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CONSTANTINOPLE (ÉGLISE DE)

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Si In succession régulière dos patriarches étail établie

à Nicée, il no s’ensuit aucunement que la juridiction de ces derniers d’il également reconnue de tout le monde. Ainsi la Serbie arrache, bon gré mal gré, au patriarche byzantin la reconnaissance de son autonomie reliai par la création du patriarcat d’Ipek, 1219. La Bulgarie y met encore moins de formes et, d’accord avec le pape Innocent III, elle se déclare autocéphale et éfige son patriarcat national de Tirnovo, 1 20 i. « Dans le despotat d’Épire, les métropolites, sans rompre ouvertement avec le patriarche grec, aiment à se passer de lui. Sans lui demander avis, Jean Apocauque, métropolite de Naupacte et Arta, ordonne Dokianos évêque de Durazzo en 1214, tandis que le métropolite de Leucade installe Calospilès sur le siège de Larissa. Tout ceci se passait souslerègne’de Michel I er l’Ange, le fondateur du despotat d’Epire. Sous son successeur, Théodore l’Ange Doucas, on alla plus loin encore. Ici, c’est ce même Jean Apocauque, qui sacre Démétrios Chomaténos, archevêque d’Ochrida, et Georges Bardanès, métropolite de Corfou ; là, c’est le métropolite de Larissa qui procède à la consécration du diacre Syméon, nommé par le despote Théodore à Pévêché de Domocos. Aux patriarches de Nicée qui se plaignent de ces promotions anticanoniques, Jean Apocauque d’abord, puis Démétrios Chomaténos répliquent par des arguments ad hominem, qui ne manquèrent sans doute pas d’embarrasser les plaignants. >) L. Petit, dansle Bulletin de l’Institut archéologique, russe de Constantinople, Sofia, t. viii, p. 164. Le despote d’Epire, Théodore, voulut même aller plus loin et, après la prise de Thessalonique en 1223, il pria le métropolite de cette ville, Constantin Mésopotamitès, de lui conférer l’onction impériale. Le prélat, qui n’était pas ambitieux, refusa, renonçant ainsi à créer un autre empire grec et une seconde Église indépendante. Ce refus, du reste, ne nuisit qu’à son auteur qui fut exilé, tandis que le despote d’Épire se faisait sacrer roi par Démétrios Chomaténos, archevêque d’Ochrida et chef d’une Église autocéphale. Avec les idées en cours chez les peuples orthodoxes, le fait ne présentait aucune difficulté, car tout pape, patriarche ou chef d’une autonomie ecclésiastique avait le droit de conférer l’onction royale. Par suite aussi de cette décision, les évêques compris dans l’étendue de ce royaume étaient autorisés à revendiquer une autocéphalie ecclésiastique, ainsi qu’ils le firent dans une lettre adressée à Germain II, patriarche de Nicée. Bien entendu, celui-ci, pas plus que son maître, le basileus Jean Vatatzès, ne reconnut la légitimité de cet acte, qui constituait deux empires, deux patriarcats et deux Églises autonomes, et 40 évêques réunis auprès de lui à Nicée se hâtèrent de proclamer que le sacre de Théodore l’Ange était anticanonique. A. Miliarakès, Toropta to-j fiacO.EÎo’j Tf, c Nixaia ;, Athènes, 1898, p. 161-170. Le danger pour les maitres de l’Épire vint du côté où ils l’attendaient peut-être le moins ; battu et fait prisonnier par les Bulgares à Klokotinitza, 1230, Théodore l’Ange passa le pouvoir à son frère Manuel qui deux ans après, en 1232, réconcilia son Église avec celle de Nicée. L’empire de Thessalonique-Épire ne finit pourtant qu’en 1246, pour se changer en simple despotat, soumis à l’empire grec de Nicée. Et il y eut encore des princes de cette famille » qui établirent çà et là des principautés pour leur propre compte et créèrent de sérieux embarras jusqu’en 1318 ; mais depuis 1232, toute idée d’indépendance ecclésiastique avait disparu.

