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CROYANCE

et la nécessité d’une intervention de la volonté et de Ja grâce, se fod plus vivement sentir dans les combats violents d’un homme en qui s’opère un grand changement de vues, par exemple dans une conversion â la foi. « Le nouvel ordre d’idées est sans harmonie avec l’ancien, el nous ne pouvons nous attendre à les voir se combiner tranquillement ensemble. Il y aura une période de trouble et de fermentation jusqu’à ce que tout soit en place et qu’on soit dégagé des vieilles ornières de la pensée, du sentiment et de l’action… Perplexe et chancelant, c’est bien alors qu’on s’écriera (avec cet homme de l’Évangile) : Je crois, Seigneur, mais aidez-moi dans l’espèce d’incrédulité qui me reste. » Venn, C/iaracterislics of belief, p. 78.

3. Objections de l’intellectualisme exagéré contre la légitimité de celle intervention de la volonté dans la certitude. — « La volonté, dit Élie Rabier, Psychologie, p. 270, n’est pas une preuve et ne peut tenir lieu de preuve ; elle ne peut pas faire que ce qui est, ne soit pas, ou que ce qui n’est pas, soit. » — Mais nous no parlons pas de prendre la volonté comme preuve ; nous supposons les preuves existant déjà. Nous ne parlons pas d’additionner à ces preuves la volonté comme une preuve complémentaire : addition monstrueuse entre choses hétérogènes et incommensurables. De même que la volonté (c’est une comparaison de (lladstone), quand elle applique son action aux muscles du bras, ne fuit pas plus de muscles, ainsi quand elle applique son influence à l’intelligence, elle ne fait pas plus de preuves. Son action n’en est pas moins nécessaire dans les deux cas. Elle ne peut faire la vérité comme le dit le pragmatisme, ni changer l’objet : mais elle peut changer le sujet, et guérir un état morbide qui s’oppose à ce que des preuves d’une valeur absolue, et confusément reconnues comme telles, produisent tout leur effet.

M. Rabier pose encore ce dilemme : « Ou nos raisons intellectuelles de croire nous semblent suffisantes, ou elles nous semblent insuffisantes. Si elles nous semblent suffisantes, il n’est que faire de la volonté pour produire la croyance. Si elles nous semblent insuffisantes, qu’on explique comment la volonté pourrait dissimuler ce manque de raison ou se prendre elle-même pour une raison, » p. 271. — Réponse. — Elles nous semblent suffisantes : mais l’évidence que nous en avons, évidence confuse du bon sens qui devrait nous suffire (sans être « l’idée claire et distincte » de Descartes), n’empêche malheureusement pas un esprit trop avide de lumière de réclamer plus, et, dans son dépit, de s’accrocher à des raisons apparentes qui lui permettent de douter : et voilà pourquoi la volonté a quelque chose à faire. Vsambert disait déjà, loc. cit. -Palet affectionem voluntatis non reguiri ex defectu alicujus suf/icientise in objecto ad nonvincendum intellectum, seil -potins ex indispositione, seuillo defectu intellectus quo hanc suffi cienliam objecti non appreliendit évidente )’(evidenlia perfecla) ; nihilque juxta nostram sententiam per banc motionem voluntatis suppleri, quod sese leneal ex parte objecti.

Voici, par exemple, un fait prouvé par une multitude de témoignages indépendants et convergents. Cette preuve est en elle-même un motif suffisant de certitude légitime, au jugement d, e tous ceux qui ont le sens de la preuve historique et l’habitude des méthodes. Ce motif sera suffisamment proposé à tout esprit, des qu’il aura la vue synthétique de cette multitude de témoignages et d’indices convergents. Mais il y a dans cette vue quelque chose de confus, une sorte de fouillis qui déroute les esprits habitués à raisonner sur des idées simples. Même en voyant parfaitement les éléments de cette preuve, ce n’est pas sans un certain malaise qu’ils en viendront à porter définitivement une appréciation morale, un jugement d’ensemble

