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CONCUPISCENCE


et immoral, Deut., v, 21 ; Gal., v, 17 ; I Joa., Il, 16 ; tantôt, c’est un désir immatériel et bon que Dieu lui-même peut éprouver, Eccli., xv, 22 ; tantôt, c’est un désir immatériel mauvais, Exod., xx, 17 ; Deut., vil, 25, qu’on trouve jusque dans le démon, Joa., viii, 4 (texte grec) ; tantôt, c’est une appétition naturelle, Gal., v, 17, et tantôt un mouvement surnaturel. Ps. lxxxiii, 3 ; cxvin, 20, 40, 174 ; Sap., vi, 12, 14 ; Eccli., i, 33.

2° Il y a le sens propre. La concupiscence alors devient le mouvement de l’appétit sensible contraire à l’ordre. Les objets matériels, présents à l’appétit sensible par la perception externe ou les sens internes, n’exercent chez lui d’attirance ou de répulsion qu’autant qu’ils sont présentés comme bons ou agréables, ou bien mauvais ou désagréables. Or cette bonté et cet agrément sont réels ou tactices, concernent le sens seul ou tout l’homme ; le bien factice, l’agrément du sens seul pour lui-même sont en dehors de l’ordre ou contre lui ; il n’y a dans l’ordre que le bien réel qui, étant proportionné à tout l’être, concourt à sa perfection intégrale ; il n’y a donc aussi de légitime que l’appétition de ce bien, l’autre est illégitime et mauvaise. C’est proprement la concupiscence, qu’on peut dès lors définir : Tout mouvement, tout désir sensible, toute appétition d’un bien matériel contraire à l’ordre ou à la raison. C’est dans ce sens que les apôtres, et saint Paul surtout, condamnent la chair comme étant le principe et la source de la concupiscence. Gal., v, 16, 17, 24 ; Eph., ii, 3 ; I Pet., il, 2 ; II Pet., ii, 10, 18 ; I Joa., ii, 16. Cette concupiscence a son origine dans la faute d’Adam qui, en nous dépouillant de la justice primitive, nous a transmis une chair rebelle, en proie à la concupiscence et aux désirs mauvais et prompte au mal, Rom., vi, 19 ; vii, 18-25 ; Eph., vi, 12 ; aussi Dieu déclare-t-il que son esprit ne restera plus en l’homme parce qu’il est chair, Gen., vi, 3 ; et chair infirme, Matth., xxvi, 41 ; Marc, xiv, 38 ; les fils de la chair ne sont pas les fils de Dieu, Rom., ix, 8 ; ils sont charnels et dans la chair, marchent suivant la chair, exécutent les désirs de la chair, ont la sagesse de la chair, Rom., vii, 14 ; viii, 5 sq. ; Gal., v, 16 ; la chair rendait la loi impuissante, Rom., viii, 3 ; car ses œuvres sont la fornication, les maléfices, les haines, les homicides, etc. Gal., v, 17-21. Jadis nous avons vécu dans les désirs de la chair et accompli ses œuvres, Eph., il, 3 ; les passions de péché agissaient dans nos membres, Rom., vii, 6 ; maintenant l’ère de l’esprit s’est levée et ceux qui sont du Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences. Gal., v, 24. Cf. M. Hagen, Lexicon biblicum, v° Caro, Paris, 1905, col. 776 ; Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, art. Chair, t. ii, col. 487. Les Pères donnent de la concupiscence la même définition. Citons seulement saint Augustin qui l’appelle « la discorde de la chair et de l’esprit » , Serm., cm, n.4, P. L., t. xxxviii, col. 821 ; « le vice par lequel la chair convoite contre l’esprit. » Ibid., 1. V, c. xix, col. 1452.

