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COMMERCE


prix, la plus commune est la constitution des monopoles (voir ce mot) artificiels par la coalition des détenteurs d’une marchandise.

Une autre pratique est l’élimination des concurrents en vendant au-dessous du prix normal pendant un certain temps, dans le but de relever ensuite les prix. 11 ne faut pas se tromper sur l’expression « vendre au-dessous du juste prix » . Tel prix ruineux pour un producteur peut ne pas l’être pour un autre, et ces luttes industrielles, en forçant chacun à réduire son prix de revient, sont la source du bon marché réel et définitif. Puis, le grand nombre des concurrents étant souvent un mal, les mesures prises de concert par les producteurs pour en réduire le nombre peuvent-elles cire condamnées, si d’ailleurs la concurrence s’exerce loyalement ? On ne démontre pas que la possession en matière de clientèle suffise à constituer un monopole. Néanmoins, ne peut-il se faire qu’en agissant ainsi on pèche et même gravement contre la charité ? Évidemment oui, si, sans y être contraint par sa propre nécessité, en faisant désister le concurrent, on le prive d’un moyen nécessaire à son existence ou à sa situation. Mais encore une fois on ne voit pas qu’il y ait là une violalion de justice. Un commerçant peut-il abaisser le prix de vente au-dessous du prix rémunérateur au risque de ruiner ses concurrents ? A part la considération de charité que nous venons d’indiquer, peut-on taxer d’injustice celui qui abandonne à l’acheteur le bénéfice auquel il avait droit et même lui livre quelque chose du sien ?

III. Le commerce et le droit canon.

La législation positive de l’Église interdit aux clercs de se livrer au commerce, c. Sccundum, 6, x, Ne clerici vel monachi, 1. III, tit. l ; const. Apostolicsa servilutis, du 25 février 1741 ; Clément XIII, const. Cum primuni, du 17 septembre 1759. La raison de cette prohibition est facile à comprendre. Entre la dignité sacerdotale et la profession commerciale, il y a incompatibilité. Il ne convient pas que le ministre de Dieu se laisse absorber par le négoce, que celui qui s’est séparé du monde pour entrer au service de l’Église soit engagé dans les luttes, les compétitions, les responsabilités de la spéculation commerciale. Voir col. 232.

Considérons de plus près les termes et l’extension de cette loi ecclésiastique.

Sous le nom de clercs, il faut entendre non seulement tous ceux qui ont reçu les ordres sacrés, mais encore tous ceux qui ont reçu les ordres mineurs, s’ils possèdent un bénéfice, et, selon l’opinion la plus probable, ceux-ci doivent s’abstenir, même dans le cas où ils ne posséderaient pas de bénéfice, pourvu qu’ils aient d’ailleurs des ressources suffisantes pour vivre. Cf. Schmalzgrueber, 1. III, tit. l, n. 27, 28. La loi atteint aussi les religieux de l’un et l’autre sexe, c’est-à-dire les membres des ordres ou congrégations approuvées par l’Église. Quant aux novices ils ne sont pas soumis à cette loi ; ils l’observeront toutefois par raison de convenance.

Ce qui est défendu, c’est le commerce dans le sens strict (negociatio lucrativa seu quæstuosa) : acheter un objet dans l’intention de le revendre plus cher, sans lui faire subir de transformation. Ainsi, pour constituer un acte commercial, d’après le droit canon, quatre conditions sont requises : 1° acheter et vendre un objet ; 2° le vendre dans le même état ; 3° le vendre plus cher ; 4° avec l’intention de réaliser un bénéfice.

Le bénéfice du négoce provient-il du troc sans qu’il y ait achat on vente, l’opération tonifie dans la catégorie des actes commerciaux interdits aux clercs. Par contre, acheter des marchandises, les transformer par son travail pour les revendre plus cher — par exemple achet i des raisins pour en faire du vin — ce n’est pas à proprement parler du commerce, c’est de l’industrie (negociatio arti/icialis seu induslrialis).

