Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 3.djvu/156

Cette page n’a pas encore été corrigée
239
290
CŒUR SACRÉ DE JÉSUS (DÉVOTION AU)


posé la question d’une façon explicite. Mais ils parlent -comme s’ils n’avaient en vue que la charité créée du Christ. Marguerite-Marie, suivant l’auteur, ne voit dans le Sacré-Cœur que le cœur de chair qui a tant aimé les hommes. Est-ce à dire qu’elle exclue l’amour incréé ? Cela ne suit pas, nous le verrons. Je me demande même si elle ne l’inclut pas quelquefois, par exemple quand elle parle au P. Croiset des « divins trésors du Cœur de Dieu qui… est la source » de tout bien. Lettres inédites, lettre iv, p. 112. Analogue est le cas du P. de la Colombière, du P. Croiset, du P. de Galliflet, des évoques de Pologne dans leur beau Mémorial : nulle mention explicite de l’amour incréé. Le P. Vermeersch ramène à la même opinion Muzzarelli et Franzelin ; mais Muzzarelli fait une place à l’amour incréé dans la dévotion, et l’interprétation qui est donnée de Franzelin ne s’impose pas. On peut y ranger, si l’on veut, Gerdil, Zaccaria, Roothaan, Dalgairns ; mais le P. Froment, qui écrivit, comme en concurrence avec le P. Croiset, sur les instances de la B. Marguerite-Marie, li. Tetamo, Marquez, Gautrelet probablement, Martorell etCastella, De San, Leroy, Bucceroni, Chevalier, Terrien, Nilles, Nix, Billot, Baruteil, Thill, (ont une place à la charité incréée. Les documents ecclésiastiques, sauf peut-être deux ou trois, semblent viser uniquement la charité créée. Des deux exceptions, l’une est certaine. C’est l’hymne des vêpres du Sacré-Cœur. Nous avons vu les <leux vers où « l’amour a forcé Jésus à prendre un corps mortel » . Cet amour est aussitôt décrit comme « l’ouvrier qui a fait la terre, la mer et les astres » :

Ille amor almus artifex Terne marisque et siderum.

Il s’agit donc de l’amour incréé. L’autre document est le décret même de 1765 : on y donne comme objet du culte « l’amour qui a poussé le Fils unique de Dieu à prendre la nature humaine » . N’est-ce pas désigner clairement l’amour incréé ? Pas si clairement, dit le P. Vermeersch, et par une exégèse subtile mais séIl lise, il montre un autre sens comme très plausible, p. 178 sq. Il est vrai, un secrétaire de la S. C. des Biles en 1821, avec beaucoup de théologiens, a vu là l’amour incréé, p. 177. Mais il a bien pu se tromper sur ce point, comme il s’est trompé sur un autre. Et puis, chose curieuse, ce décret n’est pas reproduit dans le recueil officiel. Pourquoi cette omission ? On l’ignore. Mais elle n’est pas pour en augmenter l’autorité, qui d’ailleurs ne s’imposerait pas devant des raisons graves, p. 177.

Un troisième texte me paraît mériter aussi attention. C’est l’invocation des litanies : Cor Jesu, infinité amans et infinité arnandum. Je n’oserais pas cepen(I ant y appuyer trop. Car il est possible que’ptlinilé dont il est ici question doive se prendre de la dignité infinie de la personne plus que de la nature de l’acte considéré en lui-même. Je dis : il est possible ; mais je iir vois pas que ce soit sûr : je sais des dévots « lu Sacré-Cœur, d’ailleurs bons théologiens, qui aiment à se redire que le Cœur de Jésus bat pour eux d’un amour infini, sans prétendre évidemment que l’amour infini et spirituel du Verbe ait à proprement parler un écho sensible dans le co’ur de chair. Mais on doit reconnaître que les textes ne résolvent pas une question difficile, qui ne se posait pas nettement pour ceux qui les ont écrits. Ils ont un sens tris beau et très plein, dans t.- sens il l’union personnelle de la nature humaine et par là du cœur humain de Jésus avec le Verbe il Dieu.

Néanmoins le P. Vermeersch s’attaque à forte partie. Sans vouloir le suivre dans ses déductions, voici coiniiMiit on peut, semble-t-il, résoudre la question.

