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DISCERNEMENT DES ESPRITS


Xous apprenons à la vérité beaucoup de choses du discernement, en lisant, en écoutant, el par le jugement que la raison naturelle nous fait faire de toutes les cluises qui se présentent. Mais nous ne nous instruisons jamais pleinement de cette matière sans le secours de l’expérience. Il faut que celui qui doit juger de tous, les.suive tous en observant leur conduite et leurs voies. Il faut premièrement nous appliquer avec un grand et continuel soin à l’étude et à l’acquisition des vertus ; et pendant que nous sommes dans cette application il nous est inévitable de tomber souvent dans des fautes. Il faut donc nous relever souvent et apprendre par nos chutes fréquentes quelle vigilance, quelle attention et quelle précaution on doit employer pour acquérir les vertus chrétiennes ou pour les conserver. Ainsi nous instruisant par un long exercice dans la discipline et l’acquisition des vertus, notre àmeenlin, étant longtemps exercée, arrive à la parfaite capacité de discerner sagement les mœurs et d’en former des jugements équitables. » De pr sépara t. ad contempl., c. i.xvii, P. L., t. cxcvi, col. 48.

ô. Il faut encore que celui qui veut acquérir le discernement évite les obstacles à cette acquisition : d’abord ceux qui viennent de la tête, par trop de confiance en soi et en son propre jugement. Il se déliera donc de soi ; les anciens recommandaient pour cela une grande humilité et le soin d’interroger les personnes instruites ou expérimentées ou favorisées de lumières spéciales d’en haut ; ensuite les obstacles qui viennent du cœur : « que le directeur ne s’affectionne pas trop à ses pénitents parce que, excité plutôt par l’affection que par la raison, son jugement ne serait plus équitable : il déciderait toujours en leur faveur… Pour ce même motif, on ne doit jamais prendre aucune âme sous sa direction pour l’avantage temporel qu’on en pourrait retirer ; parce que si l’intérêt a tant de force pour corrompre les juges terrestres, il n’en a pas moins pour altérer la manière de voir des juges spirituels des âmes. » Scaramelli, op. cit., c. v, n. 48, 49, p. 76, 77.

6. Enfin, il faut une grande prudence dans les jugements par lesquels celui qui veut acquérir le discernement s’y exerce peu à peu ; car l’habitude — et l’art du discernement doit être une habitude — s’obtient par la répétition des actes. Il se mettra donc sur le terrain spirituel, évitera trop de crédulité dans l’acceptation des faits, et de subtilité dans les raisonnements, pèsera mûrement avec les poids du sanctuaire et ne se prononcera qu’après mûre réllexion.

XII. L’exercice du discernement entre l’homme et lus causes extérieures. — Ce discernement présente des difficultés particulières. En effet, les causes extérieures n’agissent jamais tellement en nous, que nous n’ayons notre part dans les mouvements qu’elles excitent ; elles nous poussent, mais nous subissons et nous réagissons d’une façon vitale et là où nous sommes les plus passifs se mêle encore quelque action ou réaction immanente.

— En outre, nous n’agissons nous-mêmes jamais d’une façon si indépendante, qu’une intervention extérieure ne vienne fondre son action avec la nôtre. La chose est certaine pour nos actes bons et surnaturels où Dieu est toujours notre coopérateur et notre aide, où sa grâce est indispensable. Sans elle, nous ne pouvons même dire : « Seigneur, Seigneur. » La chose est possible et n’est pas dépourvue de probabilité pour nos actes mauvais où le démon a peut-être une part constante par ses tentations. Il n’est pas démontré, certes, que nous ne faisons le mal que sollicités par le tentateur, mais celui-ci est persévérant et si la chose n’est pas démontrée, elle est loin d’être impossible. Dès lors on voit qu’il serait déraisonnable d’imaginer une cloison étanche entre les actes qui viennent de l’homme et ceux qui viennent d’un agent supranaturel. A ceux-là se mêle toujours ou presque toujours quelque inlluence du second,

