Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.2.djvu/123

Cette page n’a pas encore été corrigée
1513
1514
DŒLLINGER (DE


L’éruilion classique de Dœllinger sera donc immense ; on peut dire, sous la réserve indiquée, que Dœllinger lira tout et connaîtra tout. Par malheur, il ne connaîtra pas les hommes. Faute de les connaître, il s’en laissera gouverner et trop souvent exploiter. Dans toutes les phases de sa vie, l’influence heureuse ou fâcheuse de ses entours sur ses productions littéraires comme sur ses opinions et ses résolutions, saute aux yeux. La fermeté du caractère n’était pas le fait du grand savant et contrastait crûment avec l’élévation et l’envergure de son esprit ; on dirait de lui un roseau peint en fer. Simple, gai, bienveillant, caressant même dans son intimité, ami fidèle, causeur charmant et presque sans rival, Dœllinger sera surtout un cerveau. Le culte de la science remplira seul et dirigera sa vie.

Ainsi, ses préoccupations intellectuelles décideront pour une bonne part de sa vocation sacerdotale. Nulle trace en lui, dans aucun moment, ni d’aspirations mystiques ni de ferveur ascétique. Dès 1818, à moins de vingt ans, la science lui tient lieu de tout ; il avait la faculté indéfinie de s’absorber dans l’étude ; c’est avec les armes de la science qu’il rêvait de servir l’Église, d’en défendre la liberté contre les ingérences du dehors et de ramener dans son sein les Églises séparées. Lorsque, ses classes terminées avec éclat, Dœllinger fera sa théologie, d’abord à l’université di.’Wurzbourg trois ans durant, puis au séminaire de Bamberg, il n’y échappera pas à la contagion de l’air ambiant. Le souftle de la réaction des premières années du.ixe siècle contre la philosophie et l’incrédulité du siècle précédent, n’avait pas déraciné les vieilles méfiances de l’Allemagne contre Rome ; et la prédominance des thèses fébroniennes comme des pratiques joséphistes au delà du Rhin, n’était pas sans y affaiblir singulièrement l’idée de la catholicité ; l’idée d’une Église nationale flottait dans l’air, n’eflrayant à peu près personne ; et, pour préparer le retour des protestants au bercail, on parlait beaucoup plus d’union que d’unité. Les études théologiques du jeune Dœllinger ne le défendront pas assez des préjugés et des erreurs de son temps. A Wurzbourg, l’enseignement de ses professeurs, terne, peu sûr, sans vie, le rebutera de prime abord et il délaissera les bancs de l’université, pour fréquenter les bibliothèques ou s’enfermer dans sa chambre avec ses livres. Il s’y plongera dans la lecture des Annales de Raronius et dans celle des Dogmes du P. Petau, à qui saint Thomas devra céder le pas ; il s’y familiarisera avec saint Vincent de Lérins, non sans forcer le sens de la fameuse règle du Conintonitorium jusqu’à paralyser l’évolution et la vie du dogme catholique. Dans le séminaire de Damberg, sans rien perdre de ses habitudes studieuses, il ne se retiendra pas de rogner la part de la théologie au profit de l’étude des langues orientales. Dœllinger est un autodidacte. Et de là les fentes inévitables de sa théologie ; de là ses méprises graves, étonnantes, sur la nature de la tradition, sur le magistère de l’Église, sur la liberté de la science, sur le rôle providentiel et l’autorité en dernier ressort des théologiens, des théologiens allemands au premier rang ; de là toutes les idées en cours et en vogue dans l’Allemagne catholique de 1820 à 1840, et qui, obstinément couvées dans l’esprit de Dœllinger, longtemps contenues et refoulées par ses meilleurs amis, réveillées à la fin et déchaînées, détermineront sa triste chute. Théologien, au grand sens du mot, Dœllinger ne le sera pas, quoique ses llatteurs ne se soient point fait faute de saluer en lui le premier théologien de l’Allemagne et que ce titre ait chatouillé de son cœur l’orgueilleuse faiblesse. Il sera un érudit, un écrivain, un historien hors de pair. Mais, à tout prendre, il n’aura qu’un brillant vernis de théologie, et nul doute que ce manque d° éducation théologique

n’ait été, entre les causes intellectuelles de sa chute, la plus active et la plus efficace.

