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CONCOURS DIVIN


de sa prescience. Ajoutez que, puisque Dieu est le premier moteur, il doit donner le branle à l’activité de la volonté libre.

Un troisième argument est tiré de ce fait : Dieu n’a pas d’autre moyen de connaître avec certitude les actions libres de la créature. Car tous les autres facteurs qui ont leur part d’inlluence sur la volonté libre ne laissent établir la connaissance certaine de la décision libre prise par la créature. Or que la connaissance divine doive être certaine c’est ce dont, pour divers motifs, il n’est pas permis de douter.

Le quatrième argument consiste en ce que, si l’on n’admet pas la prédétermination physique dans le domaine surnaturel, c’est-à-dire si l’on n’admet pas la grâce de soi et intrinsèquement efficace, Dieu est comme désarmé vis-à-vis de la créature. Et cependant Dieu doit, ainsi que le remarque saint Augustin, Enchiridion, c. xcviii, P. L., t. XL, col. 277, pouvoir, quand et comme il veut, tourner au bien les volontés humaines les plus obstinées dans le mal. Or, sans la prédétermination physique, Dieu n’a à sa disposition que des moyens moraux de détermination, moyens dont l’efficacité n’est jamais parfaitement assurée.

Par le fait même, et c’est le cinquième argument, le fondement de la prédestination est déplacé : ce n’est plus la volonté divine qui est l’élément premier et décisif de la prédestination, mais bien la volonté humaine. Celle-ci décide en première instance et sans appel si la grâce offerte est ou n’est pas efficace. Or c’est de l’efficacité des grâces données que dépend en fin de compte la prédestination. Aussi faut-il pour ce motif affirmer la prédétermination physique, seul moyen de remettre toute la prédestination entre les mains de Dieu.

Réponse aux arguments des thomistes.

Au premier argument les molinistes répondent que, dans leur système aussi, tout mouvement d’une force créée tire son origine et sa raison d’être de la cause première. Car Yaclus primus proximus de la cause créée, sans lequel l’opération est impossible, dépend toujours, dans sa réalisation, de Dieu et du concours divin. La cause libre ne fait pas exception à cette loi. La volonté libre ne peut donc rien si Dieu ne prépare, de son côté, l’acte libre et n’achève de le rendre adéquatement possible en offrant son concours. Quant à l’action libre elle-même, elle dépend également de Dieu dans tout son cours. Mais si l’on suppose que le mouvement de la cause libre in actu secundo est dû à la prédéterminalion physique, la liberté de tout le mouvement disparait : elle n’est plus qu’une fiction, comme nous le montrerons bientôt.

Le second argument est également inacceptable. La majeure sans doute est exacte, mais il faut faire des distinctions au sujet de la mineure : il est vrai qu’une puissance indéterminée et indifférente ne peut jamais se déterminer elle-même par ses propres forces et que, sans le secours de Dieu, elle est absolument incapable ; mais si le concours est offert et présent, rien n’empêche qu’elle se détermine elle-même, supposé que la volonté soit placée par l’intermédiaire de la connaissance dans les conditions requises pour agir in actu primo proxi ?)>o. Si on dit alors qu’elle est capable de se déterminer elle-même, c’est que son indétermination ne résulte pas d’une imperfection, d’une incapacité. Quand les alternatives du jugement indifférent sont présentes à l’esprit, alors si la volonté libre reste indifférente et indéterminée, Ci n’est pas qu’elle manque d’un élément requis pour qu’elle ait la puissance d’embrasser, c’est-à-dire de vouloir chacune des alternatives proposées. L’état d’indifférence et d’indétermination, où elle se trouve, ilte de la supériorité de son pouvoir, ex eminentia tuæ potestatis. Le jugement indifférent lui pn toujours l’objet sous divers aspects opposés entre eux : l’un bon. l’autre mauvais, l’un agréable, l’autre dur ou

