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CŒUR SACHE DE JÉSUS (DÉVOTION AU ;

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Mais au lieu de trop serrer la dévotion dans ce symbolisme de l’amour, au risque peut-être d’oublier ou de ne plus voir assez nettement cet amour comme vivant, agissant, au risque peut-être de perdre contact avec ce cœur réel et vivant, la dévotion revient au cœur aimant pour y voir tout l’intime de Jésus, ses vertus et ses perfections, en même temps que ses douleurs et son amour. La vision de l’amour n’en est que plus nette et les amabilités y éclatent d’autant mieux.

De là, par une transition insensible, et sans perdre de vue le cœur de chair, elle va à la personne de celui qui nous montre ainsi son cœur tout aimant et tout aimable pour le trouver lui-même tout aimant et tout aimable dans le cœur qu’il nous présente, c’est-à-dire qu’il nous montre et qu’il nous offre.

II. tBS fondements de la DÉVOTION.

1° Fondements historiques. — En fait, la dévotion au Sacré-Cœur, telle qu’elle a été acceptée par l’Église, a reçu le branle de la B. Marguerite-Marie, et de ses révélations. Nous verrons qu’elle était en l’air, qu’elle se cherchait, pour ainsi dire. Mais il reste que, dans la pensée des dévots, la B. Marguerite-Marie a été l’instrument providentiel choisi pour faire éclore la dévotion, pour propager le culte et obtenir la fête. L’Eglise ne s’est pas appuyée, à proprement parler, sur la vérité des visions pour approuver le culte et instituer la fête. Ce sont choses qui tiennent par elles-mêmes. Mais il reste que la dépendance historique est réelle. Si donc les révélations faites à Marguerite-Marie étaient fausses, la fête, sans manquer d’appui, manquerait de fondements historiques, et l’on pourrait dire que, en fait, nous la devrions aux rêveries d’une visionnaire. L’Eglise l’entend ainsi. Aussi, dans des cas semblables, s’entoure-t-elle de toutes les garanties humaines pour s’assurer de la vérité des faits. Les visions de la Bienheureuse ont ces garanties ; quels qu’en soient la nature et le comment, que Jésus se soit servi d’un instrument maladif ou d’un instrument parfaitement sain, les faits sont suffisamment prouvés, et suffisamment prouvé leur caractère surnaturel, pour appuyer une certitude humaine, pour qu’on puisse marcher et agir suivant cette certitude. Des faits aussi bien constatés font foi en cas ordinaires ; l’Église n’a pas cru jusqu’ici que leur caractère surnaturel, dûment constaté lui aussi, fût une raison suftisante pour ne pas agir en ce cas comme on agit humainement en cas semblables, et elle va de l’avant. Elle n’y engage pas son infaillibilité ; mais elle y engage son renom de prudence, de discrétion, de sérieux. Les révélations de la Bienheureuse, examinées comme elles doivent l’être, par des juges compétents, supportent la lumière ; et s’il y a quelque part trace de légèreté’, d’ignorance et de préjugés, ce n’est pas chez les juges ecclésiastiques qui les ont admises après mûr examen ; c’est chez ceux qui les rejettent sans examen, ou après un examen fait dans des conditions telles qu’il ne saurait fonder une décision sérieuse. Qu’on lise les écrits de la Bienheureuse, sa vie, son procès de béatification et l’on verra si les garanties de sérieux et de science sont avec ceux qui ont dit oui ou avec ceux qui disent non. Nous dirons un mot des faits en étudiant l’histoire de la dévotion.

Fondements dogmatiques.

Ils ressortent déjà

de ce qui a été dit plus haut. Le Cœur de Jésus est digne d’adoration, comme tout ce qui appartient, i la I i inné de Jésus ; non pas, sans doute, si on le consiii i.ui comme séparé de cette personne, sans rapport avec elle. Mais ce n’est pas ainsi qu’on b 1 considère. Aux itions des jansénistes on avait toujours répondu qu’on regardait le Sacré-Cœur comme uni à la personne (lu Verbe ; Pie VI l’a expliqué authentiquement dans la [tic to rem /idei. Ainsi tombent toutes les préventions de nestorianisme, d’idolâtrie, etc.

