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DISCERNEMENT DES ESPRITS


Dieu. L’auteur de V Imitation entre dans des détails su^estifs à ce sujet. Appartenant à la première série, les règles suivantes sont établies. D’abord, la nature a horreur de tout ce qui tend à la diminuer ou à plus forte raison à la détruire. Cela se comprend, si elle a mis sa finalité en elle-même, elle ne peut supporter ce qui est l’ennemi de son moi hypertrophié. Elle « ne meurt qu’à regret, elle ne soutire jamais volontairement qu’on l’abaisse, qu’on la soumette et qu’on la dompte. Mais la grâce s’étudie à se mortifier, elle résiste à la sensualité, elle cherche à se soumettre, elle désire d’être vaincue, elle ne veut point se servir de sa liberté, elle aime à être sous la discipline d’autrui, elle ne veut point commander, elle veut toujours vivre, demeurer et être sous la main de Dieu et elle est toujours prête d’ohéir à toutes les créatures pour l’amour de Dieu, » §3, p. 41t. Cf. I Pet., il, 13.

La nature a une seconde horreur, celle de tout ce qui menace de la déconsidérer et de la priver de tout ce qui peut l’entourer d’honneur et d’attentions. La grâce, elle, au contraire, « aime à souffrir des altronts pour l’amour de Jésus-Christ, » S 6, p. 414. Cf. Act., v, 41.

Troisième horreur de la nature non partagée par la grâce, c’est celle qui a le travail ou les privations pour objet. La nature aime l’oisiveté et le repos du corps ; elle se plaint que quelque chose lui manque ou la fâche : jouir et ne rien faire, lui va. La grâce ne saurait être sans rien faire, travaille avec plaisir, supporte les privations avec confiance, § 7, 15, p. 414, 418.

Les règles de la seconde série s’appuient sur les désirs ou tendances de la nature et de la grâce. La première recherche tout ce qui flatte ou satisfait son moi ; la seconde poursuit ce qui mène à Dieu. Aussi la nature désire-t-elle sans cesse : « elle reçoit plus volontiers qu’elle ne donne, elle aime à avoir les choses en propre et en particulier, elle estime les choses temporelles, les profits la réjouissent : c’est la cupidité, s § 10, 9, p. H6. La grâce se contente de peu et elle croit qu’ « il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. » Act., xx, 35. Elle n’a d’attention que pour l’éternité, elle n’a point d’attache pour ce qui est temporel, les pertes ne la troublent point. Ibid.

A la nature il faut des consolations extérieures qui font plaisir aux sens ; elle reçoit volontiers de la considération et de l’honneur. Aussi est-elle aise d’avoir des amis et des parents en grand nombre. Elle se glorifie de la noblesse de son origine et du lieu de sa naissance, elle a de la complaisance pour les puissants, elle flatte les riches et applaudit à ceux qui lui ressemblent, i ; 12, 5, 14, p. 416, 414, 418. A l’opposé, la grâce ne cherche de consolation que dans Dieu et ne veut de joie que dans le souverain Bien qu’elle préfère à tout ce qui est visible…, elle attribue fidèlement g à Dieu tout l’honneur et toute la gloire, » Ps. xxviii, 2 ; …elle aime même ses ennemis et ne s’élève point pour le grand nombre de ses amis, elle ne fait aucun cas de la grandeur et du lieu de sa naissance s’il ne s’y joint une plus grande vertu ; elle est favorable au pauvre et à l’innocent plutôt qu’au riche et au puissant. Ibid.

Enfin la nature est tout au dehors, cherchant le brillant plutôt que le solide, avide de nouvelles, curieuse de savoir, heureuse de se montrer ; tandis que la grâce, plus attachée au fond, plus adonnée à la vie intérieure, préfère le recueillement et le calme, l’humilité et la pauvreté, §8, 16, p. 416, 420.

