit à cause de l'élaboration que nous lui faisons nécessairement subir suivant nos besoins et nos états, ibid., n. 2080. soit à cause de l’universalité de la loi d'évolution, lbid., n. 2080, 2058. De la sorte aucune affirmation sur Dieu en soi n’est possible, d’où le manque de valeur métaphysique formules, lbid., n. 2080, 2020. Ce qui revient a dire que les modernistes admettent donc la distinction du connaître et du croire au sens de Hobbes, Locke, Pascal, Kant, Mansel, Spencer, Ritschl, etc. —e Enfin, les modernistes font dépendre la croyance de « l’expérience individuelle, » qu’ils expliquent par une certaine intuition du cœur. » Le texte ajoute : « Ils se séparent ainsi des rationalistes, mais pour verser dans la doctrine des protestants et des pseudo-mystiques. » lbid., n. 2081. En d’autres termes, les modernistes, après avoir admis la thèse du relativisme de Kant et de Spencer, les dépassent, tout en continuant avec eux à tenir pour symbolique notre connaissance de l’absolu, par un appel à Schleiermacher, c’est-à-dire à la thèse protestante qui fait consister la foi en une expérience intérieure, ou par un appel à la doctrine des pseudomystiques qui, avec Molinos par exemple, nient toute valeur à la connaissance intellectuelle indépendamment de l’expérience mystique.

L’encyclique fait remarquer : a) Que la conclusion moderniste : « Dieu ne peut pas être directement objet de science » a déjà été condamnée par le concile du Vatican. » Voir col. 857. — b) Que la théorie protestante de la croyance ou de la foi, qu’ils confondent à tort, à laquelle ils ont recours, a été rejetée comme hérétique par le même concile : sola interna cujusijue e.rperientia. Cf. de Broglie, Les relations entre la foi et la raison, Paris, p. 54 ; Denzinger, n. 2072. — c) Que dans leur recours à l’expérience, ils débutent par le fidéisrne. lbid., n. 2074. — d Que de parti pris ils ne s'élèvent pas au-dessus du symbolisme, c’est-à-dire des théories d’après lesquelles nous ne pouvons désigner Dieu que par de pures dénominations extrinsèques. lbid., n. 2079. — e) D’où il suit qu’ils s’enlèvent tout moyen de distinguer les religions fausses de la vraie. ibid., n. 2082, et de ne pas tomber dans le panthéisme, puis dans l’athéisme. Ibid., n. 2108 sq. On sait assez que l’agnosticisme dogmatique de Locke, de Kant. de Mansel, etc., n’a pas abouti à autre chose. — f) Enfin l’encyclique consacre un paragraphe au sentiment protestant, ou pseudo-mystique, dont les modernistes ont tant abusé. Elle fait remarquer que, considérée philosophiquement, leur psychologie est en défaut : car qu’est-ce après tout que le sentiment sinon une réaction de l'âme à l’action de l’objet proposé par l’intelligence ou par les sens ? » De plus, au point de vue moral, cette importance donnée au sentiment est dangereuse ; de même, elle est caduque au point de vue apologétique, car le bon sens n’admettra jamais que l'émotion soit un moyen sûr de découvrir la vérité ; elle est en outre ruineuse au point de vue religieux, car n’aboutissant à aucune affirmation ferme et précise sur la nature intrinsèque de Dieu, elle ne peut pas décider s’il existe un Dieu rémunérateur, lleb.. XI, 6 :