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CLÉMENT XIV

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réformer ou même dissoudre des ordres religieux, « devenus pernicieux et plus propres à troubler la tranquillité des peuples qu’à la leur procurer. » Le pape en apporte de nombreux exemples, et continue : « Nos prédécesseurs, rejetant la métbode pénible et embarrassante qu’on a coutume d’employer dans les procédures, avec cette plénitude de puissance dont ils jouissent comme vicaires de Jésus-Christ, ont exécuté toutes ces choses sans permettre aux ordres religieux, dont la suppression était résolue, de faire valoir leurs droits, de détruire les accusations graves intentées contre eux, ni enfin de réfuter les motifs qui les avaient décidés à prendre ce parti. » Le pape se trouve actuellement en présence d’une cause du même genre, celle de la Compagnie de Jésus. Apres avoir rappelé les principales faveurs accordées à cet ordre par ses prédécesseurs, il remarque que « la teneur même et les termes de ces constitutions apostoliques nous apprennent que la Société, presque encore au berceau, vit naître en son sein différents germes de discordes et de jalousies, qui non seulement déchirèrent ses membres, mais qui les portèrent à s’élever contre les autres ordres religieux, contre le clergé séculier, les académies…, et contre les souverains eux-mêmes qui les avaient accueillis et admis dans leurs États » . Le pape énumère « les troubles, les accusations et les plaintes formées contre cette Société » sous ses prédécesseurs, n’oubliant aucune des célèbres luttes auxquelles elle avait été mêlée, de Sixte V à Benoît XIV. Clément XIII avait espéré, en confirmant de nouveau l’Institut, faire taire ses ennemis. « Mais le saint-siège n’a retiré dans la suite aucune consolation, ni la Société aucun secours, ni la chrétienté aucun avantage, des dernières lettres apostoliques de Clément XIII d’heureuse mémoire, notre prédécesseur immédiat, lettres qui lui avaient été extorquées plutôt qu’elles n’en avaient été obtenues, et dans lesquelles il loue infiniment et approuve de nouveau l’Institut de la Société de Jésus. » A la fin du règne de ce pape, « les clameurs et les plaintes contre la Société augmentant de jour en jour, … ceux-mêmes dont la piété et la bienfaisance héréditaire envers la Société sont avantageusement connues de toutes les nations, c’est-à-dire nos très chers fils en Jésus-Christ, les rois de France, d’Espagne, de Portugal et des Deux-Sieiles, furent contraints de renvoyer et d’expulser de leurs royaumes, États et provinces, tous les religieux de cet ordre, persuadés que ce moyen extrême était le seul remède à tant de maux » . Maintenant les mêmes princes sollicitent l’entière suppression de l’ordre. Après longue et mûre réflexion, le pape « forcé par le devoir de sa place qui l’oblige essentiellement de procurer, de maintenir, et d’affermir de tout son pouvoir le repos et la tranquillité du peuple chrétien, ayant d’ailleurs reconnu que la Société de Jésus ne pouvait plus produire ces fruits abondants et ces avantages considérables pour lesquels elle a été instituée…, et qu’il était impossible que l’Église jouit d’une paix véritable et solide tant que cet ordre subsisterait » , se décide à « supprimer et abolir » la Compagnie, « anéantir et abroger chacun de ses offices, fonctions et administrations. » L’autorité des supérieurs était transférée aux ordinaires des lieux, des mesures /(lui.- dans le plus grand détail pour l’entretien et l’emploi des anciens religieux. Le bref se terminait par la défense de suspendre ou empêcher l’exécution de cette suppression, par celle aussi d’attaquer ou insulter, à son occasion, i’|ui que ce soit, et encore moins ceux qui étaient membres dudit ordre, » et par une exhortation à tous les fidèles « à vivre en paix avec tous les hommes, et s iimer réciproquement » . Bullarium, p. 619 sq. ; trad. de Theiner, Histoire, t. il, p. 358 sq. L’histoire des terrsations de Clément XIV, el de la concession qu’il crut devoir faire aux haines conjurées des cours calho DICT. DE TIIÉOL. CAT1I0L.