Ordonné prêtre à Wurzbourg le 23 avril 1822, un peu contre le gré de son père, et vicaire pendant près d’un an de la paroisse de Scheinfeld, Dœllinger fut nommé, le 21 novembre 1823, professeur de droit canon et d’histoire ecclésiastique au lycée d’Aschaffenbourg ; il avait trouvé sa voie. Alors commencent, sous les auspices et à l’honneur de la science catholique, les relations de Dœllinger — relations affectueuses et confiantes, sans grandes effusions de tendresse — avec les coryphées de l’école de Mayence, les Henri Klée, les Nicolas Weiss, les André Ræss, qui réussiront longtemps à le maintenir dans les sentiers de l’orthodoxie et seront véritablement ses anges gardiens. Pareille fortune lui échut, quand il se vit appeler, en 1826, à l’université deLandshut, que le roi Louis I er venait de transférer dans sa capitale, pour faire de Munich le centre et le boulevard du catholicisme en Allemagne. Les amitiés douces et fortes que Dœllinger y noua, celles notamment de Joseph Gœrres et des membres « le son groupe, enlretiendront et aviveront en lui l’amour de l’Église, la haine du protestantisme et des entreprises de la bureaucratie bavaroise, l’intelligence du rôle et des conditions de la presse religieuse au XIXe siècle. En définitive, c’est à ses amis de Munich et à ceux de Mayence, que Dœllinger devra pour une large part les beaux jours et la gloire de son âge mûr.

Heureux et lier de son incorporation à l’université de Munich, le jeune professeur s’y vouera et dévouera sans relâche ; et. plutôt que de s’en séparer, il refusera les offres les plus flatteuses, d’où qu’elles viennent, de Fribourg-en-Brisgau, de Rrestau, d’Angleterre. Il ne servira pas seulement sa chère faculté de théologie de son nom et de ses talents ; il s’efforcera aussi de lui recruter un corps de professeurs très distingués. En 1835, afin de lui assurer le concours de Mœhler, il sacrifiera momentanément jusqu’à sa chaire d’histoire ecclésiastique, et, Mœhler mort, il obtiendra pour Henri Klée, après dix ans d’attente et de vives instances, une chaire de dogme et d’exégèse sacrée. Luimême, en contribuant à la réorganisation de la faculté » de théologie, et en continuant de prendre part à son enseignement, il en accroîtra le lustre. Il s’identifiera, pour ainsi parler, avec cette nouvelle institution, et deviendra peu à peu une sorte de personnage européen, une éminence européenne. A Munich, devenu comme le foyer d’une grande rénovation religieuse et artistique, Dœllinger restera une puissance ; mais partout, en Italie cependant bien moins qu’ailleurs à cause des divergences de sentiments et de vues, il comptera des admirateurs et des amis. Les Wiseman, les Newman, les Manning, les Gladstone, lui porteront à l’envi respect et confiance. En 1832, Lamennais et Montalembert, revenant de Rome par le Tyrol, iront lui demander conseil ; Montalembert se laissera même fasciner par le talent et l’affabilité de Dœllinger, et leur commerce épistolaire, demeuré inédit, ne cessera qu’en 1870, à la mort de Montalembert.

Pendant que Dœllinger, par ses expositions lucides, patientes et presque affectueuses, attirait les élèves en foule au pied de sa chaire, et que ses livres, monuments de science, modèles de style, étendaient au loin sa renommée, depuis 1828 il guerroyait aussi dans le journal l’£'os, l’organe attitré du groupe de Gœrres, pour la liberté et l’honneur de l’Église. Dœllinger avait du journaliste les qualités maîtresses, la promptitude, le trait, la clarté, sans apparat, non pas, le cas échéant, sans explosions d’indignation et sans envolées d’éloquence. Avec son immense lecture, il est toujours prêt sur tout ; avec sa dialectique vigoureuse et sans diversion, comme la llèche, son ironie hautaine et mordante, sa langue nerveuse, limpide et correcte,