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DIEU (SA NATURE D’APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE) 1294

qu’il a créés. Il le domine par sa fécondité inépuisable, en même temps qu’il « demeure au fond de tout ce qui se passe. » Le nouveau spiritualisme, p. 308.

Renouvier (1815-1903) identifie si peu les notions de Dieu et d’infini, qu’il déclare celle-ci, non seulement irréelle, mais deux fois impie. Si l’infini actuel existait, ce serait, pense-t-il, la vérification du nombre infini et de la série sans commencement. Dès lors, comment parler d’un premier principe ? Donc, affirmer l’infini, c’est nier l’existence de Dieu. En second lieu, quand même on passerait sur cette première difficulté, on se heurterait à l’opposition de la personnalité et de l’infinité. Un Être infini existàt-il, il serait impersonnel, étant illimité.

Le Dieu de Renouvier est deux fois relatif. D’abord ( nous ne le concevons que par rapport au monde, comme auteur, créateur, providence. Ensuite, « l’unité du principe de personnalité, en Dieu et dans l’homme, consiste essentiellement dans l’acte formel de la conscience, et dans le développement d’un ensemble de rapports objectifs, présentés au sujet conscient, dont l’ensemble est un entendement. » En lui-même, Dieu ne peut se définir que comme une Conscience parfaite, c’est-à-dire comme une « Relation vivante de relations ». Le personnalisme, Paris, 1903, p. 54.

Précisément parce qu’il représente la personnalité la plus haute, Dieu, suivant la dichotomie admise par Renouvier, ne saurait être substance et nature. Ibid., p. 13-16.

Renouvier définit la création : un acte de la volonté, acte libre qui ne suppose aucune matière préalable, acte unique mais non mystérieux. Notre activité nous parait plus compréhensible, parce que nous percevons des intermédiaires entre notre volonté et ses ellets externes. Mais ces intermédiaires, dont le mécanisme, du reste, nous échappe en grande partie, ne nous révèlent pas la causalité véritable. Le caractère inimitable de l’acte créateur, c’est qu’il fait surgir des volontés distinctes de la volonté divine. Ibid., p. 18-19.

La croyance étant un mode de la pensée, tout objet de croyance est soumis aux conditions normales de limitation et d’anthropomorphisme qui régissent l’exercice de l’intelligence humaine. Renouvier est délibérément anthropomorphiste.il refuse à son Dieu l’éternité antérieure, l’immensité absolue, la prescience universelle. Si Dieu existe, il pense sous la loi du temps, qui s’applique à toute conscience. Ibid., p. 52.

Nier la sensibilité en Dieu, c’est supprimer tous les signes par lesquels se manifestent et se distinguent les phénomènes de la pensée et de la vie, ces signes étant des sensations. L’n Dieu sensible doit être un Dieu corporel. Renouvier accepte nettement la conclusion, avec cette seule réserve, que l’organisme divin, étant intégral, ne saurait être conçu par nous. Ibid., p. 49-51.

Dieu, d’après Renouvier, n’est pas le législateur de la conscience humaine, ni le juge souverain qui applique aux hommes les sanctions méritées. Ainsi le désordre de la nature, que Renouvier attribue à une déchéance morale des premiers êtres humains, ne doit pas s’interpréter comme un châtiment inlligé par la volonté divine, mais comme une conséquence physique de perturbations causées par l’homme lui-même. Ibid., p. 74-82. D’autre part, il est dit dans la Nouvelle monadologie, p. 460, que l’ordre moral trouve en Dieu son fondement et sa réalisation.

