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CROYANCE
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appelle fides rentrent ces convictions fermes mais volontaires qui ne sont point basées sur le témoignage, dont nous verrons de nombreux exemples, et dont l’existence ne pouvait échapper au grand docteur. Le cardinal de Lugo, parlant des actes rationnels qui doivent précéder la foi divine, et en particulier de celui qui, s’appuyant sur les preuves de l’apologétique, affirme enfin le fait de la révélation, se demande si cet acte appartient par sa nature au scire ou au credere, et conclut pour le credere, bien qu’il y reconnaisse une évidence immédiate d’après son système : Respondeo dici potins credere, quia licet non assentiar propter Dei testimonium…, sedimmediateex ipsis terminis…, quia tamen assentior obscure et captivando intellectum ad assentiendum sine formidine, ideo dicor credere révélai ionem. « Croire » répond bien ici auxdeux seuls caractères de la croyance d’après les modernes (voir col. 2305), une certaine obscurité dans l’objet (obscure), et une influence de la volonté pour exclure le doute de l’intelligence, captivando intellectum ad assentiendum sine formidine. De fide, disp. I, n. 129, t. I, P- 74- Citons enfin un tbéologien de nos jours, peu suspect de concessions exagérées aux modernes : « Par le fait même que les preuves laissent place à l’influence de la volonté, il y a une certaine participation de l’acte de croire ; et c’est ainsi qu’on dit vulgairement : Je crois à Vexistence de Dieu, lorsqu’on l’admet abstraction faite de toute révélation positive, et en argumentant des effets à la cause. On veut dire par là que l’évidence des preuves ne saisit pas l’intelligence au point de rendre impossible tout doute même imprudent et, par suite, de rendre inutile l’intervention de la volonté. » P. Billot, Devirtutibus, p. 202.

4. On objectera que de cette manière de parler il peut résulter un danger pour le concept de la foi théologale, essentiellement basée sur le témoignage divin : si le nom même de « foi » ne réveille plus nécessairement l’idée de témoignage, l’ignorance ou le parti-pris d’un système arrivera facilement à retrancher de la foi divine cette notion fondamentale. — Mais ce danger pourra toujours être écarté, soit par des définitions précises de la vertu de foi, comme celle qu’a donnée le concile du Vatican, Denzinger, Enchiridion, n. 1638, soit encore par le soin que l’on prendra, dans l’usage philosophique et théologique de notre langue, de ne pas donner au terme foi la même amplitude qu’au terme croyance. Bien qu’ils soient synonymes, le second est certainement, dans l’usage, le plus vague des deux ; rien n’empêche de consacrer le premier à l’usage religieux, comme font les Anglais pour le mot failli (foi) par opposition au terme plus général belief (croyance), et de conserver ainsi au mot foi le sens très restreint. Concluons que nous avons le droit d’attribuer au mot croyance le 3e sens ci-dessus, et ainsi ferons-nous dans cet article.

Le Vocabulaire de la Société française de philosophie, à l’article Croyance, omet le premier sens mentionné col. 2365 (sans doute comme trop large et impropre). Il appelle le second (où « croyance » est équivalent d’« d’opinion » ) le « sens faible et large » . Passant au troisième, il définit la croyance « un assentiment parfait en ce sens qu’il exclurait le doute, sans cependant avoir le caractère intellectuel et logiquement communicable du savoir. » Il rattache cette signification précise du mot à l’inlluence de Kanl, et la subdivise en deux variétés, suivant que les motifs intellectuels qui fondent la croyance « ont une valeur purement individuelle, ou une valeur universelle. » Nous ferons une distinction semblable, quand nous parlerons de la valeur des croyances. Voir plus loin. Enfin notre quatrième sens (qu’il désigne par cette phrase « faire crédit à un témoin » ) est appelé « le sens étroit, littéral et scolastique du mot. »