aux autres est nécessaire la collaboration du premier. Le problème n’est donc pas de distinguer les mouvements exclusivement humains des mouvements exclusivement divins ou diaboliques, mais de distinguer parmi les mouvements qui se produisent chez l’homme et donc sont humains, ceux qui ont leur source propre, leur cause excitatrice dans la psychologie de l’homme, d’avec ceux qui ont leur principe excitateur en dehors de l’homme. Ainsi les mouvements de la jambe sont toujours des mouvements du corps, mais ils peuvent venir de la volonté de l’homme, ou d’un agent extérieur qui s’empare de ce membre et le remue.

Les règles suivantes président à ce discernement : 1° Il faut bien connaître la nature humaine afin de savoir quelles sont ses opérations normales, ses puissances ordinaires et même extraordinaires : il y a des choses qu’elle fait habituellement, d’autres qui semblent impossibles, et qui deviennent possibles sous le coup de fouet d’une excitation très vive et insolite ; il faut en particulier tenir compte des possibilités qu’offrent ces régions encore quelque peu ignorées de la psychologie subconsciente. Cf. Grasset, Le pst/chisme inférieur, Paris, 1906 ; lioirac, La psycltologie inconnue, Paris, 1908 ; A. Cbollet, La contribution de l’occultisme à l’anthropologie, Paris, 1909. Évidemment nous ne connaissons pas toutes les possibilités qu’offrent les énergies normales, ni surtout anormales de l’homme ; mais il y a des limites certaines que nous savons qu’elles ne franchiront jamais et au delà desquelles se trouve le champ des opérations des agents supranaturels.

2° Il faut tenir compte en outre du tempérament spécial de chaque sujet, et de sa condition physiologique, pathologique, intellectuelle ou morale. Un névropathe, un somnambule facilement hypnotisahle pourra présenter des phénomènes surprenants qui, à première vue, sembleront extra-hurnains et ne seront que maladifs. Certaines intelligences supérieures et supérieurement intuitives pourront avoir des vues qui paraîtront à d’aucuns appartenir à la révélation particulière et seront simplement naturelles.

3° Ces connaissances présupposées, la conscience devra joindre sa voix à celle de la science. Dans bien des cas, en effet, nous avons conscience parfaite d’être les auteurs de certains mouvements, de les avoir voulus, de les avoir provoqués ou émis en nous, de pouvoir les diriger ou les interrompre à notre guise ; dans d’autres cas, nous avons au contraire conscience d’être purement passifs, de subir une force qui n’est pas nôtre, d’être, dans notre oraison par exemple, saisis par une puissance mystérieuse qui paraljsenos facultés et leur fonctionnement ordinaire, nous immobilise dans un sentiment très vif de la présence et de la bonté divine, et contre laquelle nous sentons toute résistance impossible. Il est facile alors de dire que, dans les premiers cas, nos mouvements sont de nous et que, dans les seconds, ils sont d’En-Ilaul.

4° Enfin Vobservalion peut aussi nous éclairer. Elle remarquera si les mouvements émis par nous son » faciles et spontanés, s’ils coulent pour ainsi dire comme de source, s’ils ont une logique interne et s’enchaînent parfaitement par les liens de cause à effet ou si, au contraire, ils sont produits ex abrupto, accompagnés de violence interne et d’une certaine véhémence, s’ils n’obéissent pas aux lois de logique qui enchaînent nos actes entre eux, mais semblent comme un phénomène inattendu, soudain, sans préparation qui vient s’insérer subitement dans la série rompue par lui de nos actes normaux. Dans la première hypothèse, nous aurons affaire à des actes venus de l’homme, dans la seconde, à des mouvements suscités par une cause extra-humaine. Cf. Gagliardi, op. cit., c. i, p. 109-114 ; Scaramelli, op. cit., c. il, n. 17, p. 26.