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EGLISE


sentée par saint Anselme, archevêque de Cantorbéry († 1109), saint Bernard († 1153) et Gratien († 1158).

Saint Anselme, écrivant au comte Humbert, en même temps qu’il rappelle que les princes sont chargés par Dieu de défendre l’Eglise, insiste sur cette vérité capitale, que l'Église n’a pas été donnée aux princes in ksereditariam dominationem, sed in hæredilariam reverenliam et in tuitionem. Il demande que les princes aiment l'Église comme leur mère et qu’ils l’honorent comme l'épouse et l’amie de Dieu. Epist., l. III, epist. î.xv, 7*. L., t. eux, col. 103. Le saint docteur exprime le même enseignement dans une lettre à Baudouin, roi de Jérusalem, l. IV, epist. ix, col. 206.

Saint Bernard († 1153), dans deux lettres au roi de France Louis le Gros, insiste sur le respect que les rois doivent avoir envers l’autorité ecclésiastique. Epis ! ., xlv, P. L., t. clxxxii, col. 150 sq. ; cclxxi, col. 380 sq. Dans une lettre au pape Eugène III, il affirme expressément le devoir de soumission du pouvoir civil envers l'Église, par la célèbre comparaison des deux glaives, qui sont tous deux en la posession de Pierre et de ses successeurs : Pétri uterque est, alter suo nutii, alter sua manu quoties necesse est evaginandus. Epist., CCLVt, col. 464. Doctrine exprimée d’une manière encore plus nette dans son ouvrage De consideratione : Uterque ergo Ecclesise et spiritualis scilicet gladius et materialïs ; sed is quideni pro Ecclesia, ille vero et ab Ecclesia exserendus ; illesacerdotis, is militismanu, sed sane ad nutum sacerdotis et jussum imperatoris, l. IV, c. iii, n. 7, col. 776.

Gratien inséra dans sa collection canonique plusieurs décrets attribués, légitimement ou non, à des papes antécédents, et qui exprimaient manifestement la soumission due à l'Église par les empereurs, notamment un décret attribué à un pape Jean, dont on ne peut établir l’origine précise. Decreti prima pars, dist. XCVI, c. ii, P. L., t. clxxxvii, col. 459.

L’enseignement du pape Innocent III, au commencement du xine siècle, est très formel, particulièrement dans deux lettres insérées dans les Décréta/es de Grégoire IX. La première lettre, adressée à l’empereur de Constantinople, déclare expressément que le pouvoir spirituel confié au pape l’emporte sur l’autorité temporelle de l’empereur, autant que l'âme l’emporte sur le corps. Au firmament de son Eglise, Dieu a mis deux grands luminaires, qui sont l’autorité pontificale et le pouvoir royal. L’autorité spirituelle qui préside au jour ou aux choses spirituelles, est supérieure à l’autorité qui préside aux choses temporelles, autant que le soleil est supérieur à la lune. Décrétâtes Gregorii IX, l. II, tit. vi, c. 5. Une telle supériorité implique manifestement quelque droit de commandement de la part de l’autorité spirituelle, et le devoir de la soumission du côté des princes temporels.

La deuxième lettre, adressée aux évêques de France, affirme explicitement le droit du pape de porter jugement sur les péchés commis par quelque fidèle que ce soit, même par les rois, l. II, tit. i, c. 13 ; c’est-à-dire, selon l’interprétation des canonisles, autant que le requiert l’utilité publique des fidèles, surtout en matière gravement scandaleuse dans la vie publique des princes ou souverains. B. Jungmann, Dissertationes selectse in historiam ecclesiaslicam, Batisbonne, 1885, t. v, p. 379. Un tel droit de juger suppose manifestement aussi chez le souverain pontife un droit universel de commandement.

