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DISCERNEMENT DES ESPRITS


pouvait s’expliquer le passade subit de certaines âmes de la joie spirituelle la plus ineffable à la plus morne tristesse. Hic beatus Daniel inquirentibus nobis cur interdum résidentes in cellula lanla alacritalecordts, cum ine/fabili quodam gandio et exuberantia secretissimorum sensuum repleremur, ut eam non dicani sernio subscqui, sed ne ipse quidem sensus occurreret, … ac rursiim nullis existentibus causis tanta subito anxielate repleremur, et irratiunabili quodam mœrore premeremur, ut non solurn nosmetipsos hajusmodi sensibus arescere sentiremus, verum etiam horreret cella, sorderet leclio…, ita respondit. La question est posée. La réponse de l’abbé Daniel sera complète et nous donnera déjà le triple aspect sous lequel devra de tout temps être considéré le problème du discernement des esprits. Si nous en croyons les anciens, nous dit ce moine qui se présente donc comme le simple témoin d’une tradition vieille déjà, si nous en croyons les anciens, la stérilité de l'âme peut être due à une triple cause : à notre négligence, à l’attaque du démon, à l’action de la divine providence. C’est la distinction du triple esprit auquel il faut rapporter les mouvements de notre libre arbitre : Triparlila nobis a majoribus super /tac, quant dicitis, sterilitate mentis trad.ta ratio est. Aut euim de negligenlia noslra, aul île impugnatione diabuli, aut de dispensalione Domini ac probatione descendit. Dans la première conférence, l’abbé Moïse avait déjà dit : « Voilà ce qu’il nous faut savoir avant tout : que nos pensées peuvent avoir une triple origine et venir de Dieu, ou du démon, ou de nous. « Jllud sane prse omnibus scire debemus : tria cogilationum noslrarum esse principia, id est, ex Deo, ex diabolo et ex nobis. Coll., i, c. xix, P. L., t. xlix, col. 508. L’abbé Daniel reprend ensuite ebacune de ces causes afin de la mettre en relief. La négligence nous fait perdre le fruit des expériences personnelles passées, que nous n’avons pas le courage d’utiliser ; elles nous rend lâches devant les pensées mauvaises que nous laissons pénétrer dans notre cœur et en couvrir le sol d'épines et de buissons où s'étoutle toute bonne semence. Et de negligentix quidem cum nostro vitio tepore prxcedenle incircumspecle nosmetipsos et remissius exhibentes, et per ignaviam et desidiam noxiis cogitationibus pasti lerram cordis nostri spinas et tribulos facimus germinare, quibus in ea pidlulanlibus conséquente)' efficimur stériles alquc ah ontui reddimnr spirituali fructu et contemplatione jejuni. Plus tard, saint Grégoire, Moral., l. X, c. vii, P. L., t. lxxv, col. 926, et saint.lean Climaque, Scala paradisi, grad. xxviii, commenteront et confirmeront cette pensée. Mais la négligence n’est pas la seule cause de nos désolations intérieures. Le démon, lui aussi, intervient parfois, soit pour renforcer encore nos inclinations mauvaises, soit, comme l’observe l’abbé Daniel, pour contrarier nos actions ou même nos intentions bonnes et cela avec une subtilité qui surprend notre cœur à son insu ou malgré lui. De impugnatione vero diaboli, cum etiam bonis nonhunquam sludiis dediti, callida subtilitate mentem noslram adversario pénétrante, vel ignorantes ab optimis intentiunibus abstrahimur vel inviti. Ces moines du désert avaient découvert les artifices du démon, ils savaient que c’est un esprit sublil qui s’insinue chez nous et parfois, sans que nous nous en doutions, trouble le cours de notre vie surnaturelle et y éteint la flamme des bonnes inspirations. Peut-on mieux montrer la nécessité de la vigilance chrétienne et du discernement spirituel ? Alard Gazet, dans son commentaire sur ce passage des Collations de Cassien, rapporte un trait de la vie de saint Macaire, tiré des Vilse Patruni, I. II, c. xxix, où le saint abbé fait preuve d’un admirable discernement dans une circonstance où le démon lui était apparu sous la forme d’un moine

