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CONFIRMATION DANS LA SAINTE ÉCRITURE


puisse pas accorder le pouvoir d’en opérer, c’est-à-dire donner l’Esprit. La théologie juive, croit-on, enseignait que l’homme doté de pouvoirs miraculeux était apte à Jes transmettre ; l’inspiration se communiquait. Et d’après certains exégètes, c’est cette persuasion même qui pousserait le magicien Sinuon à dire : Donnez-moi le charisme afin que je puisse le transmettre. Si on accepte ce postulat, et si, d’autre part, on pense que le don de l’Esprit se confond avec un pouvoir extraordinaire ; en effet, il devient presque impossible d’expliquer l’incapacité de Philippe, l’intervention des apôtres. Toute la difficulté s'évanouit si l’on admet que l’imposition des mains n’est pas la simple collation d’un pouvoir miraculeux : que la théologie juive attrihue ou non à l’homme doté des charismes le pouvoir de les communiquer, peu importe ; Dieu donne au fidèle sa grâce par qui il veut.

La même remarque est suggérée par l’histoire des Éphésiens. Si le don de l’Esprit est le charisme, et si celui qui le possède peut le transmettre, pourquoi les douze disciples doivent-ils attendre la venue de Paul avant de le recevoir ? Il y avait des chrétiens à Ephèse, chrétiens qui sans doute avaient reçu l’Esprit. Bien plus, l’apôtre, lors de son premier et court passage en cette ville, y avait laissé Aquila et Priscille, Act., xviii, 19 ; ses amis et ses hôtes de Corinthe, ses compagnons de voyage, fidèles bien formés puisqu’ils pouvaient compléter l'éducation religieuse d’Apollo, c’est-à-dire d’un homme « éloquent, puissant dans les Écritures, instruit de la voie du Seigneur, et qui parlait avec exactitude de Jésus » . Act., xviii, 25. Nous pouvons donc supposer qu’Aquila et Priscille, parfaits chrétiens, possédaient l’Esprit. Or, ils ne l’avaient pas donné aux douze Ephésiens. Tout s’explique si ce don n’est pas le seul charisme, mais une grâce dont Dieu dispose suivant des lois nouvelles et selon son bon plaisir.

Les arguments qu’on a invoqués pour repousser cette conclusion ne sont pas décisifs. On a dit souvent que le verbe employé pour désigner la descente du Saint-Esprit, é7r17U7tTetv, tomber sur, Act., VIII, 16 ; x, 44 ; xi, 15, ne peut convenir qu'à des dons miraculeux. Admettons que ce mot désigne une chute, c’est-à-dire une venue inopinée, soudaine : est-ce qu’une grâce distincte des charismes ne peut pas descendre rapidement, brusquement ? Et de fait n’est-ce pas ainsi qu’elle est accordée si elle l’est par l’imposition des mains ? Luc qui a dit de la crainte qu’elle s'élance, Luc, i, 12, et qu’elle tombe, Act., xix, 17, ne peut-il pas employer une métaphore semblable pour décrire la collation d’une faveur spirituelle ? S’il le fait, d’ailleurs, c’est que l’Ancien Testament, Ezech., XI, 5, a déjà dit de l’Esprit qu’il tombe. Déplus, l’auteur des Actes ne peut-il pas penser à cette première et typique ell’usion de l’Esprit qui fut accompagnée d’un bruit violent et fut pour ainsi dire la chute du don divin. Enfin, dans deux cas sur trois, le mot est admirablement choisi. Il peint à merveille la descente de l’Esprit-Saint sur Corneille, descente brusque et inopinée. L’Esprit tomba véritablement devant Pierre stupéfait.

