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CONSENTEMENT


que peut donner la pensée de l’acte, la femme seule a mangé de ce fruit. Mais, si le consentement donné au mauvais usage des choses sensibles va jusqu’au vouloir de l’acte externe qui procure la délectation, la femme a donné le fruit défendu à son mari, qui, à son tour, en a mangé. Il est impossible, en elfet, selon saint Augustin, que l’on dépasse la délectation de la pensée, que l’on consente à consommer le péché, sans que l’intention suprême (la raison supérieure), de laquelle dépendent les mouvements des membres, ne soit engagée et ne concoure elle-même à l’action mauvaise.

Saint Augustin revient, pour en préciser le caractère peccamineux, sur le consentement de la raison inférieure. Ce n’est pas, dit-il, qu’il n’y ait pas péché, lorsque l’esprit se délecte dans les choses illicites, retenant et déroulant mentalement ce qui aurait dû être rejeté dés sa première apparition, mais ce péché est bien moindre que le péché consommé. C’est un de ces péchés dont on obtient le pardon en disant : Dimitte nobis débita nostra, et en accomplissant ce qui est ajouté’: Sicul et nos dimittimus débitorïbus nostris. Car, il n’y a plus ici deux personnes, comme dans la tentation du paradis où, si la femme seule eût mangé, seule elle eût été condamnée. L’homme est un : tout entier il sera condamné pour avoir consenti à la seule délectation, à moins que son péché ne lui soit remis par la gr.’ice du médiateur.

De cette exposilion résulte pour la théologie morale une conséquence assurée : le consentement intérieur à un acte gravement illicite est un péché mortel. La raison en est que les membres dépendent dans leur mouvement de la raison supérieure, en relation directe avec les raisons éternelles : il y a donc concupilum contra legem œternam. Saint Augustin n’approfondit pas davantage la cause de cette dépmdance, ce que fera saint Thomas.

Un point n’est pas mis en lumière : le mouvement de sensualité représenté par le colloque du serpent et de la femme est-il un péché ?

Un point, enlin. n’est pas suflisamment éclairci, le consentement à la délectation dite depuis morose, delcctatio cogitalionis. Saint Augustin ne semble parler que de la délectation qui a pour objet non la pensée, mais l’acte pensé. Ce péché est bien moindre, dit-il, que le péché de consentement à l’acte : on le rachète en disant : Dimitte nobis, etc. Ce qui semble désigner un péché véniel. Il est vrai que dans l’Enchiridion, c. lxxi, P. L., t. xi., col. 265, il professe que le Notre Père obtient aussi le pardon des péchés graves. Et il semble bien que ce soit ici le sentiment du saint docteur, puisqu’il ajoute que pour ce péché lotus homo damnabitur. Quoi qu’il en soit, il reste une certaine incertitude sur sa pensée, et c’est à la préciser que s’attachera la théologie postérieure.

Pierre Lombard se réfère pour appuyer sa doctrine aux deux passages cités du DeGenesi et du De Trinitate de saint Augustin, fait sienne la comparaison de la tentation du paradis terrestre et en précise les données. Il Senl., dist. XXIV, P. L., t. cxcii, col. 703-705, § Qualiler per illa tria in nobis consummetur lentatio. D’abord, en ce qui concerne le pur mouvement sensuel, il y reconnaît un péché véniel, et ce péché, dit-il, est très léger. Pour la délectation morose, il distingue : si la raison inférieure consent à la seule délectation (dere cogitata évidemment), sans prétendre aller plus loin, il y a tantôt péché véniel, tantôt péché mortel, selon que celle pensée et la délectation connexe auront peu ou longtemps duré, car c’était le devoir du uir de reprendre la femme ; s’il ne l’a pas fait, potest dici contensisse (consentement interprétatif). Enfin dans le cas du consentement à l’acte, tel que, si on en aie pouvoir, on le consommera, péché grave.

Après Pierre Lombard, le débat s’engage sur le consentement à la délectation. Comme le rapporte saint

DICT. DK TIILOL. CATI10L.