L’auteur de l’Imitation, si expert à signaler les caractéristiques des mouvements de la nature et de la grâce, n’excelle pas moins à dénoncer les procédés du démon et à décrire les oies par lesquelles le tentateur s’insinue chez nous pour y exciter les mouvements mauvais. « D’abord il ne se présente à l’esprit qu’une simple pensée ; elle est suivie d’une forte imagination et puis du plaisir et enfin viennent les désirs déréglés et

le consentement. C’est ainsi que petit à petit l’ennemi malicieux s’empare entièrement de nous, quand on ne lui résiste pas dans le commencement. Plus longtemps on néglige de s’opposer à lui, plus on devient faible à chaque moment et plus l’ennemi se rend puissant, » l. I, c. xiii, ^ 5, p. 42.

VI. D’après Pierre d’Ailly. — Pierre d’Ailly a écrit deux traités, dont le second fort long De falsis proplielis. Le premier dénonce surtout les ruses et procédés des hérétiques hypocrites et autres faux docteurs, qui se revêtent de la peau des brebis et ne sont que des loups ravisseurs. Ce sont les modernistes de son temps. Le second traité a pour objet de combattre les erreurs de l’astrologie. Nous pouvons y trouver un témoignage de la tradition chrétienne sur le discernement des esprits. Dans cette œuvre d’une ordonnance quasi mathématique et d’une forme logique rigoureuse, Pierre d’Ailly annonce trois questions, dont deux seulement sont résolues, ce qui semble indiquer qu’il n’a pas pu ou voulu terminer son travail. La première question reprend le problème envisagé déjà dans le premier traité, des dissimulateurs, des modernistes, loups dangereux cachés sous les peaux de brebis. La troisième question annoncée mais non abordée devait être du discernement des miracles, la seconde, 1res longue, parle des prophéties. Elle en dit la nature et la ramène à l’annonce surnaturelle de l’avenir, fulurorum contingenlium supernaturales verilates. Dans/oa « HJs Gersonii opéra, Anvers, 1706, t. i, p. 528. Elle en dit la cause qui ne peut pas être naturelle. La nature peut seulement fournir des dispositions physiques et morales qui facilitent le concours que l’homme peut apporter à l’action prophétique. Et ici vient la distinction entre les diverses espèces de prophéties. Outre les vraies prophéties qui ne procèdent que du Seigneur, il y a des prévisions d’avenir faites par l’industrie ou la science humaine, en dehors ou à la faveur du sommeil, il y a des annonces d’événements futurs suggérées aux hommes par les démons. A ce propos le cardinal établit toute une dissertation sur la faculté qu’ont les démons de connaître l’avenir, de l’annoncer et sur la licéité du commerce avec eux pour savoir les choses occultesoufulures. Il pensedonequ’ils peuventannoncer l’avenir, qu’ils l’annoncent parfois, et que tout en étant des instruments de mensonge, il leur arrive de prédire et de dire la vérité. Mais comment alors distinguer entre les vraies prophéties et celles du démon, si celles-ci disent parfois le vrai ? Comment discerner les prédictions suggérées par l’esprit divin et celles qu’inspire l’esprit mauvais ? Dicendum quod, licet diabolus non sit causa vera prophetite proprie dictse, potest tamen esse veritalis cnunlialor, etiam ad fidei confirmationem. Tamen inter divinam et veram prophetiam qua proprie est confirmalio fidei et faisant prophetiam da’monum quæ per accidens ad confirmationem fidei quandoque operatur potest, aliquo modo discerni, p. 577. Après avoir invoqué l’autorité de saint Jean Chrysostome et celle du Deutéronome, xviii, 21 ; après avoir observé que le vrai et le faux ne suffisent pas plus que les bonnes ou les mauvaises mœurs pour fournir un critérium suffisant, attendu qu’il arrive au démon de faire prophétiser le vrai, et à Dieu de se servir d’instruments de mœurs discutables, il pose ses conclusions

1° Il cherche d’abord à établir qu’il n’existe, ni dans la sainte Écriture, ni ailleurs, de documents suffisants pour démontrer avec évidence la distinction des vrais et des faux prophètes, des vraies et des fausses prophéties. D’après Pierre d’Ailly on ne peut prétendre à l’évidence, c’est-à-dire ici à la certitude, dans l’art du discernement des prophéties, lui effet, ajoule-t-il, en invoquant l’ange de l’École, les faux prophètes se distinguent des vrais par les causes qui les l’ont agir ou qui concourent à leur action. Pour les faux prophètes