3° Il y a enfin le sens large, inspiré plus particulièrement par l’étude du péché originel. Avant la chute, il y avait dans l’homme une harmonie parfaite de toutes les facultés dans une subordination complète à l’ordre voulu par Dieu. Le surnaturel soumettait au Seigneur l’esprit et la volonté de l’homme, le préternaturel soumettait à la raison les sens et les facultés inférieures. Tant que l’homme restait attaché à la loi divine, aucun mouvement mauvais ou désordonné ne devait s’élever dans sa chair ; la soumission de l’esprit était la garantie de la docilité des sens. Quand l’homme se révolta, toutes ses facultés sortirent de l’ordre, la volonté par la désobéissance, la raison par le jugement pratique de prééminence de la science du bien ou du mal, les sens par la rupture du lien préternaturel qui les enchaînait aux ordres de la raison surnaturelle. La concupiscence peut dès lors être entendue non seule ment de la révolte des sens à l’endroit de la raison, mais encore du mouvement désordonné de celle-ci et de la volonté vers la science du bien et du mal. Sous cet aspect, on appelle passion et concupiscence tout désir mauvais, toute aspiration même spirituelle, opposée à l’ordre : tels sont l’orgueil, l’envie. Le démon peut connaître et a connu ces passions et cette concupiscence. Joa., viii, 44.

III. État de la. question. — Abandonnant le sens large et l’étymologique, nous garderons le sens propre, qui est la vraie notion traditionnelle de la concupiscence dans les deux grandes questions du péché originel et du péché actuel. La concupiscence est donc tout mouvement de l’appétit sensible contraire à l’ordre de la raison ; on donne parfois le même nom à la faculté même de l’appétit sensible, considérée comme pouvant s’adonner à ces mouvements déréglés, et comme portée vers eux. Nous disons les mouvements déréglés comme tels, parce que, considérés en eux-mêmes, abstraction faite de leur rapport à la raison, ils sont de pures énergies animales, obéissant naturellement à la perception sensible et tendant à atteindre les objets présents comme bons et agréables, et à écarter les objets nuisibles ou douloureux. Us sont l’exercice normal d’une faculté naturelle, et par suite sont bons d’une bonté physique et ontologique, comme est bonne la pesanteur qui précipite en cascades majestueuses ou dévastatrices les eaux des torrents, comme est bonne la circulation de la sève chez les plantes même vénéneuses, la chaleur du sang et la vigueur chez les animaux même sauvages. Quand saint Paul, Rom., vii, et les Pères appellent la concupiscence « un vice, un péché » , ils la considèrent dans son rapport avec la volonté et son opposition à la loi morale ; ils envisagent en elle la loi de péché qui subjugue les membres et les dresse contre la loi de l’esprit. Rom., vii,

23. Sous cette acception, la concupiscence soutient des rapports avec le péché originel et avec le péché actuel.

IV. La concupiscence et le péché originel.

1° La concupiscence est un effet du péché d’Adam. La justice originelle accordée dans la création même à nos premiers parents enveloppait, outre l’état surnaturel, des dons préternaturels que les théologiens ramènent d’ordinaire à quatre : l’immortalité du composé humain, son immunité de la douleur, une science éminente infuse, l’intégrité ou l’exemption de la concupiscence. Le premier homme et la première femme « étaient nus, et ils n’en avaient point honte » . Gen., ii, 25. La concupiscence n’existait pas encore, et les sens parfaitement réglés ne subissaient que les mouvements autorisés par la raison et la volonté surnaturelles. Mais quand celles-ci ont perdu la grâce dans la chute, alors les sens débridés s’égarent, et s’élèvent en eux les instincts pervers. Les yeux d’Adam et d’Eve s’ouvrent, non pas qu’ils aient été aveugles jusqu’ici, mais maintenant leurs regards sont accompagnés de passion, là où auparavant ils pouvaient voir en toute innocence. Ils s’aperçoivent qu’ils sont nus ; le fait n’est pas nouveau, ils le connaissaient et savaient même le mystère de la génération humaine. Gen., ii,

24. Ce qui est nouveau, c’est l’impression produite en eux par leur nudité ; ils cousent ensemble des feuilles de figuier et ils se font des ceintures, et quand Dieu vient comme de coutume les visiter, ils se cachent et n’osent se montrer, non parce qu’ils ont péché, mais parce qu’ils sont nus. Gen., iii, 7-10. Nous assistons là d’une manière saisissante à l’éclosion de la concupiscence, et Dieu aussitôt en signale la cause : « Qui t’a indiqué que tu es nu, dit-il à Adam, sinon que lu as mangé du fruit que je t’avais défendu ? » ? 11. La désobéissance a déchaîné la concupiscence. Dieu lui-même nous en donne l’assurance par une révélation. Et désormais toutes les générations humaines en seront les tristes victimes. Cf. S. Irénée, Cont. hscr., 1. II, c. xxxii, P. G., t. vii, col. 959 ; S. Chrysostome, In Gen., homil. xv,