M lis la dévotion au Sacré Cœur n’est pas que le culte du

Cœur de Jésus ; elle est le culte de l’amour. Et certes, de ce chef, elle serait une invention de génie, si elle n’était l’effet de l’action du Saint-Esprit toujours vivant et agissant dans l’Église. Quelle idée admirable de dégager ainsi l’amour de Jésus dans chaque acte de sa vie, dans chacune de ses paroles, dans toute sa personne ! Quelles convenances de cette dévotion avec l’idée même de Dieu qui est amour et bonté, avec l’idée de Jésus apparition vivante de la bénignité de Dieu et de son amour paternel, avec l’idée même du christianisme qui se présente dans son tond comme un grand effort de l’amour divin pour nous. Nous aurons peut-être occasion d’y revenir. Mais comment ne pas noter ici, à l’adresse de ceux qui cherchent l’essence du christianisme, que l’essence du christianisme c’est l’amour de Dieu pour l’homme manifesté en Jésus, et que la dévotion au Sacré-Cœur va saisir en Jésus même cet amour pour y rallumer notre amour.

Y a-t-il rien qui nous aide mieux à réaliser le vœu que saint Paul formait pour les fidèles : « Je iléchis les genoux devant le Père, de qui tire son nom toute paternité au ciel et sur la terre, afin qu’il vous donne, selon les richesses de sa gloire, d’être revêtus de force par son Esprit, en vue de l’homme intérieur ; et que le Christ habite dans vos cœurs par la foi, de sorte que, enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints ce qu’il y a de largeur et de longueur, de hauteur et de profondeur, connaître l’amour du Christ qui dépasse toute connaissance, en sorte que vous soyez remplis de toute la plénitude de Dieu ? » Eph., ni, li-20. De ce côté donc, la dévotion au Sacré-Cœur mérite tous les enthousiasmes et tous les éloges — et Dieu sait si elle a eu le don d’éveiller les enthousiasmes et d’attirer les éloges.

Mais la dévotion au Sacré-Cœur n’est pas seulement le culte du Cœur de Jésus ; ni seulement le culte de l’amour qui nous a aimés jusqu’à ne vivre que pour nous, jusqu’à mourir pour nous, jusqu’à se donner à nous dans l’eucharistie. C’est le culte de l’amour dans celui du cœur ; c’est le culte du cœur pour honorer l’amour, et c’est dans ce rapport établi entre le cœur et l’amour qu’est la principale difficulté soulevée contre la dévotion. Ce rapport n’est-il pas une erreur des vieux temps. Peut-on encore soutenir rien de semblable ? Ceci nous amène à notre troisième question.

Fondements philosophiques.

On ne peut le nier,

il n’y a pas toujours eu accord sur ce point entre les théologiens du Sacré-Cœur, et tous ne se sont pas tirés avec honneur des difficultés soulevées de ce chef contre leur chère dévotion, quelques-uns même ont donné à ce sujet des explications mauvaises, auxquelles il faut franchement renoncer. Mais d’autres, ce me semble, y renoncent avec trop de sans-gêne, et en substituent d’autres, qui laissent peut-être la dévotion traditionnelle en mauvaise posture.

Ces difficultés ne sont pas d’aujourd’hui et on n’a pas attendu le progrès de la physiologie moderne pour les soulever. Quand le P. de Calliffet en 1726 « postula » pour l’établissement de la fête, et remit aux cardinaux et consulteurs de la S. C. des Rites, d’abord son beau livre De cultu sacrosancti cordis Dei ac Domini nostri Jesu Christi, puis des Excerpta du même livre ad pleniorem cognitionem causa necessaria, on trouva son travail, nous dit Benoit XIV, de tous points excellent, omnibus mtmeris absolutse, De servorum Dei bcatiflcatione, LlV, part. II, c. xxxi, n. 20, Prato, 1831, t. iv, p. 702. Le promoteur de loi, qui était Prosper Lambertini lui-même, le futur pape Benoll XIV, quoique personnellement favorable à la cause, nous dil le I’. de GallitTet, fit consciencieusement ses objections « d’avocat du diable » . L’une d’elles ne fut proposée que de vive voix ; et ce fut elle, semble-t-il, qui émut le plus la S. C. « J’ajoutai de vive voix, écrit le pape, que