Le Vocabulaire n’admet pas, mais indique en note, un dernier sens (donné par M. lilondel), qui ne nous parait être qu’une variété spécialement intéressante do quatrième. Nous pouvons, en effet, dans la croyance au témoignage d’aulrui, distinguer deux cas bien différents. Dans le premier, la croyance est une simple connaissance par ouï-dire, qui n’implique ni respect, ni allection pour le témoin ; on en trouvera an exemple dans ces détails géographiques ou historiques que nous tenons pour certains à cause de la seule convergence de témoignages nombreux, sans nous inquiéter ir la valeur et de la moralité de chaque témoin ; ou encore dans la croyance que nous donnons, même à un homme de véracité suspecte, quand il parle contre son intérêt, sur ce principe qu’on ne ment pas à son propre détriment. Dans le second cas. les qualités habituelles du témoin, sa grande compétence et sa parfaite probité. sont reconnues tout d’abord et autorisent sa parole ; on fait honneur à qui l’on croit ainsi ; on a pour lui du respect, sinon de l’amour. Dans cette seconde catégorie qui met l’accent sur le témoin plutôt que sur le témoignage, rentre la foi divine, puisqu’elle s’appuie sur les perfections du divin témoin et présuppose essentiellement un pins affeclus. Voir Foi. C’est ainsi que nous comprenons ces mots d’un ami de M. Blondel : Le mot foi éveille l’idée de confiance personnelle et totale…, la confiance d’âme à âme ; la confiance portant sur le fond de l’être, non pas d’un être quelconque, mais d’une personne morale, que l’on connaît et que l’on estime… Si j’ai confiance en vous, j’estime d’une part que vous êtes homme de sens, de jugement, de caractère, et que, décidant d’agir ou d’affirmer, vous ne le faites pas à la légère, que vous ne vous trompez pas… Croyant en vous, je crois à ce que vous m’attestez ; je suis assuré que vous ne me trompez pas ; j’y mettrais ma tête parce que j’y ai aussi mon cœur. » F. Mallet, Qu’est-ce que la foi ? Paris, 1907, p. 5, 6.

IL Objet. — Au domaine de la croyance ainsi déterminé appartiennent d’innombrables vérités ; signalonsen quelques classes principales.

1° Les vérités connues par le témoignage, soit humain, soit divin : elles ne sont admises, le plus souvent, que par l’inlluence de la volonté et, comme telles, sont des « croyances » soit au sens scolastique, soit au sens moderne. Ainsi en est-il de quantité de faits historiques, réputés certains.

2° Beaucoup et des plus importantes vérités morales et religieuses ; leur preuve philosophique, si solide qu’elle soit, a besoin d’un appui moral, d’une bonne disposition de l’âme : soit nature spéciale des preuves employées, soit effet des passions que ces vérités-là contrarient et qui facilement suscitent contre elle des sophismes et des doutes. « Si les hommes y avaient quelque intérêt, ils douteraientdes éléments d’Euclide. » llobbes, Système de la nature, II, 4. Déjà saint Thomas disait avec Aristote : Dclectationes corporales corrumpunt existimationem prudentiæ, non autem exislimationem speculativam cui delectal’w non contrariatur, puta quod triangulus habet très angulot œquales duobus redis. Sum. theol., I" II 1, q. XXXIII, a. 3. « C’est une suite de la nature des vérités morales que, la volonté étant rebelle ou insouciante, l’esprit puisse échapper à leurs prises par quelque endroit. Il trouve toujours des difficultés dont il profite, des obscurités dont il tire parti, des apparences de raisons contraires qu’il exploite. Il n’y a rien à en conclure ni contre l’existence objective de la vérité ni contre la légitimité des preuves destinées à l’appuyer. » Ollé-Laprune, Certitude morale, p. 389. Ces vues ne sont pas nouvelles ; on les rencontre chez les scolastiques. « Dans une catégorie d’objets très évidents et sans rapport avec la vie morale et religieuse, comme sont