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DEMOCRATIE

aucune trace de « la flagrante contradiction » alléguée tout à l’heure : les citoyens ne sont pas gouvernants et gouvernés dans le même instant, sous le même rapport, pour le même objet. Von Hertling, Democrazie, dans Slaatslexicon, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1901, col. 1335-1338.

Mais aussi bien, ce gouvernement direct par le peuple ne saurait être qu’intermittent ; chacun se doit à son gagne-pain, à sa famille, à ses intérêts dans la vie quotidienne. Nécessairement, l’exécution quotidienne des lois, l’administration des personnes et des deniers publics, la préparation des textes législatifs, la police, réclament des fonctionnaires, des spécialistes, des magistrats. La masse du peuple doit s’en remettre de ces soins et de ces charges à une minorité dirigeante. Mais il la nomme et il la contrôle en assemblée générale : il retient donc son éminente souveraineté, bien qu’il transfère diverses juridictions qu’il ne saurait exercer. Ainsi, le gouvernement du peuple par le peuple existe ; et il mélange aussi bien l’exercice direct du pouvoir par la multitude et son investiture à des autorités.

Mais il y faut des conditions particulières :
un étroit territoire et une population peu nombreuse, afin que la totalité des citoyens puisse aisément se transporter à l’assemblée générale, et y entendre les rapports, les propositions, et y compter ses votes. Robert Pinot, loc. cit., p. 187.
2° Il faut aussi l’égale possibilité pour les citoyens de se prononcer en connaissance de cause sur les candidats, les projets de loi et les comptes. Cette possibilité n’existe que dans un état social peu compliqué, pour des affaires simples. Voilà pourquoi la démocratie directe est de temps immémorial le régime de cantons forestiers, pastoraux, dont les vallées renferment peu d’industrie, pas de grand commerce, avec une population de paysans sensiblement égaux entre eux. Les intérêts cantonaux ne sont en réalité que des intérêts intercommunaux. Dans ces milieux, « la démocratie surgit de la nature de l’homme et des choses. » Le Play, La réforme sociale en France, Tours, 1887, t. iii. p. 308.
3° La démocratie directe exige enfin chez ses participants un sérieux amour du bien commun, s’inspirant de la justice, de la fraternité et du goût de la paix. « Elle fait naître toujours la prospérité, si le peuple, soumis à la loi de Dieu, s’accorde à conférer le pouvoir aux autorités naturelles, » c’est-à-dire aux plus capables et aux plus dignes. Le Play, loc. cit. Et aussi bien les montagnards suisses sont-ils profondément honnêtes et sauvegardés dans leur honnêteté par une religion convaincue et grave. Robert Pinot, loc. cit.

Ainsi, le gouvernement direct du peuple par le peuple se réalise dans les petits États de vie simple, de médiocres affaires et de haute moralité. Il s’adjoint aussi bien une minorité de délégués ou de mandataires.

2e cas. — L’adjonction de cette minorité devient plus nécessaire encore, et sa fonction plus considérable, dès que la population devient plus dense, avec une vie plus compliquée, dans un pays devenu plus riche, par la culture, l’industrie et le commerce. Des intérêts plus nombreux et plus délicats sont à ménager, à promouvoir, à défendre ; et leur discussion technique ou prudentielle dépasse les loisirs comme les capacités de la masse. Elle ne les connaît plus par elle-même que très en gros. C’est par l’effet de ces causes, que, dans les cantons de Berne, Fribourg, Râle, Genève, Zurich, des représentants assemblés se substituent à l’assemblée générale. A Berne, le pouvoir législatif en entier appartient à un Grand Conseil, pour quatre ans aussi, et que préside un magistrat annuel. En cours Mais cette part faite à la nécessité de spécialistes gouvernants, le peuple garde le contrôle des lois par voie de référen dum : c’est le vote suprême sur leur rejet ou leur adoption. Grâce à la clause, introduite dans toutes les constitutions cantonales ou fédérali s. le peuple suisse conserve le droit d’annuler purement et simplement les lois de ses représentants qui ne lui plaisent pas. Robert Pinot, loc. cit., p. 191 sq. Ces modifications nouvelles du régime démocratique nous permettent de distinguer un 2e cas : le gouvernement direct fait place à un gouvernement représentatif, dont le peuple retient le contrôle effectif par la clause de référendum. (Ne pas confondre celui-ci avec le plébiscite : le plébiscite porte sur un homme, et non sur une loi ; le plébiscite peut servir à se donner un César, mais le référendum demeure essentiellement un moyen de contrôle populaire.)

