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DONS DU SAINT-ESPRIT


rectitudinem inclinat, intorqueat, comme dit à son sujet saint Grégoire, de peur donc qu’elle ne dévie. Quant à l’interversion de l’ordre naturel du conseil et de la science, il se justifie du fait que la force que dirige le conseil serait plus nécessaire, en un sens, pour la pratique de la vie spirituelle que la piété dirigée par la science. La piété, en effet, s’applique indistinctement à toutes les bonnes œuvres, ad omnia utilis est, tandis que la force fait face aux périls, lesquels par leur ordinaire gravité requièrent tout particulièrement l’assistance immédiate du Saint-Esprit. Sum. theol., Ia IIæ, q. lxviii, a. 7.

Ces considérations paraîtront peut-être plus ingénieuses que justifiées. Elles témoignent, en tous cas, du profond respect de l’antiquité dont saint Thomas condense les commentaires (voir la partie documentaire), pour les moindres nuances du texte sacré. Abstraction faite de la solidité de leur fondement exégétique, elles ne manquent pas d’une sérieuse vérité psychologique et l’épreuve de la pratique spirituelle les a, plus d’une fois, vérifiées.

Au rôle directeur de certains dons sur des dons inférieurs, se rattache la question du rôle directeur des dons sur les vertus morales infuses. S. Thomas, Sum. theol.. Ia IIæ, q. lxviii, a. 8. Sans doute, dans l’ordre de l’être, la genèse de ces vertus précède celle des dons : il convient que notre intérieur soit soumis d’abord au règne de la raison surnaturalisée, avant de l’être au gouvernement direct du Saint-Esprit. Avant tout, dit saint Grégoire, cité à ce sujet par saint Thomas, ibid., obj. 2a, le don du Saint-Esprit forme dans l’âme qui lui est soumise, la justice, la prudence, la force et la tempérance ; c’est une âme ainsi armée qu’il munit aussitôt par les vertus de sagesse contre la déraison, etc. Dans l’ordre dynamique au contraire, les dons sont supérieurs ; ils sont destinés, en effet, à venir au secours des vertus morales ; grâce à l’influx direct et immédiat qu’ils reçoivent du Saint-Esprit, ils sont capables de les diriger. Par ce dernier trait s’achève l’organisation dynamique de toute notre psychologie surnaturelle, que nous pouvons maintenant, abandonnant l’analyse, embrasser d’un seul regard.

VII. Synthése du dynamisme surnaturel.

Au centre de ce dynamisme est la charité qui est répandue directement dans nos âmes par le Saint-Esprit. C’est elle qui fait la connexion des vertus et des dons. Sum. theol., Ia IIæ, q. lxvi, et lxviii, a. 5. Font corps avec la charité, les deux autres vertus théologiques, la foi qui est sa lumière, l’espérance qui la complète en développant l’aspect béatificateur de son objet, que la charité, tout désintéressement et détachement de soi en vue de Dieu, ne saurait expliciter. De la charité, comme d’un foyer générateur, émanent vertus infuses et dons ; en elle, ils trouvent l’unité dynamique qui assure la connexité de toutes leurs opérations. Les trois vertus théologales dominent ainsi tout l’ordre des vertus comme des causes supérieures, comme des vertus-mères. Ce sont elles qui opèrent l’union radicale avec Dieu et c’est grâce à elles que tout le dynamisme inférieur se trouve sous l’influence de l’Esprit-Saint. Mais, dans la réception de cette influence, il faut faire une différence. Les vertus morales infuses reçoivent l’influence divine par l’intermédiaire de la charité, et comme celle-ci est en nous à l’état de perfection habituelle de la raison, c’est une influence divine humanisée, et en quelque sorte une lumière tamisée par le mode humain d’exister de la divine charité que recueillent les vertus morales infuses. Il faut qu’il en soit ainsi, pour que le juste garde la spontanéité de son amour et l’entière vertu méritoire de ses actes. Il y perd à la vérité quelque chose de l’infaillibilité que lui donnerait la direction immédiate du Saint-Esprit et c’est à récupérer autant que possible les effets de cette concession nécessaire faite à la raison que sont destinés les dons. Ceux-ci sont réglés directement par le Saint-Esprit résidant en nous par la charité. Le Saint-Esprit dans le gouvernement de nos âmes par les dons se substitue définitivement à la raison, il passe pour ainsi dire par-dessus elle, pour venir à l’appui de son œuvre première qui, parce qu’elle est aussi la nôtre, n’est pas à l’abri de toutes les défaillances, surtout en présence des œuvres difficiles ou délicates. Et comme il convient qu’à cette œuvre du Saint-Esprit nous coopérions, afin que là où est l’action divine immédiate le mérite ne soit pas absent, les dons sont dans le juste à l’état d’habitudes constituant une sorte de droit permanent aux inspirations directes du Saint-Esprit, droit dont notre volonté, avec le secours ordinaire de Dieu, peut user à discrétion. Ainsi se complète l’organisation intérieure du juste sous la dépendance de l’Esprit de Dieu.