Thomas, In II Sent., dist. XXIV, q. iii, a. i ; Quxst.disp., De veritate, q. xv, a. 4, certains théologiens se refusent à admettre l’opinion de Pierre Lombard et interprètent le cas autrement. A les entendre, le consentement à la délectation, sans plus, n’est jamais que péché véniel. Il ne semble pas que l’on doive ranger Alexandre de Halès parmi ces théologiens. S’il assure, Sum. theol., part. II, q. lxviii, m. iv, qu’il n’y a qu’un péché véniel dans la sensualité, il faut entendre cette solution de la sensualité proprement dite, représentée par le serpent, et non de l’appétit sensitif qui sert d’instrument à la raison inférieure pour régler les choses temporelles, sensualitas improprie.lbid., m. m. D’ailleurs, saint Thomas affirme que l’opinion contraire au Lombard était rejetée par l’opinion commune de son temps, Queest. disp., De veritate, q. xv, a. 4, ce que l’on vérifiera facilement pour Albert le Grand, In Il Sent., dist. XXIV, a. 13, et pour saint Bonaventure, ibid., part. II, a. 2, q. il, qui glose Alexandre de Halès. Ibid., a. 3.

Albert le Grand reproduit en termes imagés la doctrine de Pierre Lombard. lu Il Sent., dist. XXIV, a. 13. Il la corrige sur le point particulier de la durée nécessaire pour qu’il y ait délectation morose, et dit que ce n’est pas affaire de temps, mais de consentement. § Ad i<l quod ulterius qumritur.

Saint Bonaventure distingue d’une manière nette trois cas : consentement plein, portant sur la délectation et sur l’acte pensé ; demi-consentement, semiplenus, placet delectalio, displicet consummatio, péché véniel ou mortel suivant qu’il n’y a pas ou qu’il y a consentement parfait à la délectation ; consentement interprétatif, la délectation déplaît, l’acte aussi, et néanmoins on laisse la pensée errer sur ces objets illicites : on discute en ce cas si le péché est mortel, sed securior via tenenda est, quidquid sit rei veritas. In Il Sent., dist. XXIV, p. il, a. 2, q. n.

Saint Thomas fait faire un premier progrès à la théorie du consentement en expliquant métaphysiquement pourquoi le consentement in actum est dévolu à la raison supérieure : Quandocumque autem sunt plura principia ordinata, semper ordinatio in ultimum attribuitur primo et summo… et secundum hoc dico quod ratinni superiori reservatur judicium respectu ultinti quod est executio operis. In Il Sent., dist. X.YIV, q. iii, a. 1, ad 5°" 1 ; cf. Sum. theol., Ia-IIæ, q. xv, a. 4 ; q.L.xxiv, a. 7. Dans le commentaire sur les Sentences, 1. II, dist. XXIV, et le De veritate, q. xv, il s’efforce de faire cadrer les données augusliniennes avec sa psychologie aristotélicienne. Le résultat de ce travail préliminaire est arrêté dans laq.LXXvde la Somme théologique, Ia-IIæ . Avec lui, l’expression augustinienne delectatio cogilationis reçoit un sens définitif. Si la délectation a pour objet la pensée comme pensée, elle peut être innocente ; le consentement qu’on lui donne constitue tout au plus un péché véniel. Si la délectation a pour objet la chose pensée et si cette chose est mauvaise en elle-même, le consentement à la délectation est en soi péché mortel. Il n’est péché véniel que per accidens, à cm se (lu manque de délibération. Ibid., a. 9. Quanta la raison supérieure, en regard de son objet propre, elle ne pèche mortellement i(ue si son consentement est délibéré ; en regard de l’objet de la raison inférieure, elle ne saurait avoir qu’un consentement délibéré, d’où ce consentement est péché mortel toutes les fois que le dérèglement de la raison inférieure est capable de constituer un péché mortel ; dans le cas contraire, il n’est que véniel. Ibid., a. 10. Tels sont les éléments neufs que saint Thomas apporte à la solution. Pour le reste, il suit Pierre Lombard et Albert le Grand.

La doctrine de saint Thomas a définitivement lixé les principes sur la question soulevée par saint Augustin. Ils ont servi de thème à d’innombrables commentateurs. Ils sont aujourd’hui classiques. A. Gahueil.

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