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DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE

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Ce n’est certes pas un simple animal, mais bien un esprit méchant et malveillant, qui, sous la forme ou l’apparence d’un serpent, tente Eve, lui suggère l’idée de désobéir au précepte de Dieu et l’amène, elle et Adam, à manger du fruit défendu. La manière d’agir de cet animal cauteleux trahit un être supérieur, spirituel et invisible, qui pousse au mal, et la sentence divine contre le tentateur atteint cet être fourbe et dissimulateur plus que l’animal, dont il avait pris la forme. Gen., iii, 13-15. Dans tout ce récit, le serpent est un prète-nom et un porte-parole de celui qui sera appelé plus tard le diable. P. Lagrange, L’innocence cl le péché, dans la Revue biblique, 1897, t. vi, p. 350, 365-366. Cf. F. de Hummelauer, Comment, in Genesini, Paris, 1895, p. 150-151, 158-159 ; G. Hoberg, Die Genesis, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 44-51. Cette intervention du serpent pour expliquer la déchéance de l’humanité est exclusivement propre à la Genèse ; elle n’a son pendant dans aucun mythe ancien relatif à la destinée de l’humanité primitive. Il n’y en a aucune trace dans le mythe babylonien d’Adapa, dans lequel quelques mythographes ont prétendu découvrir l’origine du récit jéhoviste de la création. Le serpent ne remplit qu’un rôle secondaire dans le mythe d'Étana, et s’il se venge, c’est contre l’aigle qui avait conçu le projet de manger ses petits ; il ne fait rien relativement à l’homme. P. Dhorme, Clioix de textes religieux assyro-babyloniens, Paris, 1907, p. 148-181. Si le serpent intervient, dans les mythes de différents peuples, pour représenter une puissance mauvaise, on ne le trouve jamais mêlé à la perte de la félicité première de l’humanité. Les exemples, cités par F. Lenormant, Les origines de l’histoire, 2e édit., Paris, 1880, t. i, p. 98-106 ; Histoire ancienne de l’Orient, 9e édit., Paris, 1881, t. i, p. 39-41, n’ont point d’analogie avec le récit biblique de la chute, et si le serpent des Iraniens, Agrà Mainjou, incarne en quelque sorte le mal, s’il a quelque rapport avec le serpent de l'Éden, c’est très probablement parce qu’il en est dérivé par imitation. Les documents persans ne sont pas aussi anciens que le croyait Lenormant, et la dépendance entre la Bible et l’Avesta est l’inverse de ce que Ton prétendait autrefois. P. Lagrange, loc. cit., p. 350, 373, 377. Le serpent tentateur reste donc exclusivement propre à la tradition israélite.

Moïse, qui avait parlé du serpent de façon à faire reconnaître plus tard en lui l’esprit tentateur ou le diable, ne le mentionne plus dans le reste du Pentateuque. On a pensé que ce silence était intentionnel, que Moïse, pour maintenir plus aisément dans l’esprit de son peuple l’idée monothéiste, s’est tu sur l’existence d'êtres spirituels déchus, de peur que les Israélites, entraînés par les conceptions des peuples voisins sur des dieux malfaisants, ne se soient représenté, à coté du Dieu tout-puissant et bon, des êtres spirituels et invisibles, voulant le mal et capables de contrecarrer les volontés divines et de travailler dans le monde à rencontre des desseins de Dieu. Chez les Babyloniens en particulier, les démons étaient toujours prêts à mal faire et ne pensaient qu’au mal. Aussi, une partie de la religion consistait-elle à se les rendre favorables ou à écarter leurs attaques par des incantations et des pratiques magiques. Lenormant-Babelon, Histoire ancienne de l’Orient, 9e édit., Paris, 1887, t.'v, p. 194-214 ; Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, Paris, 1895, t. i, p. 630-636 ; Chantepie de la Saussaye, op. cit., p. 133, 134 ; P. Lagrange, Eludes sur les religions sémitiques, 2e édit., Paris, 1905, p. 223. C’est pourquoi le législateur hébreu interdit si sévèrement toutes les formes de la magie. Exod., xxii. 18 ; Lev., xx, 6 ; Deut., xviii, 9-11.