Une chose est sûre, sans conteste. L’amour que nous honorons directement dans le culte du Sacré-Cœur, c’est l’amour du Verbe incarné’, du Dieu fait homme.

DICT. DE TIIÉOL. CATIIOL.

Jésus est le Dieu-Homme et les fidèles, qui voient Jésus vivant et concret, ne séparent pas dans leurs hommages l’homme du Dieu. Le rayonnement de la personne divine illumine pour eux tout ce qu’ils voient de Jésus. Même quand ils regardent l’homme, quand ils écoutent les paroles qui tombent de ses lèvres, quand ils compatissent à ses souffrances, ils n’oublient pas qu’il est Dieu, et c’est cette pensée toujours présente qui donne son caractère à tous leurs rapports avec Jésus, de même que la réalité toujours actuelle de l’union donne son caractère et sa valeur à chacun des actes et des souffrances, à chacun des mots de Jésus. Jésus, pour eux, est essentiellement le Dieu-Homme dans l’unité indissoluble de l’union hypostatique : ni leur foi, ni leur amour ne peuvent le concevoir autrement. Dés lors la dévotion au Sacré-Cœur est nécessairement la dévotion au Dieu-Homme, l’amour qu’on y honore est nécessairement l’amour du Dieu-Homme. Voilà qui doit êtr » regardé comme acquis ; en ce sens du moins, il est juste de dire, avec le P. Terrien : Quod Deus conjunxil, huma non separet.

Mais, pour le P. Vermeersch, c’est là escamoter la question, non la résoudre. Nul, en elfet, ne nie l’union personnelle ; nul ne prétend que l’amour que les fidèles honorent dans la dévotion au Cœur de Jésus soit un amour purement humain. La question est si c’est seulement l’amour humain du Dieu-Homme, ou si c’est aussi son amour divin ; si c’est seulement l’amour dont il nous a aimés avec son co’ur humain dans sa nature humaine, ou si c’est aussi l’amour dont il nous aime éternellement dans sa nature divine, par l’acte simple d’amour qui est son essence infinie. Les fidèles ne distinguent pas, si je ne me trompe, quoiqu’ils distinguent fort bien en Jésus la nature divine et la nature humaine, quoiqu’ils sachent reconnaître en lui un amour dont il nous aime comme homme, et un amour dont il nous aime comme Dieu. Et le fait qu’ils ne distinguent pas est en faveur de la non-distinction des deux amours dans leur culte ; c’est tout Jésus qu’ils’honorent sous la figure de son cœur de chair ; tout son amour, semble-t-il, comme toute sa personne. Pour distinguer là où ils ne distinguent pas, il faudrait des raisons. Les théologiens cherchent s’il y en a.

On a beaucoup reproché à notre dévotion de favoriser le nestorianisme. Pure calomnie des jansénistes, les théologiens du Sacré-Cœur Taxaient réfutée d’avance, et Pie VI en a fait bonne justice dans le texte que nous avons cité. Mais si les fidèles n’honorent pas le Sacré-Cœur en nestoriens, il ne tant pas non plus, en supposant qu’ils confondent dans leur culte les natures et les opérations, le leur faire honorer en eutychiens ou en rnonothélites. Or n’est-ce pas le danger à craindre en raisonnant comme nous faisons, en passant de la personne à l’amour, en concluant de ce que l’honneur. va à la personne qu’il va aussi à l’amour divin ?

Mais nous ne passons pas, sans autre considération, de la personne à l’amour. Nous ne concluons pas de l’unité’de personne à la fusion ou à la confusion des deux amours en un seul. Nous disons seulement ceci. Tout en distinguant les natures dans l’objet de leur dévotion, les fidèles y visent tout Jésus, la personne totale, la personne dans ses deux natures ; des lors aussi on doit dire qu’ils la visent dans ses deux amours, à moins que des raisons spéciales ne nous fassent reconnaître qu’ils ont en vue un seul de ces deux amours, l’amour humain.

On dit : Les documents ne parlent que de l’amour créé, le distingue : ils ne parlent que des bienfaits où p, n’ait aussi l’amour créé » , je le reconnais (sauf les exci plions dites plus haut), ils attribuent ces bienfaits au seul amour créé, j’attends qu’on le prouve. Et il a différence, à cet égard, entre l’ordre de l’amour et celui de l’action. C’est Jésus, dans sa nature humaine, qui parle,

III. - 10