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COMMUNISME


nibus. Décret., part. I, dist. VIII ; IIa-IIæ, q. lxvi, a. 1, obj. l a. La réponse à cette difficulté observe que de leur nature (avant occupation, cueillette, travail), les cboses sont à tous, en ce sens qu’elles ne sont actuellement à personne ; le genre humain n’est en bloc investi par le créateur d’aucun droit collectif sur la terre, ni aucun homme individuellement, d’un privilège qui lui soit essentiel. « La communauté des biens est qualifiée de droit naturel, non pas que l’essence des choses requière la possession de tout en commun et de rien en propre ; mais parce que le droit naturel s’abstient de partager les propriétés : c’est affaire plutôt de convention humaine et de droit positif, » ad l um. Et en effet, « de sa nature, tel et tel champ ne doit pas plus appartenir à un homme qu’à un autre ; mais si on le considère au point de vue d’une meilleure exploitation, et d’une paisible je uissance il convient mieux à un tel qu’à un tel. » IIa-IIæ, q. i.vii, a. 3. De là l’institution spontanée de la propriété individuelle par la coutume générale des peuples qure gentium) : c’est une institution spontanément reconnue bonne par la raison naturelle et pratique ; et non pas simplement une institution devenue bonne par pure convention et de droit positif, IIa-IIæ, q. lvii, a. 2, 3 ; mais, de soi, indifférente au point de vue moral. Il y entre cependant, selon les contingences, une part de convention et de droit positif, serait-il non écrit, comme cela est dans toute coutume où l’arbitrage de la raison reconnaît ce qui doit être préféré. « Ainsi la propriété individuelle ne lèse-t-elle pas le droit de nature ; elle s’y ajoute, au contraire, comme une découverte de l’esprit humain. » IIa-IIæ, q. lxvi, a. 2, ad l um.

Duns Scot propose, au lieu de cette doctrine, une curieuse hypothèse, dont certains textes des Pères (ou regardés comme tels) lui fournissent le sujet. Il a lii, lui aussi, dans le Décret, que « de droit naturel, tous les biens sont communs » ; il y a lu aussi, que, selon saint Augustin, le droit individuel de chaque propriétaire est d’origine humaine, royale, impériale. D’où, cette conclusion : le droit de propriété individuelle est un pur droit posilif. Et puis, la décrétale prétendue de saint Clément dit que « l’iniquité a distingué le tien et le mien, et que tout au commencement devait être commun » . Et donc, infère Scot, avant le premier péché, qui fut celui d’Adam, le communisme était de précepte, soil naturel, soit divin. Tout fût venu en abondance à des hommes justes et modérés, qui n’eussent convoité l’abus ni l’accaparement de rien, et que la nature servait à souhait. In IV Sent., dist. XV, q. n ; Reportala parisiensia, 1. IV, dist. XV, q. iv.

_ dément l’opinion de saint Bonaventure, In

Il Sent., dist. XL IV, q. ii, a. 2, ad i" m ; et des deux mai de l’École franciscaine, elle passa plus ou moins

aux thomistes et aux éclectiques des temps postérieurs.

Saint Antonin adhère d’une part aux raisons de saint ilmit les avantages de la propriété individuelle ; mais, d’autre part, il est visiblement influencé par les scotistes, el s’inspirant, comme il le dit, du franciscain Jean de Ripa, il ajoute que, dans l’état d’innocence originelle, mieux eût valu la communauté. La pseudo-clémentine insérée au Décret constitue pour saint Antonin une décisive autorité, sur laquelle il raisonne tout à rail coie Scot. Summa theologica,

part. ii, tit. i, c. xiv ; part. III, tit. iii, c. il, g I, ad I

Scol encore, saint Antonin reconnaît que la communauté paradisiaque serait plutôt nuisible mu travail et a la paix de l’humanité déchue : « Personne ne voudrait s’approprier le travail et mettre les fruits en commun. « 

Suarez s’en tient au même point de vue, tout en re marquanl le caractère conjectural des conclusions de