Les plus anciens livres de la Bible hébraïque, pour la même raison sans doute, parlent rarement des

esprits mauvais ou démons. On doit oir cependant l’un d’eux dans l’espril mauvais qui tourmentait Saûl,

quand l’esprit du Seigneur l’eut quitté-. | Sam.. XVI, 1 i, 15..Mais cet esprit ne paraît pas indépendant de Dieu ; il est présenté comme envoyé par Dieu lui-même pour agiter le roi coupable ; on l’appelle mémo l’esprit mauvais de Jéhovah » . I Sam., xvi, 16, 23 ; xvin. lu ; xix. 9. C’est Dieu encore, qui, entouré de toute l’armée des cieux, permet à un esprit de mensonge de tromper les faux prophètes d’Achab, et met lui-même sur leurs lèvres cet esprit de mensonge qui les fait parler. I(III) Beg., xxii, 19-23 ; II Par. ! Win, 18-22. Ces esprits n’agissent donc que par la volonté- divine. Ce ne sont pas des êtres malfaisants par leur nature et leur volonté propre ; ils sont des agents, subordonnés à Dieu et n’exécutant le mal que parce qu’il le leurcomrnande ou leur en laisse la liberté.

On peut rapprocher de cette conception le rôle attribué à Satan dans le livre de Job. Cet écrit, qui est probablement antérieur à la captivité, rellète les idées anciennes des Israélites sur le démon. Satan, nommé pour la première fois dans la Bible, est un être surhumain, comme les anges au milieu desquels il paraît, agent du mal, mais dans une absolue subordination à Jéhovah. Bien qu’il soit envieux du juste Job et veuille éprouver sa vertu par le malheur, il ne peut agir qu’avec l’autorisation divine. Il a besoin d’une permission, sinon même d’une délégation du Seigneur. Son action est strictement limitée à la volonté de Dieu, qui permet d’abord d’attaquer son serviteur exclusivement dans ses biens, et pas en sa personne, Job. 1, 6-12, puis dans sa personne, en sauvegardant toutefois sa vie. il, 1-7. Si Satan n’apparaît pas ici comme un esprit mauvais par essence, il se montre malfaisant et tentateur. Ce rôle de tentateur envers l’homme vertueux, en vue de le détourner de Dieu, le rattache manifestement au serpent de la Genèse. D’ailleurs, son nom. Satan, employé ici avec l’article, haSsâtân, dérive du verbe sâlan, « dresser des embûches, persécuter, être adversaire. » Ce n’est peut-être pas encore un nom propre, mais plutôt un nom de qualité, désignant un être malveillant, rusé, tendant des pièges et adversaire des hommes justes. Ce ne serait que plus tard qu’il serait devenu le nom propre du démon. Il a été traduit en grec par S ; 'aôo)oç, signifiant étymologiquement « celui qui se met en travers » , mais ayant ordinairement le sens d’ennemi, d’adversaire, et spécialement d’accusateur et de calomniateur. Si le Satan de Job ne désigne pas expressément le prince des démons, il ne convient pas non plus à un adversaire indéterminé : c’est un ange mauvais, ennemi de l’homme, dépendant de Dieu, et n'étant pas par conséquent une puissance du mal, essentiellement opposée à Dieu et représentant dans le monde le principe mauvais. La doctrine monothéiste d’Israël écartait toute idée dualiste et considérait les esprits mauvais comme inférieurs à Dieu et soumis à sa volonté, même dans l’exercice de leur malice et l’accomplissement de leurs desseins malveillants. Bien comprise, l’idée de ces esprits ne faisait courir aucun danger au monothéisme israélite et ne portait pas les Hébreux à déifier Satan et a en faire, en face de Dieu, principe du bien, le principe du mal.

Ces faits montrent la fausseté du sentiment de quelques critiques, qui ont prétendu à tort que les Hébreux n’avaient eu la notion distincte du démon qu’après la captivité, à la suite de leurs rapports avec les Perses, à qui ils auraient emprunté l’idée du prince des démons et le nom de Satan, La connaissance d’esprits mauvais est, chez eux, bien antérieure à la captivité. Nous allons voir si elle s’est développée à partir de la captivité sous l’influence des doctrines étrangères, et notamment des Perses et des Grecs.

A partir de la captivité.

I. Dans les livres ca-