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DIEU (SA NATURE D’APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE’1292

nature même du législateur suprême, ne semble pas plus que les postulats kantiens étendre notre connaissance théorique. Nous ne savons rien de Dieu lui-même, déclare Secrétan. Nous ne pouvons nous en former qu’une conception relative à nous.

La moralité postule, à son principe, une volonté libre. En affirmant la liberté divine, nous renonçons, il est vrai, à toute spéculation ultérieure. Mais il faut bien rapporter l’ordre moral au vouloir d’un Etre libre. S’il était, en effet, le contenu et l’effet d’une Ici nécessaire, se produisant fatalement, il ne serait plus le bien moral. Dieu est un Etre personnel. « Cette vivante volonté du bien, nous ne saurions la figurer que sous les traits d’une personne. » Ibid., p. 213. Dieu est infini. Par cette affirmation, Secrétan qui, à d’autres points de vue, se rapproche de lîenouvier, contredit la thèse fondamentale de la théodicée néo-criticiste. Il considère la doctrine de l’infinité divine, comme le g point d’appui » de la pensée humaine. La doctrine de la perfection divine en est le « levier ». Ibid., p. 212. Entre l’absolu, d’une part, ou l’infinité, et, de l’autre, la perfection, Secrétan voit, du reste, une antinomie insoluble pour « le sentiment immédiat ». C’est que l’Etre parfait, tel qu’il le définit, participe singulièrement à notre nature. « L’Etre parfait est tel que nous voudrions être nous-mêmes. » Or, « notre idéal varie avec nos facultés et notre expérience ; c’est pourquoi les traits de la perfection ne sauraient être arrêtés. » La perfection suprême consiste, pour nous, dans la vertu. Or la vertu signifie triomphe, et, par conséquent, opposition, combat, limitation. Elle implique le courage et la charité, c’est-à-dire la douleur, l’indigence, la pitié, sans lesquelles nous ne concevons pas ces deux dispositions. Ibid., p. 212.

Dieu ne prévoit pas les actes libres, parce que, soumis aux conditions du temps, sans lesquelles aucune connaissance n’est intelligible pour nous, il ne peut voir dans le présent ce qui, dans le présent, n’est même pas ébauché. Dieu n’est pas l’auteur du mal, parce que la possibilité du mal moral entre essentiellement dans la constitution des êtres libres, parce que, de plus, les maux physiques de l’humanité tiennent à celle condition nécessaire de l’action morale : la solidarité. Comment expliquer la souffrance des autres animaux ? Secrétan limite le problème, en représenlant que la souffrance perd beaucoup de son acuité quand elle n’est pas aggravée par le souvenir et par la prévision. Il ne peut la rattacher à la faute originelle, ne concevant pas que le règne animal ait jamais été soustrait aux brutalités de la concurrence vitale, et que « les tigres aient brouté l’herbe dans le paradis. » A quel âge du monde, est intervenue la chute, dont Secrétan admet la réalité ? Avant le début de l’évolution actuelle, ou au cours de cette évolution ? La pensée de l’auteur hésite à ce sujet.

En tout cas, nous devons croire à la providence divine, et affirmer l’acte créateur. Cependant la création qu’on nous propose ne ressemble pas à la doctrine traditionnelle, et, malgré les protestations de l’auteur, elle se rapproche beaucoup plus du panthéisme. On ne voit vraiment pas comment elle se distingue du panthéisme émanatiste. Pour deux raisons, Secrétan suppose que, par l’acte créateur, Dieu a détaché de lui-même un germe de vie. D’abord, « comme la création d’une substance est une absurdité, contradiclio in adjecto, » nous devons concevoir la création comme « une différenciation dans l’être, l’isolement, l’affranchissement d’un germe appelé à se réaliser à part, en raison de quelque dessein. » Ibid., p. 249. C’est l’argument métaphysique. Puis, le but de l’homme étant de se réunira son principe, il faut admettre une séparation préalable. Pourque l’enfant apprenne à marcher et à revenir vers sa mère, il fautque celle-ci le détache d’elle même, qu’elle cesse de le tenir parla main ou de le porterdans ses bras. Secrétan insiste davantage encore sur la paternité divine, et il raille les interprètes officiels du Pater, qui déclarent que les enfants de Dieu sont d’une autre substance que leur Père. C’est l’argument moral. Ibid., p. 251.

