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DISCERNEMENT DES ESPRITS

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La règle générale une fois posée, l’auteur des Exercices entre dans ses applications particulières. Il faut d’abord voir si la joie conrlatée dans l’âme a une cause préalable ou non ; si elle n’en a pas, elle vient de Dieu.

Seconde règle. — Dieu seul peut verser la consolation dans une àme, sans aucune cause préalable de joie. Il n’appartient qu’au créateur de pénétrer ainsi jusqu’au plus intime de sa eréature, de l’embraser complètement de s..n amour, d’entraîner,

de transformer sa volonté. Aucune cause n’a précédé la consolation, dans le sens où nous l’entendons ici, quand il ne s’est rien présenté ni aux sens, ni à l’intelligence, ni à la volonté, qui pûl occasionnel’cette consolation.

Si l’on a découvert une cause préalable, elle peul êlre Dieu ou le démon. Comment savoir lequel des deux est l’inspirateur actuel ? Par les fins poursuivies.

Troisième règle. — Toutes les fois qu’il a d abord existé une cause, la consolation peut être attribuée s.>it au bon esprit soit au mauvais. Or, les fins que l’un et l’autre se proposent sont contraires. Le bon esprit veut que l’aine avance davantage dans la connaissance et la pratique du bien, le mauvais travaille à l’entraîner au péché et à sa perte.

Mais la fin poursuivie par le démon ne peut elle pas être ou au moins paraître bonne et salutaire’.' ne se Iransforme-t-il pas parfois en ange de lumière’.' Oui, cerles, alors on étudiera {’ensemble de la marche de l’inspiration. Le démon ne se change jamais entièrement, ni constamment, en ange de lumière. Ses débuts peuvent illusionner, il peut prendre une face angélique, il a toujours « une queue de serpent ».

Quatrième règle. — Il arrive assez souvent que l’ange des ténèbres se transforme en ange de lumière. Il connaît les désirs des âmes pieuses et les favorise d’abord ; mais bientôt ces premières avances lui servent à susciter en elles des désirs coupables. Il feint, dans les commencements, d’admettre les bonnes pensées et même il aide à les concevoir, mais peu à peu il attire l’homme dans ses pièges cachés et l’enveloppe de ses fdets perfides.

Cinquième règle. — Nous devons examiner avec soin nos pensées et voir quel est leur principe, leur progrès et leur lin. Si nous reconnaissons que tout est irréprochable, nous sommes en droit de conclure que le bon ange en est l’inspirateur. Si la réflexion nous y fait découvrir quelque chose d’intrinsèquement mauvais, ne fût-ce que dans ses conséquences, quelque chose qui nous détourne du bien ou nous incline vers un moindre bien que celui auquel nous nous étions déterminé d’abord ; si notre âme est fatiguée, pleine de trouble et d’angoisse, si nous avons perdu enfin la quiétude, la paix, la tranquillité dont nous jouissions primitivement, nous avons la preuve évidente que l’auteur de ces pensées est l’esprit malin qui s’oppose toujours à ce qui peut nous être utile.

Quand on a réussi à découvrir le véritable auteur des états et mouvemenls de l’âme, il reste à agir et saint Ignace nous dit par la sixième règle ce qu’il faut faire contre le démon et par la huitième comment on seconde l’action de Dieu.

Sixième règle. — Lorsque l’ennemi décèle sa présence et

laisse reconnaître sa queue de serpent, c’est-à-dire la fin mauvaise qu’il cherche sans cesse ; i r ^ faire adopter, le mieux

qu’il y ait à faire, c’est de n’aller pas plus loin i m revient sur toute la suite de ses pensées ; on note le prétexte honnête grâce auquel d s sst fait - : iut£i d Jjord comment il a riussi ;  : foire disparaître peu à peu ce goût des choses de Dieu, cette suavité spirituelle, cette paix de l’âme doriton jouissait, pour y substituer son poison. On apprendra ainsi à connaître ses ruses pour les mieux éviter à l’avenir.