liques, peut se résumer dans cette phrase bien connue de saint Alphonse de Liguori : « Pauvre pape, que pouvait-il faire dans les circonstances difficiles où il se trouvait, tandis que toutes les couronnes demandaient de concert cette suppression ! » Ravignan, Clément XIII, t. I, p. 450. Le P. Cordara écrivait peu après la promulgation du bref : « Je ne crois pas qu’on puisse condamner le pontife qui, après tant d’hésitations, a cru devoir supprimer la Compagnie de Jésus. J’aime mon ordre autant que personne ; et cependant, placé dans la même situation que le pape, je ne sais si je n’aurais pas agi comme lui. La Compagnie, fondée et entretenue pour le bien de l’Église, périssait pour procurer ce bien ; elle ne pouvait trouver tin plus glorieuse. » Mémoires, p. 54,.">.

Il est, du reste, à noter que le pape, en frappant pour le bien de la paix une société poursuivie par tant d’ennemis, ne la déshonorait pas. Le bref n’articulait aucun reproche contre les mœurs ou l’orthodoxie de l’ordre ; et, s’il énumérait les accusations d’orgueil, d’ambition, de cupidité, élevées contre lui pendant plus de deux siècles, il n’en affirmait pas le bien fondé. Avec une sollicitude vraiment paternelle il réglait le sort des religieux qu’il venait de frapper d’un si terrible coup. Cf. Sidney Smith, The suppression, dans The nionth, juillet 1903 ; Cordara, Mémoires, p. 54.

La constitution pontificale fut obéie dans tous les États catholiques. Seuls deux souverains hétérodoxes, Frédéric de Prusse et Catherine de Russie, se donnèrent le plaisir de soutenir les jésuites contre le pape. Le bref n’avait pas été promulgué à Rome dans les formes Drdinaires ; mais d’après les instructions de Clément XIV lui l’accompagnaient, il devait, pour sortir ses effets, être notifié par les évêques aux anciens jésuites. Ravignan, Clément XIII, t. I, p. 560. Sur l’ordre de Frédéric et de Catherine, les évêques de Silésie et de Russie Blanche s’abstinrent de cette promulgation, et les jésuites de ces pays continuèrent leur vie en commun et leurs ministères. Frédéric II ne persévéra pas longtemps dans cette résolution, et en 1780 le bref était promulgué dans ses Flats. Cf. Zalenski, Les jésuites, t. i, p. 21 i sq. Catherine, au contraire, ne céda pas ; sur son ordre, les évêques de Vilna, puis de Mallo, ordinaires de la Russie Blanche, non seulement omirent la promulgation du bref, mais ordonnèrent aux jésuites de garder leur vie commune et leurs œuvres. Pour calmer les derniers scrupules des Pères, la tsarine fit demander secrètement à Clément. XIV l’approbation de leur conduite, et semble l’avoir obtenue. Bavignan, Clément XII I, t. ii, p. 454 sq., Zalenski, Les jésuites, t. I. p. 250 sq. Ces négociations secrètes n’empêchèrent pas la Congrégation De rébus extinclie Socielatis de blâmer, au nom du pape, dans des lettres publiques obtenues par Bernis et Moniùo, la conduite des jésuites de Silésie et de Bussie Blanche. Masson, Bernis, p. 254 sq. ; Zalenski, Les jésuites, t. i, p. 219 sq., 280 sq. En France, le parti des « dévots » , dirigé par les filles de Louis XV et surtout par Madame Louise ; avait élaboré un plan pour reconstituer les jésuites en six provinces sous l’autorité des évêques ; Bernis obtint encore un bref, à lui adressé, le priant « d’exiger en son nom que les évêques de France ne souffrent rien dans leurs diocèses respectifs qui ne soit entièrement conforme auxdites lettres (le bref Doniinus ac redeniptor) » ; d’Aiguillon empêcha cette tentative de reconstitution de la Compagnie. Masson, ibid., p. 258 sq. Cf. Theiner, Epis toise, p. 297.

l’eu après la mort de Chinent XIV, le bruit se répandit qu’il avait rétracté le bref Doniinus ac redeniptor par une lettre datée du 29 juin 1774, et remise entre les mains de son confesseur pour être communiquée à son successeur. Ce document fut publié pour la première fois en 1789, à Zurich, par Pierre Philippe Wolf, Allgemeine Gescliiclile der Jcsuilen, t. iii, p. 295 sq., et assez

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