En principe, est également défendu le commerce dit negolialio polilica ; il peut encore avoir lieu de nos jours, par exemple lorsque des missionnaires en temps de lamine achètent du blé et autres marchandises pour leurs néophytes. Cf. Schmalzgrueber, 1. III, lit. L, n. 13, 14 ; Wernz, Jus décrétai., t. ii, n. 219, p. 312, 313.

L’industrie est-elle défendue aux clercs ?

Oui, lorsqu’ils achètent la matière première pour la faire transformer par des ouvriers engagés à cet ell’et, dans le but de vendre le produit avec bénéfice. Par exemple, Pierre achète des raisins, loue des ouvriers pour en faire du vin qu’il vend ensuite avec gain. D’après l’opinion commune des théologiens et des canonistes, on trouve dans cette opération industrielle l’esprit de lucre qui caractérise le commerce proprement dit et est incompatible avec l’état clérical. Lugo, De justitia et jure, disp. XXVI, n. 34.

Si au contraire la matière est transformée par le travail personnel des clercs, l’industrie alors n’a plus rien d’illicite. Ce n’est plus du commerce proprement dit. Saint Paul n’a-t-il pas vécu du travail de ses mains ? Les anciens moines ne vivaient-ils pas du produit de leur travail ? Au reste, cette pratique a-t-elle été autorisée par plusieurs canons. Citons le IVe concile de Caithage, Décret., c. Clericus, 3, xcr, Clericus victum et vestimentum sibi : Clericùs victum et vestimentum arli/iciolo vel agricultura, abscjue sui officii dum taxât detrimento paret. En tout cas, les clercs doivent s’abstenir des métiers peu convenables à leur condition. L’agriculture et l’industrie extractive ne sont point comprises dans la prohibition de l’Église, alors même qu’on ferait appel à la maind’œuvre étrangère. Dans les opérations de ce genre, en effet, ne se trouve pas le caractère spécifique du commerce : acheter une marchandise pour la revendre. Ce qu’on vend en effet ce sont les fruits ou les produits de biens possédés légitimement.

Ainsi il est permis aux clercs de faire du pain avec le froment de leurs récoltes et de le vendre avec bénéfice, de vendre le vin provenant de leurs vignes et fabriqué par des ouvriers loués à cet effet. De très bons auteurs, Schmalzgrueber, loc. cit., n. 17 ; Lugo, loc. cit., n. 30, admettent qu’il est permis à un clerc de faire extraire le minerai contenu dans son fonds de le faire transformer par des ouvriers en métal ouvré et de vendre le produit avec bénéfice. Remarquez toutefois que si ce mode d’exploitation avait une certaine extension, occupant un grand nombre d’ouvriers, il pourrait avoir avec l’état clérical la même opposition que le commerce proprement dit ; et donc il semble bien qu’une entreprise de ce genre soit implicitement interdite aux clercs par le droit canon. Dans les cas semblables, on ne saurait donner de règle générale ; mais il faudra recourir à l’Ordinaire qui jugera, d’après les usages locaux et l’opinion publique, si tel genre d’industrie peut être autorisé ou non.

Dans le cas où un clerc n’aurait pas d’autre moyen de subvenir à son existence ou à celle de parents dont il a la charge, le commerce ne lui serait pas interdit. Aucune loi purement ecclésiastique n’oblige, en présence d’une nécessité grave. Lugo, lot. cit., n. 37 ; S. Alphonse, I. IV, n. 837. En pareille circonstance on demandera au plus t.’il ta permission : en Italie et dans les îles adjacentes à la S. C. du Concile, hors d’Italie à l’évéque du diocèse. La dispense se trouve annulée ipso jure, dès que cesse l’état d’indigence allégué dans la demande ou que se produisent d’autres moyens de subvenir aux nécessités (les personnes intéressées. Clément XIII, const. Cum primum.

Un clerc peut-il faire par autrui le commerce qu’il ne peut exercer par lui-même ? Cette question, qui a divisé’es anciens casuistes, a été tranchée par Benoit XIV. Dans la constitution citée plus haut, il décide que si un clerc vient en possession d’une entreprise commer-