M. Hamelin fut un disciple indépendant de Renouvier et de Hegel. Mort peu de temps après sa soutenance de doctorat, il laisse néanmoins deux ouvrages importants : Aristote, Physique, livre II. Traduction et commentaire, et Essai sur les éléments principaux de la représentation. Ce sont précisément les deux thèses dont M. Delbos disait : « Vos deux thèses marqueront certainement une date ; et si une ère nouvelle s’ouvre à une restauration de la pensée philosophique, elles y auront certainement contribué. » M. Brochard n’exprimait pas une admiration moindre : « Vous nous avez présenté une œuvre très considérable, telle qu’on n’en voit pas beaucoup d’égale valeur dans le cours d’un siècle. » Ces éloges expliqueront la place que nous donnons ici aux idées de M. Hamelin. Il a exposé sa théodicée dans les cinquante dernières pages du second des ouvrages indiqués plus haut, Essai sur les éléments principaux de la représentation, Paris, 1907. Cette théodicée comprend des thèses négatives et des thèses positives.

1, Les premières sont dirigées contre le matérialisme, contre le panthéisme idéaliste, contre la doctrine impersonnaliste, enfin contre le théisme classique. M. Hamelin rejette la doctrine matérialiste, parce que, d’après lui, la matière n’étant pas une réalité véritable, saurait encore moins être la réalité suprême. Le panthéisme, sous quelque forme qu’on le présente, est inacceptable ; car, idéaliste ou matérialiste, il n’admet dans le monde qu’un seul individu. Or, nous « constatons l’existence d’une pluralité de consciences ; » et nous savons qu’ « une conscience, c’est un individu. » En troisième lieu, M. Hamelin repousse la doctrine impersonnaliste, et, par cette expression, il désigne la doctrine kantiste suivant laquelle le « je pense » serait une forme et une condition de la connaissance, d’ordre ab-trait et général comme les concepts de substance ou de cause. Enfin, le théisme traditionnel repose sur un fondement ruineux : la notion de substance. Une substance divine, une pensée subslantialisée : de telles expressions ne signifient rien de réel et de compréhensible. « Il n’y a d’intelligible que la relation, et la relation ne s’actualise que dans la conscience, » p. 451, 452.

2. Les thèses positives se rapportent, les unes à l’existence, les autres à la nature, de Dieu. Sous sa forme générale, comme simple affirmation de la divine existence, le théisme actuellement démodé pourrait bien quelque jour être d’actualité. On a représenté aux hommes que la croyance en Dieu faisait obstacle à leurs aspirations terrestres et entravait le progrès ; et les hommes se sont détournés d’une contemplation qu’on leur disait stérile et absorbante. Mais quand l’humanité « aura accompli les tâches qu’elle ne pouvait pas remettre, » elle sera bien capable de se retourner vers Dieu et de « repenser à lui », p. 454. Du reste, pour un idéaliste, et M. Hamelin se donne comme tel, « la preuve par les causes finales ne se présente plus de la même façon que dans l’ancienne philosophie populaire. » Par définition, le monde suppose une activité pensante, puisqu’il est un « représenté ». Reste donc à déterminer quelle sorte de pensée il implique ou révèle, et si l’intelligence dont il dépend lui est immanente ou transcendante. Nous verrons plus loin comment M. Hamelin résout le problème. « La preuve a contingenlia mundi, de son côté, prend essentiellement la forme suivante : la pensée, telle que nous la trouvons en nous, ne se suffit pas. » Cette observation réunit, en les transformant suivant les exigences de l’idéalisme, les deux preuves traditionnelles. Pourtant on ne saurait immédiatement conclure qu’il existe un Dieu véritable, c’est-à-dire une pensée distincte de l’univers. Notre pensée individuelle pourrait, en effet, trouverson complément et son origine dans l’ensemble auquel elle se rapporte. En d’autres termes, comment décider si la conscience de l’univers, sans laquelle l’univers ne se conçoit même pas, « existe séparément », ou bien si elle est « fondée sur la nôtre » ? Pour résoudre le problème avec certitude, « il ne faudrait rien de moins qu’une preuve expérimentale ». Si l’on observait une action qu’on ne pût attribuer « à aucun des agents donnés dans le monde », et qui se manifestât comme supérieure à l’efficacité du système entier pris dans