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DISCERNEMENT DES ESPRITS


positions qu’ils trouvent en elle. Quand le démon rencontre une âme pécheresse, il l’entoure de ses faveurs et l’affermit doucement dans son état ; il agite et trouble au contraire celle qu’il voit avancer dans le bien. Dieu se montre favorable aux bons ; il envoie aux méchants l’aiguillon du remords et de la crainte salutaire. En vertu de ce principe, le démon comble de biens temporels les pécheurs, d’où souvent scandale des faibles qui s’étonnent de voir le vice prospère — à ces pécheurs le démon assure le succès des affaires, la fortune, la santé, les honneurs ; il les détourne ainsi de toute préoccupation spirituelle ; il leur fait croire que leurs péchés sont véniels, que les pratiques surnaturelles sont enfantillages et mesquineries. S’il les trouve sollicités par la grâce qui les trouble et veut les reconquérir au bien, il leur fait voir la longueur de la vie, qu’ils ont bien le temps de songer à leur âme, que la divine miséricorde est infinie, et ainsi il creuse chaque jour plus profond le sillon des habitudes mauvaises et multiplie les chaînes. — Dieu, par ses inspirations, montre au pécheur le néant des choses humaines, la brièveté de la vie, la fragilité des biens de la fortune onde la santé, qu’il enlève même parfois par des épreuves providentielles ; au lieu de permettre à l’homme de s’endormir dans la prospérité, il excite chez lui la crainte du jugement, le repentir du mal, l’horreur du péché. Autant le démon séduit le pécheur, autant Dieu l’agite. Quand l’homme est entré dans la voie du bien, les rôles changent : Dieu multiplie pour lui les séductions de la vertu, le démon lui en montre toutes les difficultés et cherche à l’en dégoûter. Cette tactique, évidemment, n’est pas toujours rigoureusement suivie soit par le démon, qui parfois malmène les pécheurs et excite les bons à la ferveur excessive, mais toujours pour aboutir finalement à la rechute et au vice, soit par Dieu, qui, lorsqu’il agite et trouble les consciences, ne le fait jamais que provisoirement, pour les mener ensuite à la consolation et à la paix. Sur tout ce paragraphe, consulter Gagliardi, op. cit., c. il, p. 114-129, et les règles tlu discernement de la première semaine, d’après saint Ignace.

3° Dieu et le démon ne s’inspirent pas seulement de l’état spirituel coupable ou vertueux dans lequel se trouvent les âmes, mais ils considèrent encore leur psychologie pour les mouvoir et les émouvoir par les facultés les plus ouvertes et les plus abordables. Aussi les personnes expérimentées observent-elles que Dieu, « voyant chez les personnes cultivées et lettrées meilleur entendement, commence l’œuvre de leur perfection en leur donnant d’abondantes lumières pour l’intelligence du vrai. Par contre, voyant chez les personnes simples et dévotes meilleure volonté, il les embrase de saintes affections dès le commencement de leur sanctification. » Scaramelli, n. 172, p. 258. Rarement et aux plus privilégiés, il donne simultanément lumière et affection. Ici encore il y a des degrés : quelquefois l’esprit de Dieu meut l’âme vers le bien en général sans préciser sa volonté, et l’on voit un Benoit Labre fortement attiré vers Dieu chercher pendant quelquesannées la forme particulière sous laquelle Dieu veut être servi par lui ; d’autres fois l’esprit divin se contente de provoquer un simple désir sans en attendre l’exécution et il demande à Abraham la disposition d’immoler son fils et l’arrête avant l’immolation réelle qu’il prépare ; d’autres fois il veut le désir total et une exécution partielle et chez l’énergumène qu’il a délivré il provoque le désir de le suivre ; mais quand ce désir est exprimé, il le refuse et ordonne une demi-exécution : Va dans ta maison vers les tiens et annonce-leur tout ce que le Seigneur a fait, pour toi. Matth., v, 19. Suivant ses dispositions « tantôt il se découvre à l’âme et la console par des consolations sensibles et agréables et tantôt il se cache à elle et la laisse aride et désolée. Mais il

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

n’en est pas moins vrai que l’esprit du Seigneur, qu’il se découvre ou qu’il se cache, opère toujours dans les âmes bonnes. Quand il se découvre, il opère dans la partie raisonnable et aussi dans le sens intérieur, et quand il est caché, il opère seulement dans les puissances raisonnables, en les fortifiant, et il laisse le sens désolé. » Scaramelli, n. 184, p. 278.

