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CŒUR SACRÉ DE JÉSUS (DÉVOTION AU)

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4. Il arrive que le symbole se vide parfois de son contenu matériel. On oublie le signe pour ne voir que la chose signifiée. Le mot âme n’apporte plus à notre esprit, au moins d’une façon consciente et distincte, l’image du souffle par lequel on se l’est représentée quand on a désigné par là le principe de notre vie. Et de même il peut arriver que le mot cœur ne nous rappelle plus directement que l’amour. Dans ce cas, il reste trace de symbolisme dans le langage ; mais il n’est plus dans la pensée.

5. Ceux qui ont étudié de près la dévotion au Sacré-Cœur ont été amenés, par le mouvement des opinions et des controverses, à distinguer en Jésus, comme en nous, le cœur de cliair, le cœur symbolique, le cœur métaphorique. Le cœur de chair, c’est l’organe en lui-même où retentit l’amour ; le cœur symbolique, c’est encore l’organe, mais comme portant une idée, comme emblème d’amour ; le cœur métaphorique, c’est l’amour signifié, sans attention directe à l’organe qui a fourni le mot. Ce langage n’est pas parfait ; mais il est court et commode ; une fois expliqué, il rappelle et résume les notions. Nous l’emploierons à l’occasion.

6. Enfin nous constatons que, dans le langage courant, on passe sans cesse de la partie au tout, du co’.ur à la personne : C’est un grand cœur ! Non pas que l’expression soit indifférente, comme si c’était une même chose de dire : Jésus, ou de dire en ce sens : Le Sacré-Cœur. L’emploi du mot cœur signifie toujours que l’on regarde la personne comme aimante, la personne dans sa vie affective et morale. Est-ce le cœur de chair qui est ainsi pris pour la personne ? est-ce le cœur symbolique ? est-ce le cœur métaphorique ? Il ne parait pas que ce soit le camr de chair en lui-même. C’est plutôt le cœur symbolique ou le cœur métaphorique : tantôt l’un, tantôt l’autre, suivant que la pensée voit le symbole, ou ne voit que la chose signifiée.

2° Le cœur de cliair objet de la dévotion au Sacré-Cœur. — Quel est l’objet propre de la dévotion au Sacré-Cœur ? C’est le Cœur de Jésus. Mais est-ce le cœur de chair tout seul et en lui-même ? est-ce l’amour, tout seul ? est-ce le cœur de chair comme emblème de l’amour ? Les trois réponses ont été données ; la troisième seule est la bonne.

L’opinion du cœur métaphorique ou de l’amour seul a été mise en avant par quelques ennemis de la dévotion, soucieux, d’ailleurs, en bons jansénistes qu’ils étaient, de ne pas rompre ouvertement avec l’Église, tout en gardant leurs idées à eux. Quand Clément XIII, en 1765, eut approuvé la dévotion qu’ils avaient combattue de toutes leurs forces, ils essayèrent de triompher jusque dans leur défaite. Le décret disait : « La S. (’.. des Rites voyant le culte du Sacré-Cœur déjà répandu dans presque toutes les parties du monde catholique, comprenant que la concession d’une messe et d’un office n’a pas d’autre effet que d’amplier le culte déjà établi, et de renouveler symboliquement le souvenir du divin amour, par lequel le Fils unique de Dieu a pris la nature humaine et, obéissant jusqu’à la mort, a donné en exemple aux hommes, suivant sa propre parole, la douceur et l’humilité de son cœur, intelligens Imjiis mitsa et officiî cflebralioncnon aliud agi quam ampliari cullum jam instilutum, et symbolicr renom illius divini amoris, quo unigenitus Oi < l’ilius humanam suscepit uaturam, et factus obediens usque ad mortem, præbere su dixit exemplum hominibus, quod essri mitis et humilis corde. » Cité par Mlles, I. I, part. I, c. iii, g 4, l. i, p. 152. On ni’pouvait plus soutenir que l’Eglise rejetait le culle. Mais on s’appuyait sur le mot symbolice pour maintenir qu’elle n’admettait pas la dévotion au cœur il’1 chair, ! qu’elle substituait la dévotion au cœur symbolique. Coin si le cœur symbolique s’opposait an

cœur de chair et se confondait avec l’amour ou cœur

métaphorique ! Voir les fausses interprétations de Fleury, de Scipion Ricci, etc., dans Nilles, t. i, p. 161, 162, 353, 354, 362, 368 sq. et passim. D’autres, d’ailleurs excellents catholiques, effrayés des clameurs du jansénisme ou de la libre-pensée, ont donné dans la même erreur. Ainsi Feller au xviiie siècle ; ainsi quelques autres au XIX e.