3e cas. — Puisque ce sont l’intensité du travail, l’accroissement de la richesse, la complexité’des in ! qui déterminent les institutions représentatives, nous verrons les minorités gouvernantes de députés, de fonctionnaires, de citoyens inlluents s’accroître considérablement dans les grands pays riches. Tout ce que le peuple y peut retenir, dans les affaires générales de la province ou de la nation, c’est le contrôle légal par voie de référendum, ou bien encore l’inlluence positive, comme celle que les Trade-Vniuns exercent en Angleterre sur la législation et dans le parlement, par la puissance combinée du nombre, de la compétence, et de l’action disciplinée. Ainsi, les grands États démocratiques ou qui vont se démocratisant, réalisent un 3e cas de gouvernement par le peuple : indirect et représentatif, pour l’ordinaire, avec moyens légaux et reconnus d’action populaire. Le mouvement tradeunioniste aux États-Unis, Circulaire du Musée social, n. 10, série B, 29 juin 1897 ; Le Cour-Grandrnaison. Le passé et l’avenir des Trade-Unions.

4* cas. — Enfin, dans tout état social et politique, compliqué ou simple, monarchique, aristocratique ou républicain, le gouvernement du peuple par le peuple se réalise aisément, utilement, pour les affaires intérieures des communes rurales. C’est un cas analogue à celui des cantons suisses forestiers et pastoraux. Partout, excepté en France, les paroisses et les communes forment des démocraties indépendantes. Le Play. La réforme sociale en France, t. iii, p. 309, 310. La commune russe, ou le mit’. Tikhomirov, La Russie politique et sociale, p. 113, 116 ; Stepniak, La Russie sous les tsars, p. 6 ; A. Leroy-Beaulieu. L’empire des Tsars et les Russes, 2e édit., Paris, 1883, t. i, p. 476 sq. La commune rurale suisse (Jura Rernois). R. Pinot. Monographie du Jura bernois, dans La science sociale, 1887. t. iii, p. 619 sq. — Allemagne (Lunebourg). E. Demolins, Le Rauer du Lunebourg, ibid., 1887, t. III, p. 585, 593. — Angleterre, Le Play, Constitution de l’Angleterre, t. n. c. ni ; La réforme sociale en France, t. ii, c. i.v. î.vi ; cf. lti ; c. Routmy. Le développement et la constitution de la société politique en Angleterre ; Edward Jenks, Esquisse du gouvernement local en Angleterre, Paris, 1902. — Norvège. Paul Bureau, Le paysan des fjords de Norvège, dans La science sociale, 2° période, 2P fascicule, p. 208. 211.

Ces espèces variées de communes rurales présentent les caractères génériques suivants : 1° souveraineté de l’assemblée générale des habitants qui paient les taxes ; 2° nomination et contrôle dos agents communaux par l’assemblée ; 3° extension des pouvoirs de l’assemblée ou de ses mandataires aux intérêts locaux et solidaires des familles domiciliées : chemins communaux, police des champs et endroits publics, dépenses du culte et de l’instruction primaire, assistance des indigents de la commune. Aucun de ces besoins ne dépasse la compétence qu’un paysan peut acquérir par la pratique journalière de son travail, de sa vie domestique et de ses relations avec ses voisins. Immédiatement