L’argument tiré de l’emploi que fait Pierre d’un oracle de Joèl n’est pas plus convaincant. Dans la grâce accordée à tous les disciples, l’apôtre montre le don annoncé par le prophète pour les temps messianiques, prophéties, songes, visions, prodiges. Act., il, 17-19. On conclut que l’Esprit de Jahvé répandu sur toute chair, c’est le charisme. Mais dans la bouche de Pierre ou dans le récit de Luc, les paroles de Joël signifient-elles que tous les chrétiens auront des visions et des songes, prophétiseront et feront des prodiges ? Non. Une lecture attentive du texte montre que le don universel, c’est seulement l’elfusion de l’Esprit : il sera répandu sur toute chair, sur les serviteurs et les servantes de Dieu ; quant aux miracles, il s’en accomplira, mais il

n’est pas dit que tous les opéreront tous. La preuve qu’il faut entendre ainsi ce passage esta maints endroits du livre des Actes : partout apparaissent des thaumaturges et des prophètes, jamais tous les chrétiens ne sont présentés comme tels. Il ne faudrait pas croire que cette exégèse fausse le sens primitif du morceau. Ce qu’annonce le prophète juif, c’est, de l’avis de bons juges, une large et universelle effusion de l’Esprit de Jahvé, effusion qui se manifestera au dehors par des prodiges. Il n’est pas nécessaire, même au jugement des écrivains de l’Ancien Testament, que tout homme inspiré prophétise ou opère des miracles ; Ézéchiel ne fait-il pas ainsi parler Jahvé : « Je mettrai mon Esprit en vous et je ferai en sorte que vous marchiez d’après mes ordres, que vous observiez et pratiquiez mes lois, » xxxv, 27. Et la prédiction de Joël ne s'éclaire-t-elle pas à la lumière des paroles de Jérémie : « Voici l’alliance que je ferai… Je mettrai ma loi en eux, je l'écrirai dans leur cœur et je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. Celui-ci n’enseignera plus son prochain, ni celui-là son frère…, car tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu’au plus grand, » xxxi, 33, 34. Impossible donc, pour confondre le charisme et l’effet de l’imposition des mains, de se réclamer de la prophétie appliquée par Pierre au peuple du Christ.

Mais, dit-on encore, cet effet est une grâce que le chrétien ne reçoit pas au baptême, c’est tantôt avant, tantôt après qu’elle lui est communiquée. Or, de tout temps on a pensé que l’Esprit-Saint est donné quand a lieu l’ablution ; c’est donc une autre faveur, un charisme qui est accordé par l’imposition des mains. Ceux qui. présentent cette objection oublient deux choses : baptême et imposition des mains sont deux rites distincts, mais non indépendants ; si leurs effets ne sont pas les mêmes, ils se complètent et s’appellent. D’autre part, l’Esprit, d’après Luc lui-même, peut être donné à celui qui l’a déjà. Voir col. 983.

Reste l’argument le plus spécieux. Luc signale avec soin le don des charismes, lui réserve une place privilégiée, lui attribue une importance capitale. — Le fait est indéniable, mais il peut aisément s’expliquer. Tout historien d’une religion agit comme Luc. La vie intérieure, la transformation morale de l’individu, l’accomplissement normal des devoirs quotidiens sont des phénomènes intimes ; ils frappent moins vivement l’observateur, sont plus rapidement décrits, et, en raison de leur répétition même, ne peuvent être étudiés en détail, dans chaque personne et à plusieurs reprises. L’homme qui écrit son autobiographie a le droit de noter dans ses confessioyis les mouvements de la grâce ; l’historien saisit les faits extérieurs et publics, surtout les actions d'éclat, les phénomènes extraordinaires, les exploits héroïques par lesquels se trahit l’intensité et la puissance de vie d’une âme. L’existence des honnêtes gens échappe presque entièrement à l’histoire : celui qui décrit une société signale leurs vertus quelquefois au plus, et en traits généraux. C’est d’ailleurs ce que fait saint Luc. Son but l’oblige à raconter l’origine, les progrès, l’extension du christianisme : les Actes mettent donc surtout en relief les phénomènes saillants et typiques, ceux qui sont des points de départ ou des dates, les causes de succès, les moyens de propagation, les effets produits sur les contemporains par l’apparition des hommes nouveaux. Or, dans le don du Saint-Esprit, qu’est-ce qui est intime ? Ce n’est pas son action sur l’individu : elle est le secret de chaque âme. Ou’est-ce qui est public, frappe les témoins, risque de conquérir les profanes, d’encourager les amis, d’irriter les adversaires ? Évidemment l’effet miraculeux. C’est donc la prophétie, la glossolalie, le prodige que Luc prend plaisir à signaler. D’ailleurs, l’auteur du troisième Evangile et des Actes, s’il est païen de naissance comme on le croit généralement, a été en rap-