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CONGRUO (DE)


les actes méritoires soient libres, moralement bons, d’une bonté à quelque degré surnaturelle ; et, par conséquent, il faut qu’ils procèdent d’un mouvement de la grâce actuelle et d’un motif de foi. Que le mérite de congruo doive consister en des actes surnaturalisés, cela va de soi, puisqu’il s’agit d’ordre, de libéralité, de récompense surnaturelle, toutes choses qui supposent une proportion, un mérite, une congruilé ou convenance du même ordre. Que ces actes méritoires doivent être surnaturels simplement à quelque degré, cela aussi s’entend sans peine. Comme l’état de grâce n’est pas nécessairement requis, il s’ensuit que les actes méritoires, pour arriver à la congruité, n’ont pas besoin d’être complètement, essentiellement surnaturels. Il suffit qu’ils soient tels accidentellement et à quelque degré, par l’influence des grâces actuelles, extérieures et intimes.

3. Du côté de Dieu, la congruité du mérite suppose évidemment l’institution de l’ordre surnaturel par sa toute-puissance et son infinie bonté. Mais cet ordre une fois établi, rien de plus n’est exigé, s’il s’agit d’œuvresdont la convenance ou congruité n’appelle pas immanquablement la récompense. Dans ce cas, en effet, il suffit que nos œuvres soient en état de provoquer la générosité divine, et la seule constitution de l’ordre surnaturel y pourvoit. Mais si des œuvres se présentent avec un caractère de décence ou de congruité vis-àvis de la récompense, tel qu’elles l’obtiennent infailliblement, alors, nous l’avons vii, il y a une promesse divine attachée à certaines œuvres déterminées, lesquelles, à raison de leur imperfection, n’atteignent pas à la condignité et n’engendrent aucun droit strict.

Objets.

Les objets ou récompenses que peuvent

acquérir nos actions méritoires, se réfèrent à deux chefs : il y a les récompenses qu’elles peuvent obtenir pour nous-mêmes, et celles qu’elles peuvent atteindre en faveur d’autrui.