| pénible. La vigueur native du libre arbitre, grâce au jugement indifférent, est mise à même de vouloir l’un ou l’autre des partis qui s’offrent à la volonté ; ce qui n’empêche pas au reste que l’indétermination de la volonté persiste jusqu’à ce qu’elle se soit décidée et déterminée elle-même. Qu’elle en ait le pouvoir, c’est ce qu’exigent sa nature et sa fin ; sa fin, car la faculté de vouloir tend essentiellement à se donner à elle-même et à donner à la personne, en outre des inclinations résultant des penchants naturels, d’autres inclinations actuelles et spontanées ; sa nature, car la volonté a ceci de particulier que ses actes ne tendent pas seulement vers l’objet, mais qu’avec l’objet ils sont eux-mêmes voulus. D’ailleurs, l’indifférence du libre arbitre n’est nullement passive ; elle est vraiment active, ce qui signifie que le libre arbitre n’est point déterminé par une cause extérieure, mais se détermine lui-même.

Il faut concéder au troisième argument une grande part de vérité. Aucun des éléments qui concourent à l’acte libre, absolument aucun, ne nous renseigne avec certitude sur la décision dernière du libre arbitre. La plus parfaite compréhension de la volonté et de ce qui influe sur elle ne pourra jamais, tant que la liberté du choix demeure inlacle, taire connaître l’acte libre d’une manière infaillible. Telle était l’intime conviction de saint Thomas ; il ne cesse de rappeler que les actes libres ne peuvent être connus que quando sunt in seipsis. L’acte ne peut être prévu autrement, même pas dans un décret prédéterminant. Cf. Suni. tlieol., I a, q. xiv, a. 13, in corp. et ad 3um ; q. lxxxvi, a. 4 ; II a II^, q. CLXXi, a. 6, ad l um ; De veritate, q. ii, a. 12, et ad l um ; De malo y q. xvi, a. 7 ; In IV Sent., 1. I, dist. XXVIII, q. i, a. 5 ; Cont. gent., 1. I, c. lxvii, n. 1, 2 ; c. lxvi, n. 6, etc. Ainsi Dieu connaît les actes libres de toute éternité, in seternitate. Il les connaît avant le décret de la création du monde. Avant de vouloir créer, Dieu devait, pour agir avec sagesse, savoir ce qu’il adviendrait de son œuvre. Il avait donc une science dont l’objet peut s’énoncer de cette manière : Si je crée tel ou tel être libre et s’il se trouve placé dans telles ou telles conditions qui lui rendront possible sa libre activité, cet être posera certainement tel acte déterminé, tout en conservant d’ailleurs le pouvoir d’en poser un autre, scientia média. Dieu se décide-t-il à tirer tel être libre du néant et à le mettre en fait, directement ou indirectement, dans les conditions nécessaires à son activité, il prévoit avec certitude l’acte concret que cette créature libre posera librement. C’est ainsi que saint Augustin, saint Thomas et beaucoup d’autres expliquent, sans recourir à la prédétermination physique, la prescience des futurs libres. Cf. S. Augustin, De diversis quæst. ad Simplic, c. II, n. 13, P. L., t. XL. col. 118 ; De civitale Dei, 1. V, n. 9, P. L., t. xii, col. 150 ; De dono perseverantise, c. xiv, n. 35 ; c. xvii, n. 41, P. L., t. xlv, col. 1014, 1018. Pour saint Thomas, voir les passages indiqués précédemment. Évidemment, cette explication reste enveloppée d’une grande obscurité. Mais rappelons-nous les paroles de l’Écriture : Mirabilis facta est scientia tua ex me, conforlala est el non potero ad cam. Ps. cxxxviii, 10. Or, si l’on recourt à la prédétermination physique afin d’expliquer la prescience divine des actes libres, non seulement on supprime ce mystère de la science de Dieu, que nous fait connaître la révélation divine, mais on détruit la liberté des actes humains, sans compter, comme nous le verrons, que l’on s’engage dans beaucoup d’autres difficultés considérables.

Le quatrième argument se réduit à ceci : en écartant la prédétermination physique, on enlève à Dieu le pouvoir de déterminer, à son gré, la volonté libre. Nous répondons : Assurément la puissance de Dieu est infini, mais tout infinie qu’elle est, elle ne peut réaliser ce qui implique contradiction, puisque ce serait de la