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CŒUR SACRÉ DE JÉSUS (DÉVOTION AU)


Pour réaliser les desseins du Sacré-Cœur, il fallait des instruments. Notre-Seigneur avait choisi pour commencer une visitandine et un jésuite ; il voulut que les visitandines et les jésuites fussent, comme d’office, les apôtres de la nouvelle dévotion. Sans exclure aucune bonne volonté, en faisant appel à tous, il donna commission spéciale à quelques-uns d’y travailler spécialement ; il leur en lit un devoir de vocation, leur promettant, s’ils étaient fidèles à leur mission, une plus large part des trésors renfermés dans le Sacré-Cœur. Le choix divin était comme annoncé d’avance, et l’on en a recueilli après coup mille indices dans le passé. Mais rien n’est clair comme les paroles de la Bienheureuse. Sans nous arrêter aux préliminaires, arrivons au principal. C’est le jour de la Visitation, 2 juillet 1688. Marguerile-Marie a le bonheur de passer toute la journée devant le saint-sacrement, et son souverain, comme elle dit, « daigna bien gratifier sa chétive esclave de plusieurs grâces particulières de son Cœur amoureux. » Il lui fut représenté « un lieu fort éminent, spacieux et admirable en sa beauté, au centre duquel il y avait un trône de flammes » . Elle y vit « l’aimable Cœur de Jésus avec sa plaie » . Cette plaie « jetait des rayons si ardents et lumineux que tout le lieu en était éclairé et échauffé » . Cette fois-ci, le Sacré-Cœur n’est pas là tout seul. La très sainte Vierge était d’un côté, de l’autre saint François de Sales « avec le saint Père de la Colombière » . Puis les filles de la Visitation, « leurs bons anges à leur côté, qui tenaient chacun un cœur en main, » évidemment le cœur de leur protégée. « La sainte Vierge, dit la voyante, nous invitait par ces paroles maternelles : « Venez, mes filles bien aimées, approchez-vous, car je « veux vous rendre dépositaires de ce précieux trésor. » Suivent quelques développements, d’où il ressort nettement que le Cœur de Jésus c’est tout Jésus, et que le don du Cœur c’est le don de Jésus avec tout son amour, tous ses mérites et toutes ses richesses. « Cette reine de bonté, continuant de parler aux filles de la Visitation, leur dit en leur montrant ce divin Cœur : « Voilà ce « divin trésor qui vous est particulièrement manifesté. » Jésus aime leur institut « comme son cher Benjamin » , et « le veut avantager de cette possession par-dessus les autres » . Mais elles ne l’ont pas pour elles seules ; il faut « qu’elles distribuent cette précieuse monnaie » . Qu’elles tâchent « d’en enrichir le monde, sans craindre qu’il défaille ; car plus elles y prendront, plus il y aura à prendre » . Voilà le lot des visitandines, voilà leur mission nettement indiquée par leur aimable mère et médiatrice.

Cette mère de bonté se tourne ensuite « vers le Père de la Colombière » et lui dit : « Et vous, fidèle serviteur de mon divin Fils, vous avez grande part à ce précieux trésor ; car s’il est donné aux filles de la Visitation de le faire connaître, aimer et distribuer aux autres, il est réservé aux Pères de la Compagnie d’en faire voir et connaître l’utilité et la valeur, afin qu’on profite en le recevant avec le respect et la reconnaissance dus à un .si grand bienfait. »

Bref, comme les visitandines doivent continuer Marguerite-Marie, les jésuites doivent continuer le P. de la Colombière. Ils seront récompensés comme lui. Car « à mesure qu’ils lui feront ce plaisir, ce divin Cœur, source de bénédictions et de grâces, les répandra abondamment sur les fonctions de leur ministère, qu’ils produiront des fruits au delà de leurs travaux et de leurs espérances, et même pour le salut et la perfection de chacun d’eux en particulier » .

La scène se termine par un discours exquis de saint François de Sales. Il les invite à venir « puiser dans la source de bénédiction les eaux du salut » , et il leur explique comment la nouvelle dévotion est loin d’être contraire à leurs constitutions.