1. Pour soi-même, —a) L’homme, juste ou pécheur, peut certainement obtenir, par voie de congruité, des grâces actuelles, suffisantes ou efficaces. Quand, en effet, mus par la grâce, nous offrons à Dieu des prières ou des bonnes œuvres, précisément dans l’intention de nous assurer de sa part les secours plus abondants que réclament des occasions plus difficiles, nous réalisons alors les conditions précédemment énoncées, et nos œuvres revêlent un caractère de congruité plus ou moins pressante dans leur valeur méritoire. En ce qui concerne spécialement le pécheur, nous allons montrer plus loin qu’il peut obtenir, par voie de congruité, son retour à la justification, soit immédiatement par la charité, soit par le moyen d’autres actes surnaturels qui lui sont commandés, comme la foi, l’espérance, l’attrition. Or, il est justement dans la nature de ces actes d’amener le pécheur à la justification. Quand donc ces actes ont été posés, il semble bien convenable que Dieu continue le concours déjà accordé et que le pécheur obtienne les grâces actuelles nécessaires pour achever son relèvement. C’est pour ce motif et en ce sens que les Pères, dans les discussions pélagiennes, parlaient de la foi qui mérite la justification. D’un autre coté, nous savons que le pécheur a l’obligation de solliciter de la miséricorde divine les grâces nécessaires pour sortir de son malheureux état, pour triompher des tentations, pour accomplir correctement ses devoirs quotidiens. Comme on ne peut prétendre qu’une telle obligation a été vainement imposée, il faut donc reconnaître à la prière du pécheur une valeur impétratoire de grâces actuelles. S’il en est ainsi, comment refuser à ses bonnes œuvres une proportion, un titre analogue au regard dos mêmes grâces ? Cf. Suarez, De gratia, 1. XII, c. xxxvii, n. l."> sq. — //) Au sujet de la grâce sanctifiante, a. notons d’abord que nos œuvres peuvent otlrir le titre de congruité vis-à-vis de la première jus tification et de sa restitution. A la vérité, le concile de Trente a déclaré que la justification est tout à fait gratuite, en ce sens que la foi et les œuvres surnaturelles qui la préparent, ne peuvent cependant jamais nous mériter la grâce même de la justification : Gratis autem justificari ideo dicamur, quia nihil eorum quai justi/icationem prsecedunt, sive fides, sive opéra, ipsam juslificationis gratiam promerentur. Sess. VI, c. viii, Denzinger, n. 683. Sans aucun doute, les Pères entendent parler ici du mérite de condignité, du vrai mérite comme ils l’ont appelé ailleurs. Mais, quand l’infidèle ou le pécheur, aidé par la grâce actuelle, fait tout ce qui est en lui pour venir ou revenir à Dieu et l’aimer de son mieux, il apparaît cependant de toute décence que Dieu, ayant prêté son concours jusque-là, ne le retire point devant le but normal à atteindre ; il apparaît que Dieu se doit à lui-même que les actes surnaturels, antérieurement accomplis grâce à lui, ne manquent pas, par son fait, leur fin connaturelle, à savoir la justification. Aussi la sainte Écriture assigne-t-elle aux œuvres surnaturelles une vraie causalité morale au regard de la grâce sanctifiante : par exemple, Eccli., I, 27 : « La crainte du Seigneur bannit le péché ; » Dan., iv, 24 : « Rachète tes péchés par des aumônes, et tes iniquités par la miséricorde envers les pauvres ; peut-être le Seigneur te pardonnera-t-il tes fautes ; » Tob., xii, 9 : « Car l’aumône délivre de la mort, et c’est elle qui efface les péchés et qui fait trouver la miséricorde et la vie éternelle ; » Matth., vi, 14 : « Si vous remettez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous remettra aussi vos fautes. » Ces déclarations inspirées ont une portée générale qui ne permet point de les restreindre à la rémission des seuls péchés véniels chez les justes. Saint Augustin défendit fermement cette doctrine : Nec ipsa remissio peccatorum, écrit-il, sine aliquo nierito est, si fides hanc impetrat, neque eninx nullum est meritum fidei, qua fide ille dicebat : Deus propitius esto mihi peccatori, et descendit justi/icalus nierito fidelis humilitatis. Epist., cxciv, ad Sixt., c. ni, n. 9, P. L., t. xxxiii, col. 877. Saint Prosper conclut plus universellement : Non enim nullius meriti liaberi potest pelenlis fides, quserentis pietas, pnhantis instantia. Contra Collât., c. iii, n. 1, P. L., t. ii, col. 222. Aussi bien quand le concile de Trente enseigne que par la foi, la contrition et les actes des autres vertus, les hommes se préparent et disposent à la justification, c’est donc qu’il reconnaît entre ces actes et la justification un rapport de causalité quelconque, de causalité morale sans aucun doute : et ceci suffit à constituer le mérite de congruo. Sess. VI, c. vi, can.8 ; sess. XIV, c. iv, Denzinger, n. 680, 700, 777, 778. Bien plus, si l’œuvre accomplie en vue de la justification se trouve être un acte de charité ou de contrition parfaite, la congruité devient telle qu’elle emporte infailliblement le succès dans la récompense. Car de soi la charité ou la contrition parfaite réclame l’infusion de la grâce, et, au surplus, il y a ici promesse divine : « Lorsque tu chercheras le Seigneur ton Dieu, tu le trouveras si toutefois tu le cherches de tout ton cœur et avec la tribulation de toute ton âme. » Deut., iv, 29. « O Dieu ! vous ne mépriserez pas un cœur contrit et humilié. » Ps. L, 19. — b. Le juste peut-il, pendant qu’il est en état de grâce, faire des œuvres qui lui méritent son relèvement, au cas où il aurait le malheur de tomber dans le péché ? Il n’existe aucune promesse divine sur ce point, et les théologiens restent divisés sur la question de congruité même faillible d’actes posés dans une semblable intention. Saint Thomas lient pour la négative, Sum. theol., Ia-IIæ, q. exiv, a. 7 ; mais saint Iionaventuro, In 7 1° Sent., I. II, dist. XXVIII, dub.H.DunsScot, 1h IV Sent., I. IV, dist. ii, q. i, a. 2, IJellarmin, De justifications, 1. V, c. ii, Suarez, De gratia, I. XII, c. xxwiti, n. 6, et tant d’autres, soutiennent l’affirmative, et, scmblc-t-il, avec raison.