zélé. Le commentateur signale d’autres faits dans la Vie de saint Antoine, par saint Atbanase ; dans celle d’Ililarion, par saint Jérôme ; dans les œuvres de saint Grégoire, Dial., LU, c. IV, P.L., t. lxvi, col. 142 ; dans l’ouvrage de Césaire, moine de Citeaux, Dialogus miraculorum, Cologne, 1481, réimprimé en 1591 et 1599, puis à Anvers, 1605, sous le titre lllustrium miraculorum et Itistoriarum libri XII, et mis à l’Index en Espagne. Les histoires, du reste à contrôler, auxquelles Alard Gazet fait allusion sont au l. V, c. v. Dieu lui-même soumet parfois une âme à la tristesse afin de l'éprouver et cela, nous dit l’abbé Daniel, dans un double dessein. D’abord, la divine providence, en nous retirant ainsi ses consolations, et en nous montrant l’impuissance où nous sommes de rétablir, par nos propres forces, notre état antérieur de joie spirituelle, nous excite à l’humilité et à la conviction que Dieu seul est le principe des énergies et de la paix de l'âme. Dispensationis autem vel probationis Domini duplex causa est : prima ut paulisper ab ipso derelicti et mentis noslrie humiliter intuentes iu/irmita/em, et nequaquam super jirsecedente purilate cor dis, quæ nobis illius est visitativne donata, nullatenus extollamur, probantesque nos ab eodem dereliclos, gemitibus nos tris et induslria illum lœtitiie ac purilatis slatum recuperare non posse intelligamus, et prseteritam cordis alacritatem non nostro studio, sed illius dignalione nobis fuisse collatam, et præsentem de ipsius rursum gratia et illuminatione esse poscendam. On peut trouver un développement de cetteidée de culture divine de l’humilité par le moyen des désolations, dans saint Grégoire, Moral., l. II, c. xxvii, P. L., t. lxxv, col. 577, et dans saint Bernard, In Canlic, serm. liv, /'. L., t. Ci.xxxiii, col. 1038. L’humilité est une vertu indispensable à l'édifice de la perfection ; elle déblaie le terrain ; mais précisément parce qu’elle déblaie le terrain, il faut qu’autre chose vienne se joindre à elle, l'énergie qui entreprend, la constance qui construit, la persévérance qui achève. Et la formation de l'âme à cette énergie, à cette constance et persévérance est l’autre dessein de la providence dans les désolations qu’elle nous envoie et par lesquelles elle entend tremper nos caractères : Secunda vero probationis causa est ut perseverantia nostra, vel mentis constantia et desiderium comprobetur, quaque intentione cordis et orationum instantia deserentem nos visitationem Sancti Spiritus requiramuS, manifesti’tur in nobis ; ac pariter agnosceiiles quanlo labore amissum istud spirilale gaudium et puritatis lœlitia conquiratur, sollicitius inventant custodire ac lenere intentius studeamus. Quodantmodo enim negligentius custodiri solet, quidquid creditur facile posse reparari. Coll., iv, c. iii, iv, P.L., t. xlix, col. 586-588.

Saint Bernard, dans son sermon ix in Canlic, P. L., t. ci.xxxiii. col. 815, et dans son sermon xxii, col. 878, nous révèle les mêmes intentions providentielles cachées sous certaines désolations d'âmes. Ces documents suffisent pour indiquer comment la sollicitude de discerner les esprits auxquels obéit ou. résiste la volonté humaine, en tout cas qui l’assiègent de leurs influences salutaires ou dangereuses, exista chez les premiers instituteurs de la vie monastique. Il faudrait encore analyser toute la conférence vil, qui est De atiimn 3 mobililate et spiritualibus nequitiis, c’est-à-dire dans laquelle l’abbé Sérénus, parla plume de Cassien, décrit les moyens par lesquels notre mobilité naturelle ou l’astuce diabolique nous éloignent de la perfection, et les signes auxquels on peut reconnaître leur action. Citons seulement ce passage de la conférence xviii, c. iii, P. L., t. xlix, col. 1093, où l’abbé Piainoun donne comme signe de l’esprit mauvais la tendance de certains jeunes à discuter et à critiquer