Idées analogues, mais d’après des lumières nouvelles,

dans une autre lettre à la Mère de Saumaise, le 17 juin 1689. C’était le vendredi après l’octave du Saint-Sacrement. Marguerite-Marie a vu la dévotion du divin Cœur « comme un bel arbre destiné de toute éternité » à la Visitation, afin que chaque maison « en pût cueillir les fruits à son gré et selon son goût » . Ce sont « des fruits de vie et de salut éternel » . Mais ces fruits ne sont pas pour les visitandines seules : elles doivent les distribuer « à tous ceux qui désireront en manger sans crainte qu’il leur manque » . Lettre xcviii, t. il, p. 198 ; 2e édit., lettre xcvii, p. 232.

Suit le message pour le roi, dont il a déjà été question. Marguerite-Marie passe de là aux jésuites, dont la mission se présente toujours à elle comme complétant celle de la Visitation. Elle rattache cette mission aux prières du P. de la Colombière, comme elle rattache celle des visitandines à saint François de Sales. Voir la lettre du 15 septembre 1689 au P. Croiset, Lettres inédites, lettre III, p. 125. Grâce à lui, la Compagnie de Jésus sera gratifiée, avec la Visitation, « de toutes les grâces et privilèges particuliers de la dévotion du Sacré-Cœur. » Ce divin Cœur leur promet de répandre « avec profusion ses saintes bénédictions » sur leurs travaux. Il désire « êfre connu, aimé et adoré particulièrement de ces bons Pères » . Et s’ils tâchent « de puiser toutes leurs lumières dans la source inépuisable de toute la science et charité des saints » , il donnera à leurs paroles c l’onction de son ardente charité » avec des grâces si « fortes et puissantes, qu’ils seront comme des glaives à deux tranchants qui pénétreront les cœurs les plus endurcis des plus obstinés pécheurs » . Lettre xcviii, t. ii, p. 200 ; 2e édit., lettre xcvii, p. 231. Voir encore la lettre civ, t. ii, p. 214 ; 2e édit., p. 262 ; la lettre au P. Croiset, 10 août 1689, Lettres inédites, lettre il, p. 95 ; celle du 15 septembre 1689, loc. cit., lettre iii, p. 130. « S’il est vrai, dit-elle encore dans cette lettre, que cette dévotion tant aimable a pris naissance dans la Visitation, moi je ne puis m’empêcher de croire qu’elle fera son progrés par le moyen des Révérends Pères jésuites. Et je crois que c’est pour cela qu’il avait choisi le bienheureux ami de son cœur (le P. de la Colombière) pour l’accomplissement de ce grand dessein. » Loc. cit., p. 125.

Pourquoi ne peut-elle s’empêcher de le croire ? Parce que Notre-Seigneur lui a « fait connaître, d’une manière à n’en point douter, que c’était principalement par le moyen des Pères de la Compagnie de Jésus qu’il voulait établir partout cette… dévotion, et par elle se faire un nombre infini de serviteurs fidèles, de parfaits amis, et d’enfants parlaitement reconnaissants » . Lettre citée par le P. Croiset, Abrégé, p. 57. Cl. Vie et œuvres, lettre cxxxii, t. ii, p. 285 ; 2e édit., lettre cxxxiv, p. 331.

Ces assurances de la Bienheureuse dominent l’histoire de la dévotion. On ne s’explique pas sans cela que les visitandines et les jésuites aient tant pris à cœur de la propager.

11° État de la dévotion au Sacré-Cœur à la mort de Marguerite-Marie, il octobre, 1090. — Pendant que Marguerite-Marie recevait ces dernières communications, elle se dépensait avec une activité incroyable pour répandre sa chère dévotion. Elle n’était plus en rapport seulement avec ses sœurs en religion. De tout côté, on lui écrivait, on venait la voir, et malgré ses répugnances, elle allait au parloir, elle multipliait ses lettres. Quelle joie en retour, quand elle apprenait quelque nouveau progrès de la dévotion ! Un l’ère capucin la prêchait à Dijon ; quelques jésuites, amis pour la plupart ou enfants spirituels du P. de la Colombière, se prenaient d’enthousiasme, l’inspiraient à leurs (’lèves, en parlaient à toute occasion ; à Lyon, à Marseille surtout, c’était presque de l’engouement. Les dernières lettres de la Bienheureuse sont pleines de détails intéressants à ce sujet. On la voit elle-même tout occupée de livres à