Cette opinion ne tient pas devant les textes. Une chose est évidente en effet : la dévotion au Sacré-Cœur s’adresse au cœur de chair. Ainsi l’entendait la B. Marguerite-Marie. C’est en lui montrant son cœur de chair que Jésus lui dit : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour. «  Ainsi l’expliquent le P. Croiset, le P. de Galliffet, tous ceux qui ont compris la dévotion comme la Bienheureuse. Ainsi, les postulateurs de la cause en 1697, en 1727 (c’était le P. de Galliffet lui-même), en 1765. Ainsi l’entendaient les ennemis, et c’est contre la dévotion au cœur de chair qu’ils déblatéraient en termes dignes de ceux dont se servaient les protestants contre la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie. Ils disaient, il est vrai, que la concession de Clément XIII, en 1765, avait changé l’état des choses, substituant le cœur symbolique au cœur réel. Ils ne voyaient pas que l’approbation de Rome en 1765 portait sur cela même qui avait été rejeté en 1729 : les évêques polonais, dans leur supplique, s’en expliquaient on ne peut plus clairement, el c’est à cette supplique que la S. C. des Rites accéda, annuendum censuit, mentionnant expressément qu’elle s’écartait des décisions de 1729, prævio recessu a decisis sub die 10 julii 11-29. Nilles, t. i, p. 153. Pie VI allait se charger de remettre les choses au point. Relevant dans la bulle Auctorem fidei, en 1794, les insinuations malveillantes du synode de Pistoie contre ceux qui oublient, en honorant le Sacré-Cœur, « que la chair très sainte du Christ, ou toute partie d’icelle, ou même l’humanité tout entière, si on la sépare, ou si l’on fait abstraction de la divinité, ne peut être adorée du culte de latrie, » il reprenait : « Comme si les fidèles adoraient le Cœur de Jésus en le séparant ou faisant abstraction de la divinité, tandis qu’ils l’adorent comme le Cœur de Jésus, c’est-à-dire le Cœur de la personne du Verbe, à laquelle il est inséparablement uni, tout comme le corps inanimé du Christ, durant les trois jours de sa mort, sans séparation ni précision de la divinité, a été adorable dans le sépulcre. » Dans Nilles, t. i, p. 353-354. Aux insinuations du pseudo-synode, le pape ne répond pas en niant que les fidèles adorent le cœur de chair ; mais il maintient qu’ils ont raison de l’adorer comme ils font.

A défaut d’autre argument, il suffirait de se rappeler que dans l’office du Sacré-Cœur comme dans les documents qui regardent la B. Marguerite-Marie, il est sans cesse question du cœur percé par la lance. Le culte va donc bien au cœur de chair. Voir dans Nilles, 1. I, part. II, c. iii, t. i, p. 350 sq., les textes auxquels il vient d’être fait allusion, ainsi que beaucoup d’autres.

3° Le cœur de cliair objet de la dévotion, comme cmbU’me d’amour. — Le culte va au cœur de chair, mais il ne s’y arrête pas. Tout dans la sainte humanité de Jésus est adorable. Mais l’Eglise ne sépare jamais une partie de ce tout divin, si noble soit-elle, pour en faire, en elle-même et en vue d’elle-même, l’objet d’un culte spécial. Elle pourrait le faire, nous ne voyons pas qu’elle l’ait fait. Elle craint, comme d’instinct, la ferveur indiscrète qui, après ceci, voudrait honorer cela, sans mesure ni lin. C’était une des difficultés qu’on opposait toujours aux promoteurs de la dévotion ; et ils avaient

à la résoudre. Ils le faisaient, et très bien, en montrant

qu’il y avait, pour honorer le Sacré-Cœur, des raisons spéciales. IN montraient la noblesse et la dignité de ce cœur, l’importance de cet organe vital du corps de Jésus.