Huitième règle. — Toutes les fois que notre âme est pénétrée de consolation sans aucune cause préalable, cette consolation vient de Dieu comme il a été dit plus haut ; il n’y a donc pas d’illusion à craindre. » lependantla vigilance est encore nécessaire, et il faut distinguer avec soin ce premier moment de bonheur de ceux qui le suivent. Pendant quelque temps, en effet, l’âme encore fervente et tout embrasée d’amour savourera les restes de cette faveur divine. Alors il arrivera peut-être que tout naturellement elle se laissera aller à ses propres pensées ou à son propre jugement, ou bien encore le bon et le mauvais esprit feront sentir leur influence. Alors on éprouvera des sentiments, on fera de

raisonnements, on prendra des résolutions qui, ne venant pas directement de Dieu, auront besoin d’être soigneusement examinés avant d’être approuvés et réduits en pratique.

Ces règles ont été signalées dernièrement par un moderniste de marque, comme un des fondements de son modernisme, et comme une application de la méthode de l’immanence. « En ce qui touche la méthode de l’immanence, la recherche de la vérité religieuse au moyen de l’action, non de la spéculation — je pourrais dire exactement le moment de ma vie où mon immancnlisme a pris naissance. Dans ses Règles pour le discernement des esprits, empruntées bien entendu aux grands mystiques catholiques, Ignace de Loyola dit : « Car de même que la consolation est opposée à la « désolation ; de même les pensées qui prennent leur « source dans la consolation sont contraires à celles qui « prennent leur source dans la désolation. » D’un bout à l’autre de ses règles, il affirme que nos pensées et nos croyances sont déterminées par nos dispositions morales, par nos états sentimentaux et qu’elles en dépendent. Et encore, dans ses règles pour faire un choix et arriver à connaître la volonté de Dieu, il déclare que nous ne verrons clair que si nous ne sommes pas troublés par nos passions. A la vérité, ses Exercices sont une discipline des sentiments, la purification du cœur, seul moyen d’arriver à la connaissance de Dieu et de sa volonté. On dit qu’Ignace a toujours l’ait usage pour lui-même de la méthode qu’il recommande pour connaître la volonté de Dieu, c’est-à-dire observer si la résolution que l’on a prise s’accompa-no de paix spirituelle ou d’inquiétude, usant ainsi des mouvements de l’âme, des élats alfectifs comme d’une sonde, d’un bâton au moyen duquel il tâte le terrain et arrive à se frayer un passage. Il nous dit ensuite que c’est une des prérogatives de Dieu de créer ces étals do l’âme sans qu’il soit besoin de connaissances préalables, états qui donnent naissance aux pensées inspirées et nous font sentir par comparaison combien nos pauvres tentatives humaines pour atteindre la vérité divine, sont misérables. » Georges Tyrrell, Stiis-je catholique ? xi, Paris, 1908, p. 123-125.

En prêtant attention aux passages que nous avons soulignés on verra facilement ce qu’il va d’exagéré dans l’interprétation des textes de saint Ignace et partant de faux dans les conclusions qu’on en veut tirer. — 1° Il faut observer que, dans les règles du discernement des esprits, saint Ignace n’entend pas faire une théorie philosophique. Il s’adresse aux âmes pieuses, éclairées ou non, et en dehors de tout sjstème de psychologie touchant l’origine des idées, il leur indique plusieurs moyens pour reconnaître les principes des mouvements qui se produisent en elles.

2° Le texte rapporté par M. G. Tyrrell est de la quatrième règle de la première semaine. Il est donc pour les commençants. Le saint y dit que de la consolation et de la désolation naissent, oriuntur, des pensées opposées entre elles comme la consolation et la désolation elles-mêmes. Et M. Tyrrell en conclut que nos pensées sont « déterminées » par nos dispositions morales. Il avait, dans la traduction du texte, dit qu’elles y ont leur « source » et plus loin il affirme que la purification du cœur est le « seul moyen » d’arriver à la connaissance de Dieu et de sa volonté. D’où la conclusion que l’iinmanenlisme se trouve dans es Exercices. C’est aller vite en besogne. Et d’abord, en prétendant que nos pensées sont « déterminées » par nos dispositions morales, si l’on entend professer un déterminisme absolu, on s’écarte de la doctrine des Exercices, attendu que saint Ignace, dans les moines règles invoquées, ne cesse de répéter que, dans la désolation, il faute se lu iler de rien changer à ses résolutions antérieures v (règle vt) ; il faut « s’encourager par cette pensée que Dieu nous abandonne ainsi de temps en temps à nous-mêmes