Dans cette synthèse dynamique les vertus morales infuses sont à la base, elles assurent le train ordinaire des actes méritoires, le fond de la vie surnaturelle. Les dons sont des auxiliaires, mais non pas à la manière de serviteurs subordonnés : c’est d’en haut qu’ils procèdent et leur action ne dessert pas seulement les vertus, elle les supplée, étant dans l’ordre que l’intervention du principe premier peut s’exercer d’une manière totale et se passer des moteurs subordonnés.

Il ne faut donc pas concevoir l’action des dons comme tellement liée à l’activité des vertus, que celles ci ne puissent s’en passer, ou que ceux-là soient obligés de se servir d’elles. Le Saint-Esprit, résidant dans le cœur du juste, agit sans cesse, mais tantôt il laisse la charité et les vertus infuses morales aller leur train, et se contente de les surveiller, tantôt il intervient par ses dons dans leur marche, pour renforcer ou corriger leur fonctionnement, tantôt il fait agir le don sans la vertu, par une inspiration dont il a toute l’initiative, tantôt il dirige une vertu par un don, et dirige ce don à son tour par un autre don supérieur. Variété des moyens dans la richesse des bienfaits, tel est le gouvernement intérieur du Saint-Esprit. Et c’est sans doute ce que proclame ce double septénaire des dons, d’une part, et des vertus tant théologiques que morales infuses, d’autre part, si tant est que le nombre sept dans la langue sacrée désigne moins un nombre déterminé qu’une plénitude.

VIII. Monographie des dons.

L’étude des écrivains ecclésiastiques qui, après saint Augustin, et surtout après saint Grégoire, ont traite des dons du Saint-Esprit nous met en présence d’un nombre considérable de monographies. Mais, ou bien ce sont des paraphrases de quelques pensées jetées par les deux grands docteurs, et nous en retrouvons dès lors la substance chez saint Thomas, ou bien ce sont des descriptions de verve, jaillies de l’expérience personnelle des auteurs, et à ce titre très intéressantes pour la théologie mystique positive, mais très difficiles à ramener aux proportions d’un résumé théorique. On trouvera l’indication des principales de ces descriptions dans la partie documentaire. Nous résumerons seulement ici, en les paraphrasant, les données des monographies dressées par saint Thomas d’Aquin, sans entrer dans les explications de ses commentateurs que l’on trouvera plus loin. Si l’on veut se rendre compte du fini psychologique et systématique auquel ces données ont abouti, en même temps que de la valeur pour la vie spirituelle qu’ont leurs monographies détaillées, on peut lire les dissertations sur ce sujet de l’un des derniers parmi les maîtres du passé, Jean, de Saint-Thomas, doctor profundissimus. Cursus theologicus, in Iam IIæ, q. lxviii, disp. XVIII, a. 3-6. Si l’on veut un bon résumé, de poche, pour ainsi dire lire Billot, De virtutibus infusis, thesis viii, 1,