En dehors du despotat d’Épire, deux princes grecs de la famille des Comnènes avaient fondé en 1201 l’empire de Trébizonde. Séparé de celui de Nicée par le sultanat d’Iconium, cet empire ne pouvait évidemment s’incliner sous l’autorité d’un patriarche qui dépendait de son rival ; aussi voyons-nous David Comnène « renvoyer à coups de fouet un malheureux diacre, que le patriarche

bithynieo avait osé nommer au siège d’Amastris… D’autres prélats, élus à divers sièges des côtes de la mer Noire, n’eurent pas un meilleur sort. Si la plupart de ces autocéphalies n’eurent qu’une existence éphémère, si elles disparurent l’une après l’autre, à mesure que tombèrent les petits États qui avaient favorisé leur naissance, la tentative des métropolitains de Trébizonde fut autrement durable. Par un acte officiel du 1 er janvier 1260, le patriarche de Nicée, à la demande de Michel VIII Paléologue, reconnut au chef religieux de la province pontique une demi-indépendance » . Contrairement aux usages établis, les titulaires de Trébizonde ne vinrent plus à Nicée ou à Constantinople recevoir du patriarche la consécration épiscopale. Seul, un délégué du patriarche assistait à la cérémonie, ou même la présidait, s’il était évêque ; quant aux ordinations des autres métropolites et archevêques de cet empire, le patriarche se les réservait explicitement. L. Petit, Acte si/nodal du patriarche Nicéphore Il sur les privilèges du métropolitain de Trébizonde, dans le Bulletin de V Institut archéologique russe de Constantinople, Sofia, t. viii, p. 163-171.

L’enthousiasme que le pape Innocent III avait ressenti lors de la prise de Constantinople ne fut pas de bien longue durée ; au printemps de l’année 1205, l’empire latin était menacé de ruine. Le 15 avril, le tsar bulgare Johannitza avait infligé à Baudouin I er une défaite sanglante, aux portes d’Andrinople. Dès lors, en Europe comme en Asie, la puissance des croisés était pour jamais arrêtée, la marche victorieuse des Bulgares comme des Grecs assurée d’un succès constant. Toutefois, le pape tenait encore à sa première idée, la délivrance de Jérusalem et, en mai 1205. il accordait aux croisés un délai d’un an, afin qu’ils pussent fortifier leur nouvelle conquête et, de là, se ruer à l’assaut de la Terre-Sainte. Généreuse illusion, qui ne tarda pas à tomber, à mesure que les événements se chargèrent d’en dévoiler la portée chimérique ! Ce qui importait alors plus que la délivrance du Saint-Sépulcre et ce qui en préparait peut-être la réalisation, c’était l’établissement du catholicisme en Orient, car l’occupation de Byzance et d’une partie de l’empire grec n’avait pas mis fin au schisme. L’occupation, surtout violente, n’était pas l’union. De fait, même dans les contrées soumises politiquement aux Latins, tous les orthodoxes étaient loin d’avoir embrassé leur foi. Et dans les trois puissants États grecs, qui se dressaient encore en face de l’empire latin : l’empire de Nicée, celui de Trébizonde et le despotat d’Épire, l’orthodoxie restait la religion dominante, on peut même dire la seule religion reconnue. Innocent III aurait bien désiré imposer du premier coup, du moins aux sujets grecs des princes latins, la reconnaissance de la primauté romaine. Ainsi qu’il le disait lui-même, le 15 mai 1205, dans une lettre à Baudouin, translalo ergo ïmperio, necessarium ut ritus sacerdotii iransferatur, quatenus Ephraim reversas ad Judam, in azymis sinceritatis et veritatis, expurgato fermento weteri ; mais le premier essai qu’en avait tenté en 1204 le légat de la quatrième croisade, le cardinal Pierre, dans la réunion de Sainte-Sophie, n’avait abouti qu’à un échec lamentable. Y. Norden. Das Papsttutn und Byzanz, Berlin, 1903, p. 184 sq. Force était bien au pape de désavouer cette politique et d’user d’indulgence envers les schismatiques. C’est ce qu’il comprit en envoy an t comme légat le cardinal Benoit de Sainte-Suzanne, homme d’un grand tact et d’une modération reconnue.

De 1205 à 1207, des négociations se poursuivirent soit avec les grecs de l’empire de Nicée, soit avec ceux de l’empire latin. A Constantinople, comme à Athènes et à Salonique, Benoit laissa les meilleurs théologiens byzantins exposer librement leurs idées, et il se servit lui-même d’ouvrages grecs, qu’il avait eu soin d’apporter de Rome et que lui traduisait Nicolas d’Otrante.