Vacherot (1809-1897) a exposé sa doctrine définitive sur Dieu dans Le nouveau spiritualisme, Paris, 1884. Comment, d’après lui, arrivons-nous à affirmer l’existence de Dieu ? Comment pouvons-nous connaître sa nature ?

A la première question, il admet que l’antique réponse de Lucrèce satisfait en partie, l’rimus in orbe deos fecil limor. Mais il ajoute aussitôt que nous allons également à Dieu par l’amour ; de même qu’il professe que la théodicée est œuvre de raison, et non d’imagination pure. Il commence son ouvrage par des paroles d’enthousiasme, et il le termine avec des accents de tristesse, qu’il faut rappeler, si l’on veut donner une idée de ce qu’était Dieu pour Etienne Yacherot. « Dieu : c’est le plus grand mot des langues humaines. Aucune ne l’a oublié. Tous, même les plus barbares, l’ont célébré en le définissant avec plus ou moins de justesse… Il est le problème par excellence des plus grandes philosophies. » Tel est le début. Et il conclut par cette douloureuse observation : « Rire des choses nobles, cela s’est vu ; rire des choses saintes, cela se voit plus que jamais. Pour rire de Dieu et de cette façon, il faut une sorte d’esprit qui fait honte à l’esprit. Je n’ai pas encore assez mauvaise opinion de mon temps pour croire que ce rire soit devenu contagieux. Mais n’est-ce pas triste pour un vieux libre-penseur qui a vécu dans la pensée de l’infini et ne veut pas mourir sans murmurer son nom ? »

Que savons-nous de Dieu, et comment connaissons-nous sa nature ? « C’est de la conscience que part le trait de lumière qui éclaire la nature de l’Absolu ? » Le nouveau spiritualisme, p. 308. La conscience nous révèle les notions de causalité et de finalité. Nous affirmons que l’existence du monde suppose une cause efficiente, et l’ordre qui y règne, une cause finale. Dieu est un créateur et un ordonnateur supérieur à l’âme humaine et à toute force particulière du monde. Quand nous voulons préciser davantage ses attributs, nous risquons de nous heurter à deux écueils : l’idéalisme, qui sublime les attributs de Dieu, au point de les rendre inintelligibles, et l’anthropomorphisme, qui les compose d’éléments humains et contradictoires. Soustraire la pensée divine aux lois normales de la durée, c’est échouer sur le premier écueil. Transporter en Dieu l’intelligence, la conscience, la volonté, l’amour, avec cette unique modification, que d’imparfaits ces attributs deviendraient parfaits, c’est tomber dans la contradiction et dans l’anthropomorphisme. Comment Dieu peut-il être à la fois personnel et infini ? A cette objection M’J> d’IIulst répondit naguère. Mélanges philosophiques, Paris, 1892, p. 432.

Dieu est-il distinct du monde, et comment ? Vacherot reproche à Janel et à Ravaisson de rester attachés à la doctrine traditionnelle sur la transcendance divine. Quant à lui, il affirme le principe de l’immanence comme « une nécessité de la raison, n Cependant il ne veut être confondu, ni avec Spinoza, qui considérait Dieu comme une substance inactive, ni avec Hegel ou Renan, pour qui Dieu était in fieri. Vacherot conteste surtout la théorie de Renan, qui appelle Dieu la grande résultante définitive du cycle évolutif, comme si le progrès pouvait se clore et atteindre un état le de perfection absolue.

Dieu « n’existe pas en dehors des réalités relatives dont l’ensemble forme l’univers. » Il est la puissance créatrice, « dont l’œuvre n’a ni commencement ni fin. » Il n’est pas identique au monde, puisqu’il en est la Cause. Il ne représente pas simplement le total des phénomènes ; et on le conçoit imparfaitement quand on l’appelle le Tout. Il ne se distingue pas de l’univers comme les êtres-