Le démon ne fait pas moins de cas de lapsychologie de chacun de nous. « Notre ancien adversaire se rend compte tout d’abord du tempérament de chacun de nous et dresse en conséquence les artifices de ses tentations. L’un est jovial, l’autre triste ; un autre timide et un autre hardi. Donc pour surprendre plus aisément ceux qu’il combat en cachette (et à plus forte raison ceux qu’il combat ouvertement) il leur présente des pièges en rapport avec leur humeur. Comme le plaisir va avec la joie, il propose la volupté à ceux qui ont l’humeur joviale, et comme la tristesse se laisse facilement aller à la colère, il présente aux gens tristes le breuvage de la discorde. Comme les timides redoutent les châtiments, il inspire de la terreur aux peureux, et comme il voit les orgueilleux enlevés par les louanges, il les mène où il veut en leur tenant des propos flatteurs. En un mot, il tend ses pièges aux hommes à l’aide des vices qui leur sont familiers. Et, en effet, il ne les captiverait pas si aisément, s’il proposait aux hommes lascifs de l’argent, aux avares des filles de joie, aux gourmands la gloire de l’abstinence et l’attrait de la gourmandise aux jeûneurs ; s’il cherchait à prendre les gens paisibles parle goût des querelles, ou les irascibles par la crainte. » S. Grégoire, Moral., l. XXIX, c. xxii, P. L., t. lxxvi, col. 501.

XV. Les modes cachés de l’action diabolique. — Nous avons dit après saint Paul, II Cor., xi, 14, que lf démon se transfigure parfois en ange de lumière afin de mieux nous tromper et de s’emparer plus sûrement des âmes. Ces procédés s’appellent « illusions » ; ils sont employés surtout contre les personnes d’une vertu plus avancée ; saint Ignace en fait pour cela l’objet des règles de la seconde semaine. Les illusions diffèrent des ruses auxquelles le démon, en qualité de chef d’armée et d’artisan d’embûches, a perpétuellement recours contre tous les hommes. « Les ruses sont des artifices pour induire l’homme à un mal qu’il sait être réellement mal. Les illusions sont des industries trompeuses pour attirer l’homme au mal sous l’apparence du bien ou pour l’éloigner du bien sous l’apparence du mal. » Scaramelli, n. 201, p. 307. Les illusions jouent, dans l’ordre du bien et en face de l’appétit, le rôle des sophismes dans l’ordre du vrai et en face de l’esprit. Les sophismes sont des déviations de logique en vertu desquelles l’esprit partant de prémisses vraies aboutit â des conclusions fausses ; les illusions sont pareillement des erreurs de méthode grâce auxquelles le démon conduit de l’amour de la vertu à la pratique du vice.

Les étapes sont les suivantes : point de départ, quelque chose de très bon, parfois d’exagérément bon, auquel le démon, par son astuce, nous fait substituer quelque chose de moins bon ; bientôt surgit un bien imparfait qui n’est pas sans un certain alliage humain ; au bien imparfait succède l’apparence seule du bien sous le couvert de laquelle le péché se glisse et enfin le vice règne en maître. Gagliardi qui énuinère ces étapes nous donne l’exemple suivant : Ex motione amoris divini et serviendi Deo (dsemon) inducet mulierem ad quærendum aliquem, qui sit illi dux et magister in vita spirituali, curabitque ut accendatur affectas erga eum spiritualia et sanctus, sub illa sjiecie divini magisterii et progressifs in rébus spiritualibus : sequitur hinc frei/uens collocutio inler eos ; turti afjectus quidam httmanus honestus, non tamen pure spiritualis sicut anlea, et sermones de rébus hitma IV. - 15