qu’avec cela la passion s’en mêle, le doute riaitra facilement : et bien qu’au fond de la conscience une vague protestation s’élève par moments contre ce doute, il faudra la volonté pour produire la ferme croyance. Toutefois cette croyance une fois produite sera une certitude dans toute la force du terme, et Descartes a tort de ne pas voir combien elle dillère de la grande probabilité qu’au sens pratique on appelle « certitude morale » . Outre la certitude mathématique, il n’admet qu’une certitude morale, « c’est-à-dire suffisante pour régler nos mœurs ; ou aussi grande que celle des choses dont nous n’avons point coutume de douter touchant la conduite de la vie, bien que nous sachions qu’il se j-mi faire, absolument parlant, qu’elles soient fausses. Ainsi ceux qui n’ont jamais été à Rome ne doutent point que ce ne soit une ville en Italie, bien qu’il se pourrait faire que tous ceux desquels ils l’ont appris les eussent trompés. » Comme si en pareil cas cette hypothèse de témoins trompeurs était autre chose qu’un doute déraisonnable ! Principes de la philosophie, IVe partie, n. 205, t. i. p. 310. Cf. Ollé-Laprune, Certitude morale, p. 242.

c De deux choses l’une, dit à son tour Paul Janet : ou vous répondez complètement aux objections, et alors il n’y a plus d’obscurités ; ou vous n’y répondez pas complètement, et il reste un fond de difficultés non résolues, dès lors, votre affirmation ne peut être que proportionnée à la lumière de votre esprit, et dans la mesure où il reste des difficultés non résolues, il manque quelque chose à la certitude de votre affirmation. » Principes, t. ii, p. 483. — Réponse. — Souvent par la logique naturelle nous sommes légitimement certains du vice d’un raisonnement, sans pouvoir montrer en quoi consiste ce vice ; ou bien nous donnons à une objection une solution suffisante pour la certitude, mais seulement indirecte. Il reste alors quelque obscurité, faute de solution directe, brillante et scientifique : et c’en est assez pour arrêter un esprit prédisposé au doute, surtout sous l’influence de la passion : mais l’obscurité n’est pas une preuve d’erreur.

Enfin l’on objecte à notre explication, que cette action de la volonté pour appliquer l’intelligence à ceci ou à cela se retrouve également dans la certitude la plus scientifique : pourquoi donc en faire un trait caractéristique de la croyance, et l’opposer à la science ? — Réponse. — Dans ce procédé intellectuellement plus parfait, que l’on nomme savoir, et que l’on oppose à celui de croire, la volonté a sans doute encore un rôle. Voir CERTiTUDiC, t. ii, col. 2162 sq. Toutefois, quand il s’agit de savoir, la volonté ne peut appliquer l’intelligence à condamner sommairement les raisons contraires ; ni l’évidence confuse du bon sens, ni la logique naturelle ne suffisent plus, les objections doivent être directement et complètement résolues ; la volonté n’a pas à détourner l’esprit de certaines raisons, mais plutôt à l’appliquer également aux arguments pour et contre, et à les laisser agir : le contraire ne serait pas scientifique. Ainsi la certitude de la croyance, si légitime et si sûre qu’elle soit, dilferera toujours cependant de la certitude de la science, dans la manière dont elle a été obtenue.

4. Conséquence de cette doctrine pour la théoriede l’évidence. — L’évidence est une manifestation de la vérité..Mais la manifestation peut se faire de deux manières différentes. Parfois, elle saute aux yeux avec tant de clarté, que l’assentiment est emporté d’assaut, sans résistance possible. Parfois, moins éblouissante, elle laisse place à une résistance quoique illégitime, à un doute quoique imprudent ; on sera illuminé comme par (’clairs, contraint par instants à reconnaître la solidité et la sûreté des raisons de croire, mais sans perdre le pouvoir de leur résister bientôt après.

Ce faits posés, une double terminologie est possible.