Il voudrait bien savoir quel était le précepte ori ginel du communisi dénique positif ou négatif ?

ordonnant le régime communautaire ou prohibant son

opposé ? Nul ne le saura jamais, conclut-il ; car on no démontrera pas la naturelle connexion de ces deux choses : justice originelle, communauté absolue des biens. Les conjectures de Scot tendraient seulement à prouver que cet état de choses valait mieux avant le péché ; mais, depuis, le contraire est supérieur. De legibus, 1. II, c. xiv, n. 2, 3, 13. Suarez n’insiste pas d’ailleurs : la question du communisme lui fournit un exemple au passage, pour expliquer les changements possibles de droit naturel d’après certains scolasliques.

Sylvius et Billuart, deux thomistes lidèles, proposent aussi des vues analogues. Pour Sylvius, dans l’état d’innocence, l’humanité, unique propriétaire, eût vécu sans querelles et au large dans le communisme universel ; et Billuart regarde cette hypothèse comme la plus probable. Billuart, De jure et jus titia, diss. IV, a. 1 ; Sylvius, In 77 am 77*, q. lxvi, a. 2, concl. 2 a.

Somme toute, en dehors de saint Thomas, les scolastiques ne traitent que très incidemment le problème du communisme ; et de plus, leur attention se dévie dans le champ des conjectures sur la communauté des biens durant l’état d’innocence. La question n’avance guère. Cajétan, qui s’abstient de ces considérations invérifiables, se borne, par contre, à de brèves apostilles sur des difficultés de texte dans la Somme. In 7Z am 77*, q. lxvi, a. 1, 2.

Il y a contraste entre ces recherches de possibili, et le développement réel, la dissolution ou la réforme d’une foule de communautés propriétaires, sur le sol de toute l’Europe au moyen âge et au commencement des temps modernes. Ce sont, en France, les compagnies, coteries, fraternités, consortiscs ; en Allemagne, les cognaliones, Margschaflen ; Konne, Geschlechter ; elles se retrouvent sous d’autres noms en Italie et en Espagne : autant de types variés de la communauté agricole. Il y a aussi les communaux des villages : des prés, des landes incultes où paissent en commun les troupeaux des habitants, et que nul, même le seigneur terrien, ne peut s’approprier. Ce sont encore les mazades de la France méridionale, les crofls de l’Ecosse, les A 11menden suisses ou germaniques, avec jouissances indivises de pâtures et de bois, ou même portions de terres arables, périodiquement distribuées. Toutes ces formes de communauté se subordonnent ou se juxtaposent à la propriété individuelle ; elles soulèvent à proportion des problèmes de droit, que les jurisconsultes examinent au pointde vue de la coutume, que les seigneurs ou communautés tranchent pratiquement au point de vue de leurs intérêts ou de leurs convoitises. Des seigneurs préfèrent une collectivité qui leur réponde solidairement du travail de leurs gens et des revenus tic leurs terres ; d’autres s’adjugent les communaux. Les moralistes n’auraient-ils pas à se renseigner sur les faits spéciaux de travail et de vie locale qui peuvent justifier l’un de ces régimes plutôt que l’autre ? Cela réaliserait un développement progressif des grandes vues générales élaborées par saint Thomas ; cela mettrait en circulation des principes de justice applicables à l’état social qui se développe tous les jours, soit en bien soit en mal. Mais le sens de l’observation le cède trop à l’habitude et au goût des généralités métaphysiques ; et, tandis que les in-folios s’accumulent sur les problèmes d’ontologie, quelques petites conclusions incidentes suffisent pour les questions de propriété et de communauté. Les féodaux et les vilains qui les déballent sur le terrain ou devant les cours de parlement vivent dans un monde trop séparé des cités universitaires et des écoles claustrales où professent les scolasliques. Ceux-ci demeurent étran ! ii lentes évolutions ou aux crises de la propriété rurale, et, faute d’un sujet plus a portée, ils étudient le régime des biens dans l’état d’innocence.

Quelque avantage ressort quand même de cette hardie incursion au paradis perdu : une juste observation