Toute cette conception chrétienne des devoirs des princes temporels envers l'Église, si expressément et si constamment enseignée par la tradition chrétienne, est solidement appuyée, par saint Thomas, sur l'économie du plan divin dans l’institution de l'Église et dans l'établissement de la société temporelle. Selon ce plan divin, c’est à l'Église seule qu’il appartient de diriger à

la fin surnaturelle, en communiquant abondamment aux fidèles tous les moyens de salut que Jésus-Christ lui a confiés. D’autre part, le plan divin exigeant que, dans la vie publique ou sociale de tous les sujets, aussi bien que dans la vie privée de chaque individu, rien n’aille à rencontre de la fin surnaturelle, et même que tout la favorise, autant qu’il est possible, c’est une conséquence très rigoureuse, que le pouvoir séculier doit s’employer à réaliser le plan divin, en commandant ce qui conduit effectivement à la fin surnaturelle, et en éloignant, autant qu’il est possible, tout ce qui est contraire à cette même fin ; et c’est une conséquence non moins rigoureuse que l’autorité ecclésiastique doit guider les rois dans une fonction qui relève ainsi indirectement de la fin surnaturelle. De regimine principum, 1. 1, c. xv.

C’est la même doctrine que le saint docteur enseigne dans sa Somme théologique, quand il affirme que le pouvoir séculier est soumis au pouvoir spirituel, comme le corps est soumis à l'âme, et que par conséquent il n’y a point jugement usurpé quand l’autorité ecclésiastique s’occupe des choses temporelles, seulement en ce qui lui est véritablement soumis, II a IL, q. i.x, a. 6, ad 3um.

Nous ne rapporterons point en détail l’enseignement des théologiens subséquents, depuis saint Thomas jusqu’au xie siècle, parce qu’il n’est guère qu’une reproduction de l’enseignement des souverains pontifes et de saint Thomas, et parce que toute la vie publique de ces trois siècles est une preuve manifeste que cette doctrine est alors constamment appliquée aux sociétés chrétiennes, malgré beaucoup de faules individuelles et d’empiétements accidentels sur les droits de l’r.glise. D’ailleurs, cet enseignement devra être exposé quand on fera connaître l’autorité possédée par le pape sur les sociétés du moyen Age. Voir Pape.

Depuis le xvie siècle jusqu'à la fin du xviiie, en face des erreurs des protestants, assujétissant le plus souvent toutes les matières religieuses à l’autorité souveraine de l'État, en face aussi des abus de pouvoir commis par les rois sous l’influence des erreurs régaliennes, les théologiens catholiques maintiennent, avec l’indépendance qui appartient de droit à l'Église, la conception chrétienne des devoirs des princes envers elle. Nous citerons particulièrement : Dominique Soto, ht I VSent., l. IV, dist. XXV, q. ii, a. 1, concl. 5, Douai, 1613. p. 6Il sq. ; Azpicuelta (Navarrus), Releclio capitisNovit., de /minus, n. 97, Opéra, Home, 1590, l. ni, p. 169 ; Bellarmin, De romano ponti/ice, I. V, c. visq.j Controv., Lyon, 1601, 1. 1, col. 795 ; De laicis, c. xviisq., col. 1303 sq. ; Molina, De justifia et jure, tr. II, disp. XXIX, n. 23 sq., Mayence, 1614, t. i, col. 145 sq. ; Suarez, Defensio fidei cathohese, l. III, c. xxii sq. ; Mauctère ( ; 1622), De monarchia seculari christiana, part. III, l. II, c. il sq. ; l. III, c. n sq., Paris, 1622, t. II, col. 1082 sq., 1160 sq. ; Sylvius, Controv., l. IV, q. iii, a. 2, Opéra, Anvers, 1698, p. 341 sq. ; Anæl. Beiffenstuel († 1703), Jus canonicum univers um, l. V, tit. viii, n. 139 sq., Borne, 1834, t. v, p. 184 sq.

En même temps, l'Église continue à affirmer, sur ce poinl, sa doctrine constante, soit par son enseignement, soit par ses actes. Le concile de Trente désirant non seulement rétablir la discipline ecclésiastique, mais encore la maintenir à l’abri de toute atteinte future, adresse une grave » admonition à tous les princes séculiers sur leurs devoirs envers l'Église. Il exprime la confiance, que ceux que Dieu a voulus comme protecteurs de la foi chrétienne et de la sainte Église, non seulement accorderont à l'Église la restitution de ce qui lui est dû, mais qu’ils rappelleront encore tous leurs sujets au respect du au clergé, aux curés et aux supérieurs ecclésiastiques. Ils ne permettront point que leurs ministres ou magistrats inférieurs violent,